Découvert dans les fameux schistes de Burgess, un arthropode fossile étrange, avec un blindage et deux pinces coupantes, nous éclaire sur l'origine des crustacés et de insectes. Comme eux, il possède des mandibules. De quoi mieux comprendre l'étonnante diversification qui s'est déroulée dans les mers il y a un demi-milliard d'années.

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    Il y a environ 542 millions d'années, au Cambrien et au début de l'ère du Paléozoïque, l'évolution des animaux semble s'accélérer brutalement, avec l'apparition soudaine d'animaux complexes aux restes minéralisés. Dans le même temps disparaît la faune des édiacariens, paisibles flitreurs de plancton ou brouteurs de films bactériens. C'est du moins ce que laissent penser les archives géologiques actuelles. Cette diversification est qualifiée d'« explosion cambrienne » car elle s'est produit en quelques millions d'années, ce qui est très court à l'échelle de temps de la Terre.

    C'est peut-être l'évènement évolutif le plus important de l'histoire de la vie. Il fascine les paléontologuespaléontologues, notamment parce qu'on y trouve des formes vivantes passablement étranges, comme Hallucigenia et Opabinia, dont certaines semblent être restées sans descendance, mais aussi parce que c'est à ce moment que les plans d'organisation des animaux d'aujourd'hui se mettent en place. Au sein de cette faune apparaissent le squelette externesquelette externe avec pattes articulées, les yeuxyeux pédonculés, les coquillescoquilles et la « chordechorde » (longeronlongeron dorsaldorsal qui, plus tard, se complètera chez l'embryonembryon par une colonne vertébralecolonne vertébrale).

    Le paléontologue Cédric Aria (à gauche) et d'autres membres de son équipe explorant les couches de schiste du site de la carrière de Marble Canyon dans l'espoir de révéler de nouveaux fossiles. © Jean-Bernard Caron

    Le paléontologue Cédric Aria (à gauche) et d'autres membres de son équipe explorant les couches de schiste du site de la carrière de Marble Canyon dans l'espoir de révéler de nouveaux fossiles. © Jean-Bernard Caron

    Tokummia katalepsis, grand-papa ou grand-oncle des insectes et des crustacés

    On a pris conscience de cette extraordinaire floraison de la vie grâce aux fossilesfossiles qui ont été trouvés par Charles Doolittle Walcott en 1909 en étudiant les schistesschistes noire de la carrière Walcott située non loin du mont Burgess, dans le parc national Yoho, en Colombie-Britannique. Ces schistes de Burgess se trouvent dans d'autres sites du Canada, comme ceux près de Marble Canyon dans le parc national de Kootenay, toujours en Colombie-Britannique.

    Or, justement, des paléontologues de l'université de Toronto et le Musée royal de l'Ontario viennent de décrire dans un article de Nature une découverte importante faite dans les schistes de Marble Canyon. Elle devrait nous permettre de mieux comprendre comment se sont installés sur l'arbrearbre de la vie les mandibulés, ou mandibulates. Comme leur nom l'indique, ces animaux sont armés de mandibulesmandibules, pinces coupantes voisinant la bouche.


    Une reconstitution en image de synthèse de Tokummia katalepsis sur les fonds marins du Cambrien. © Royal Ontario Museum

    Ce groupe, qui contient des millions d'espècesespèces, est l'un des plus abondants et des plus diversifiés sur Terre. Il comprend les hexapodeshexapodes (dont les insectesinsectes), les crustacéscrustacés et les myriapodes (mille-pattesmille-pattes). C'est donc donc un sous-ensemble d'une vaste famille : les arthropodesarthropodes, avec leur cuticulecuticule et leurs pattes articulées. Aujourd'hui, quand un arthropode n'est pas mandibulé, c'est un chélicératechélicérate, c'est-à-dire un scorpion ou une araignéearaignée, lesquels ont eux aussi une arme redoutable : les chélicèreschélicères.

    La trouvaille des chercheurs a été baptisée Tokummia katalepsis, car cet arthropode fossilisé a été retrouvé près du ruisseau Tokumm Creek, qui traverse le Marble Canyon, et parce que le grec katalepsis signifie « saisir ». Tout comme les anomalocarides du Burgess, l'animal devait être l'un des grands prédateurs des mers tropicales du Cambrien. Long de plus de 10 cm, il devait être, vu son anatomieanatomie pataude, un nageur occasionnel vivant sur le fond, un peu comme nos homards et crevettes. Mais c'était il y a 508 millions d'années.

    Les pinces de <em>Tokummia katalepsis</em> sont bien visibles sur ce fossile. © Jean-Bernard Caron

    Les pinces de Tokummia katalepsis sont bien visibles sur ce fossile. © Jean-Bernard Caron

    En plus de ses mandibules Tokummia katalepsis était doté de pinces de grandes tailles, à l'extrémité de deux appendices antérieurs. Ces outils semblent trop fragiles pour être utiles à autre chose que se saisir de proies dépourvues de coquilles ou d'exosquelettes. Son corps possédait plusieurs segments rappelant celui des mille-pattes.

    Selon les chercheurs, Tokummia katalepsis complète grandement les découverts passées d'autres arthropodes de type crustacé présents dans les schistes de Burgess. Avec eux, il semble former un groupe à la base de l'évolution de tous les mandibulés. Cet éclaircissement n'est pas anecdotique car la diversification rapide des arthropodes et l'apparition des grands groupes actuels, sans oublier les défunts trilobites, restent emplies de mystères.

    Un autre fossile de <em>Tokummia katalepsis</em>.© Jean-Bernard Caron

    Un autre fossile de Tokummia katalepsis.© Jean-Bernard Caron

    Le saviez-vous ?

    « Schistes de Burgess » est le nom donné à un petit dépôt de schistes découvert en Ontario, au Canada, en 1909. Entre les structures en feuilles apparaissent des restes d'animaux marins, probablement écrasés sous une coulée de boue. Les parties molles ont été en partie conservées mais il a fallu du temps pour retrouver les formes de ces organismes, qui ont été complètement aplatis, souvent en plusieurs morceaux, jusqu'à apparaître comme des dessins.

    Datée d'un peu plus de 500 millions d'années, c'est-à-dire après l'explosion cambrienne, cette faune s'est révélée très originale après une relecture des fossiles dans les années 1970. On y trouve des organismes très différents des animaux actuels, qui ont donc complètement disparu, mais aussi des structures ou des plans d'organisation qui existent dans la faune d'aujourd'hui. Les recherches se poursuivent et de nombreux paléontologues se passionnent toujours pour cet endroit, notamment le Français Jean-Bernard Caron, qui travaille au Musée royal de l'Ontario.