La mission Hess Deep Plutonic Crust aura duré presque deux mois. Les scientifiques à bord du JOIDES Resolution ont foré la croûte océanique en vue d’obtenir des échantillons de gabbros, ces roches magmatiques primitives. Jean-Luc Berenguer, enseignant de SVT à bord du navire, partage avec Futura-Sciences les derniers forages, avant le retour vers les terres.

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    Au laboratoire de géochimie, les poudres de roches sont analysées minutieusement. Il s'agit des poudres de gabbros du dernier carottage de la mission Hess Deep Plutonic Crust qui aura foré pendant deux mois le plancher océanique au rift du Hess Deep. © Jean-Luc Berenguer

    Au laboratoire de géochimie, les poudres de roches sont analysées minutieusement. Il s'agit des poudres de gabbros du dernier carottage de la mission Hess Deep Plutonic Crust qui aura foré pendant deux mois le plancher océanique au rift du Hess Deep. © Jean-Luc Berenguer

    À bord du JOIDES Resolutionles derniers forages sont réalisés. En mer depuis le 13 décembre 2012, les scientifiques cherchaient à atteindre la croûte océanique inférieure. Elle caractérise la couche où la roche magmatique a cristallisé lentement, et formé du gabbro.

    Le forage de ces roches primitives éclairera les chercheurs sur le mode de fabrication de la croûte océanique au niveau des dorsales rapides. Au rift du Hess Deep, trois plaques tectoniques convergent, rendant l'accès à la croûte inférieure plus facile.

    <br />Cône d’entrée du puits 345 U1415 P par 4.863 mètres de fond. Il s’agit du dernier puits foré au cours de l’expédition. © IODP

    Cône d’entrée du puits 345 U1415 P par 4.863 mètres de fond. Il s’agit du dernier puits foré au cours de l’expédition. © IODP

    « On n'y croyait plus », s'exprime Jean-Luc Berenguer. Les opérations de forage au rift du Hess Deep se révèlent à nouveau fructueuses. Après l'abandon de plusieurs sites bien trop instables, le navire scientifique JOIDES Resolution est parvenu à forer un dernier puits. Les roches ont à nouveau rejoint le pont du bateau. Il a toutefois été difficile d'opérer une entrée stable dans ce dernier puits de l'expédition 345. Le cônecône d'entrée a finalement été mis en place sur les pentes abruptes du rift du Hess Deep. Une fois les tiges de forage mises en place, avec un trépantrépan tout neuf, elles se sont mises en rotation.

    « Des gabbros et rien que des gabbros ! »

    Pour cette première carottecarotte du puits P, les roches n'ont pas de nature précise. Elles peuvent venir de roches en place ou d'éboulis dus à l'ouverture du puits. Cette carotte sera donc désignée par l'appellation « ghost » (fantôme en anglais). En général, les roches recueillies fournissent tout de même des informations précises. Mais finalement, lorsque la première carotte baptisée 345 U1415 P 1G a été extraite, la nouvelle est tombée : des gabbros et uniquement des gabbros ! C'est bien la zone profonde de la croûte qui a été forée.

    Arrivée d’une carotte. Premier examen des échantillons par les structuralistes. © Jean-Luc Berenguer

    Arrivée d’une carotte. Premier examen des échantillons par les structuralistes. © Jean-Luc Berenguer

    Pourquoi 345 U1415 P 1G ? La référence d'une carotte indique diverses informations : 345 caractérise le numéro de l'expédition du JOIDES Resolution. U1415 désigne le site. La lettre P rappelle le puits foré. Le numéro 1 indique qu'il s'agit de la première carotte obtenue de ce puits. Et la lettre G signifie ghost.

    Changement de trépan pour extraire les ultimes carottes

    Les carottes se suivent à un bon rythme. « Le sourire est revenu chez les scientifiques. Des gabbros tout frais nous parviennent et remplissent les tables du laboratoire. La croûte profonde se dévoile enfin », commente Jean-Luc Berenguer. Les équipes s'activent autour des microscopesmicroscopes, ou des machines de toute sorte. « Il faut analyser toutes ces roches inédites qui interpellent nos spécialistes... qui n'en sont pourtant pas à leur première observation ! », renchérit-il.

    <br />Pour chaque carotte de roches, on envoie un cylindre (<em>core barrel</em>) par 5.000 m de fond. © Jean-Luc Berenguer

    Pour chaque carotte de roches, on envoie un cylindre (core barrel) par 5.000 m de fond. © Jean-Luc Berenguer

    Le trépan avance dans les profondeurs du plancher océanique. Déjà deux jours de forage, il va falloir changer le trépan de forage usé par les multiples rotations dans les roches dures. C'est un moment délicat, car il faut remonter tout le train de tiges sur le bateau et donc quitter le puits. Après avoir changé le trépan, on redescend le train de tiges pour l'insérer à nouveau dans le puits en s'aidant du cône de ré-entrée, fixé sur le plancherplancher océanique. Rappelons que les opérateurs sur le bateau sont séparés de l'entrée du puits par 5.000 m d'eau.

    À terre, qu’adviendra-t-il des gabbros ?

    La nouvelle carotte sera un encore un « ghost », mais avec quand même des échantillons de gabbro. La vie du laboratoire est à nouveau rythmée par l'arrivée des carottes. La fin des opérations approche et il faudra rapidement quitter le site. Le puits aura été foré sur près de 108 m... Jean-Luc Berenguer précise : « on aura ramené de ce puits 25 carottes de gabbros » !

    Le retour à terreterre est proche, et l'on commence à songer aux études qu'il faudra mener dans les laboratoires. Les équipes s'organisent autour des projets de recherche. Jean-Luc Berenguer décrit : « les chercheurs auront le privilège des échantillons pendant un an. Un an pour des études qu'ils mèneront dans leurs laboratoires respectifs, puis ce sera le temps des publications. De nouvelles données sur la croûte océanique viendront compléter nos connaissances. Ainsi va la science... Aura-t-on à réécrire les manuels scolaires ? »