Un fragment de roche retrouvé dans une grotte africaine représentant des croisillons rouges aurait été tracé avec un crayon en ocre il y a plus de 73.000 ans. Les scientifiques l'interprètent plutôt comme un symbole mais s’interrogent encore sur sa signification.

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    Certes, l'œuvre est très loin des magnifiques peintures d'animaux de Lascaux. Mais ce curieux hashtag rouge trouvé sur un petit morceau de roche siliceuse, appelée silcrète, dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud, serait le plus vieux dessin crayonné du monde, d'après une nouvelle analyse publiée dans la revue Nature. Ce n'est pas la première représentation abstraite attribuable à un humain, puisqu'on avait déjà découvert des zigzags gravés sur un coquillage à JavaJava, datés de plus de 500.000 ans (voir l'article au bas de de celui-ci).

    Mais le motif retrouvé à Blombos, estimé à 73.000 ans, est lui le plus ancien dessiné au crayon, sans doute un morceau d'ocre pointu. « Ce tracé précède d'au moins 30.000 ans les plus anciens dessins abstraits et figuratifs connus jusqu'à présent et réalisés avec la même technique », assure fièrement Francesco D'Errico, chercheur au CNRS à l'université de Bordeaux ayant participé aux fouilles.

    Les croisillons rouges trouvés sur ce morceau de roche constituent le plus vieux dessin à l’ocre du monde. © D'Errico, Henshilwood, <em>Nature</em>, PACEA

    Les croisillons rouges trouvés sur ce morceau de roche constituent le plus vieux dessin à l’ocre du monde. © D'Errico, Henshilwood, Nature, PACEA

    Un art pariétal disparu ?

    Le dessin est composé de neuf lignes rouges entrecroisées dont la signification reste mystérieuse. Simple gribouillage ou symbole ayant un sens précis ? Les scientifiques penchent pour la seconde option. « De nombreux autres objets à vocation symbolique ressemblant beaucoup à ce dessin ont été découverts dans la même couche archéologique, atteste Francesco D'Errico. Cela démontre que les premiers Homo sapiens de cette région d'Afrique ont utilisé différentes techniques pour produire des signes similaires sur différents supports, ce qui renforce l'hypothèse d'une utilisation symbolique. » Mais symbole de quoi ? Difficile de le savoir, d'autant plus que le dessin était probablement plus complexe. « Les bords abrupts des lignes indiquent que le fragment faisait partie d'un motif plus grand », indique Christopher Henshilwood, un autre auteur de l'étude.

    Prouver que ces lignes ont été volontairement tracées par des humains n'a pas été simple. L'équipe française, spécialiste de l'analyse chimique des pigments, a d'abord essayé de reproduire les traits avec plusieurs techniques : morceaux d'ocre pourvus d'une pointe ou présentant un tranchant, mais aussi avec des pinceaux trempés dans un mélange d'eau et de poudre d'ocre, technique testée à plusieurs dilutions différentes.

    La grotte de Blombos, en Afrique du Sud, renferme de nombreux objets artistiques. © Magnus Haaland

    La grotte de Blombos, en Afrique du Sud, renferme de nombreux objets artistiques. © Magnus Haaland

    Les chercheurs ont ensuite comparé leurs productions au dessin original grâce à des techniques d'analyse microscopique, chimique et tribologique. Selon leur conclusion, les traits ont bien été tracés volontairement sur ce morceau lissé de silcrète, probablement utilisé préalablement comme meule pour broyer l'ocre.

    Peut-on imaginer que la grotte de Blombos, dans laquelle ont déjà été découverts de multiples objets d'art, comme des coquillages percés ou des pierres taillées pouvant servir de bijoux, ait autrefois été recouverte de peintures rupestres à l'instar des grottes de Lascaux ou Chauvet ? « Personnellement, je pense que dès avant 50.000 ans et la phase principale de dispersion des Homo sapiensHomo sapiens sur l'Eurasie et l'Australie, des représentations figuratives animales peintes sur roche étaient déjà produites en Afrique », avance Jean-Jacques Hublin, de l'institut Max PlanckMax Planck à Leipzig (non associé à cette étude). « Il a sans doute existé tout un art rupestre pré-Chauvet [dont les peintures datent de 30.000 ans], mais il a malheureusement complètement disparu. »


    500.000 ans : le plus vieux griffonnage du monde ?

