Il habitait une région aujourd'hui connue sous le nom de Blombos, à 300 km à l'est de Cape Town, en Afrique du Sud. Ses passes temps : la décoration et la gravure. Il marquait de l'ocre rouge et des fragments d'os de manière géométrique. Un art qui aujourd'hui lui vaut son entrée dans la catégorie "homme moderne" et les colonnes du magazine Science. Son originalité ? Cet artiste vivait il a plus de 77 000 ans.

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    De gauche à droite et de haut en bas. Fragments d'osgravés, carte, pointes d'os gravées, fragments d'ocre avec formes géométriques.Crédit : National Science Foundation

    De gauche à droite et de haut en bas. Fragments d'osgravés, carte, pointes d'os gravées, fragments d'ocre avec formes géométriques.Crédit : National Science Foundation

    Menées par Christopher Henshilwood, professeur à l'Université de New York, les recherches dans une grotte de Blombos ont permit de mettre au jour des pointes en os, de quartzite et de silcrète taillés (conglomérats de silice), mais également des fragments d'ocres de cinq à sept centimètres de long piégées dans une couche sédimentaire (voir photos).

    Un langage syntaxique

    Mieux que de représenter la nature ou ses animaux, les dessins évoquent des formes géométriques. Pour Christopher Henshilwood, "ils ont sûrement été dessinés dans un but symbolique ... La transmission et le partage de la signification des symboles gravés sur ses ocres démontrent, de façon discutable, l'acquisition d'une forme de langage syntaxique." Une manière de transmettre son savoir ?

    Une découverte qui délivre surtout une information capitale : l'Homme de Blombos avait un comportement "moderne". En effet, pour les spécialistes de Préhistoire, les objets découverts sont révélateurs d'une pensée artistique. Ici, l'Homme ne s'est pas contenté de les posséder, il les a travaillés, gravés, sculptés. Jusqu'ici, même si on admettait que l'homme moderne était apparu en Afrique et au Moyen Orient il y a 100 000 ans environ, les scientifiques s'opposaient sur la naissance d'un comportement "moderne" en plus d'une anatomieanatomie "moderne".

    Une lumière de 77 000 ans

    La première datation au carbone 14datation au carbone 14 a d'ailleurs révélé un âge supérieur à 40 000 ans pour les couches archéologiques entourant les fragments. Mais les fragments de Blombos repousse ces limites à 77 000 ans environ. Les chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE, unité mixte du CEA et du CNRS) et leurs homologues américains, sud-africains et britanniques ont confirmé l'ancienneté des fragments en utilisant la méthode de la thermoluminescencethermoluminescence.

    La thermoluminescence est un phénomène naturel. Elle représente l'accumulation par les matériaux de la radioactivitéradioactivité naturelle dans les défauts de la structure cristalline. Elle s'applique notamment à des matériaux ou objets ayant été chauffé - par exemple dans un foyer préhistorique - avant enfouissement. A chaque chauffe de plus de 500°C, la dose enregistrée par le minéralminéral est "remise à zéro". Un principe qui permet ensuite d'évaluer le temps écoulé depuis le fonctionnement du foyer par l'échantillon, pendant son séjour dans la couche archéologique.

    Une fois enfouis, les fragments de Blombos ont donc accumulé de nouveau la radioactivité ambiante, transmise par les sédimentssédiments qui les entouraient. Après leur mise au jour par les archéologues, ils ont été soumis à une nouvelle chauffe en laboratoire et ont libéré les électronsélectrons piégés en restituant une lumièrelumière qui a permis de les dater. Si la datation des fragments est ici difficilement contestable, c'est essentiellement parce qu'ils ont été emprisonnés dans une couche de cendre et de sablesable, très proche du foyer préhistorique, mais surtout non perturbée.

    Physiquement et mentalement moderne

    Parce que cet homme aurait vécu il y a 77 000 ans, il alimente le débat sur les origines du comportement moderne de l'Homme "moderne". Ce dernier était-il déjà capable de pensées artistiques en même temps que son anatomie s'est développée ? Un débat qui entre dans le programme du CNRS et de l'European Science Foundation, "Origine de l'homme, des langues et du langage".

    Pourtant, il y a une vingtaine d'années seulement les archéologues s'accordaient à penser que les premiers hommes modernes - dans leur comportement et leur anatomie - étaient apparus en Europe, il y a 40 000 ans. Ultérieurement, des recherches menées en Afrique du Sud et au Moyen-Orient, ont repoussé les limites de cette naissance vers - 100 000 ans. Sujet de discorde : cet homme était-il moderne également dans son comportement ou seul son anatomie était évoluée ? Les découvertes de Blombos font pencher la balance vers la théorie "progressiste".