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 11/12/2014

    De curieux sillons rectilignes rayant une coquille sont manifestement l'œuvre d'une main. Mais la datation -- 500.000 ans -- étonne : elle fait de son auteur un Homo erectus. Cet ancêtre de l'Homme n'était pas censé réaliser ce genre d'abstraction. Quelle est donc la signification de ce tracé méticuleux ? Nul ne le sait.

    Annoncée dans la revue Nature, la découverte a été réalisée sur une sorte de moule d'eau douce d'une collection récoltée... dans les années 1890 à Java, en Indonésie, par le paléontologuepaléontologue hollandais Eugène Dubois. Examinée dans les années 1930, elle a rejoint le musée de Leiden (Naturalis Museum, Pays-Bas).

    Les coquillages fossilisés y sont restés, anonymes, jusqu'aux années 2000 quand Josephine Joordens, de l'université de Leiden, entreprend leur étude, il y a sept ans. C'est un collègue archéologue qui repérera de curieuses petites marques géométriques sur l'une des coquilles, des lignes droites formant une sorte de zigzag, visibles seulement sous un éclairage oblique.

    Des lignes bien droites, régulières forment un tracé en zigzag, à peine visible. Un de nos lointains ancêtres les a gravées sur l’extérieur d’une coquille. Qu’avait-il en tête ? © Wim Lustenhouwer, <em>VU University Amsterdam</em>

    Des lignes bien droites, régulières forment un tracé en zigzag, à peine visible. Un de nos lointains ancêtres les a gravées sur l’extérieur d’une coquille. Qu’avait-il en tête ? © Wim Lustenhouwer, VU University Amsterdam

    Des coquilles soigneusement travaillées par Homo erectus

    L'étude exclut la possibilité que ces traces aient été créées par un animal ou un phénomène physiquephysique quelconque. Les traits sont réguliers et rectilignes, « sans discontinuité au niveau des changements de direction ». Au moment où ils ont été tracés sur l'animal juste ouvert, ces motifs devaient apparaître comme des lignes blanches sur un fond noir.

    D'autres coquilles, provenant du même endroit, portent des trous circulaires de quelques millimètres, qui semblent avoir été réalisés avec un outil pointu. Ce qui, pour Josephine Joordens, suggère que ces perforations ont été pratiquées intentionnellement pour ouvrir ces bivalves d'eau douce et en extraire la chair.

    Deux méthodes de datation différentes, appliquées aux sédimentssédiments contenus à l'intérieur, à l'université libre d'Amsterdam (VU) et à l'université de Wageningen, conduisent à un âge compris entre 430.000 et 540.000 ans. C'est énorme, car les plus anciennes créations artistiques confirmées datent de 40.000 ou 50.000 ans et sont attribuées à Homo sapiens, c'est-à-dire notre propre espèceespèce. D'autres, trouvées à Gibraltar, à peine plus vieilles et encore controversées, pourraient être le fait de l'Homme de Néandertal et celles, de près de 100.000 ans, découvertes en Afrique du Sud, sont toujours sujettes à débat. Il y a 500.000 ans, H. sapiens n'existait pas et c'est son ancêtre H. erectus qui arpentait ces régions, une espèce d'ailleurs découverte par le même Eugène Dubois, également à Java.

    En a et b, la vue générale de la coquille du mollusque d’eau douce et la reproduction du tracé. En c et d, les détails du dessin. Les barres d’échelle représentent 1 cm dans les figures a et c, et 1 mm en d. © Josephine C. A. Joordens <em>et al.</em>, <em>Nature</em>

    En a et b, la vue générale de la coquille du mollusque d’eau douce et la reproduction du tracé. En c et d, les détails du dessin. Les barres d’échelle représentent 1 cm dans les figures a et c, et 1 mm en d. © Josephine C. A. Joordens et al., Nature

    Les auteurs de l'étude ne donnent aucune conclusion sur la signification de ces minuscules gravuresgravures d'environ un centimètre. Rien n'indique qu'il s'agisse de ce nous appelons l'art. Mais même le trou, avec une position précise (par rapport au muscle) et un bord franc, exige une dextérité manuelle inattendue chez H. erectus. Pourquoi, dans ce cas, n'a-t-on jamais rien trouvé de semblable parmi les restes fossilisés de cette espèce ?

    C'est la principale critique faite à cette découverte, et devant laquelle les auteurs soulignent la difficulté rencontrée pour repérer ces modestes tracés, qui auraient pu rester inaperçus. H. erectus, « l'Homme debout » qui maîtrisait le feu, ancêtre de H. neanderthalensis et de H. sapiens, avait-il des capacités cognitives supérieures à celles qu'on lui prête aujourd'hui ?