Simplement en étudiant le comportement d’un jet de sable sur une cible, des physiciens américains pensent avoir mieux compris comment se comportait le plasma de quarks et de gluons existant dans l’Univers un millionième de seconde après le Big Bang.

au sommaire


    C'est le genre de découverte qu'aurait particulièrement apprécié Pierre-Gilles de Gennes, lui qui aurait déclaré : « Le jour où on comprendra vraiment la physique du tas de sablesable, on aura fait un pas gigantesque ». Ce grand chercheur défendait l'usage de l'imagination, jointe à un fort sens physique, contre les approches onéreuses et lourdes de certaines expériences en physique.

    Au départ, Sidney Nagel et Heinrich Jaeger voulaient juste faire une expérience concernant le comportement physique de la matière ultra-divisée, le genre de physique qui intervient dans certains processus industriels ou dans le comportement des dunes de sable et des avalanchesavalanches.

    Le principe était simple. On prenait de la poudre constituée de petites particules de verre ou de cuivre, ou encore du sable, que l'on propulsait avec de l'air pour former un jet en direction d'une cible en forme de disque. Une caméra électronique à prises de vue rapides enregistrait alors ce qui se passait en fonction de la taille de la cible, du diamètre du jet et surtout de sa densité.

    Lorsque le jet est dense et de diamètre inférieur à la cible, les particules se comportent comme dans un liquide et partent à 90°. Crédit : Nagel et Jaeger

    Lorsque le jet est dense et de diamètre inférieur à la cible, les particules se comportent comme dans un liquide et partent à 90°. Crédit : Nagel et Jaeger

    De façon a priori surprenante, mais pas tant que ça si l'on y réfléchit bien, le comportement des particules lors de la collision reproduisait celui d'un liquide. Ainsi, lorsque le jet était suffisamment dense et que la cible avait un diamètre supérieur à celui-ci, les particules après collision se répartissaient très majoritairement dans des directions orthogonales au jet. Mieux, lorsque la cible était plus petite que le diamètre du jet, alors les particules après collision formaient une sorte d'écoulement en forme de cloche autour de la cible, encore une fois en suivant les mêmes lois que pour un jet d'eau.

    Lorsque la densité de particules du jet diminue, le comportement liquide fait place à un comportement gazeux rappelant un feu d'artifice. Crédit : Nagel et Jaeger
    Lorsque la densité de particules du jet diminue, le comportement liquide fait place à un comportement gazeux rappelant un feu d'artifice. Crédit : Nagel et Jaeger

    Les atomesatomes et les moléculesmolécules dans un liquide exercent des forces entre eux. Ce n'est pas vraiment le cas ici pour des particules de sable mais lorsqu'une certaine densité est atteinte, des collisions entre les grains se produisent et un comportement collectif peut émerger, donnant lieu à des phénomènes reproduisant le comportement des fluides. C'est bien ce qui semble se passer ici pour les chercheurs.

    L'unité de la physique

    Ce qui les a le plus frappés, c'est le lien inattendu entre cette simple expérience et une autre considérablement plus compliquée, exotiqueexotique et surtout onéreuse : celle ayant eu lieu en 2005 avec des faisceaux d'ionsions lourds à RHIC.

    Le Relativistic Heavy Ion Collider (RHIC) fait partie du Brookhaven National Laboratory et son but est de comprendre ce qui s'est passé 10-6 seconde après le Big BangBig Bang lorsque la température et la pressionpression régnant dans l'UniversUnivers ont chuté suffisamment pour que des gouttes de liquide nucléaire, les protonsprotons et les neutronsneutrons, se condensent à partir d'un plasma de quarks et de gluons. De nos jours c'est en utilisant des faisceaux d'ions lourds que l'on essaie de reconstituer cette transition de phasetransition de phase qui doit se produire quand deux ions d'or rentrent violemment en collision avec l'énergieénergie adéquate.

    Selon les théoriciens et les simulations sur ordinateurordinateur, il aurait dû se former une sorte de boule de feufeu constituée temporairement d'un gazgaz de gluonsgluons et de quarksquarks libres. Or, d'après les mesures, cette concentration temporaire d'un très grand nombre de particules se comportait plutôt comme une petite bulle de liquide.

    De façon remarquable, l'un des paramètres décrivant le comportement du liquide trouvé dans l'expérience de RHIC a la même valeur que dans l'expérience de Nagel et Jaeger, alors que l'on a affaire à un phénomène quantique décrit par les équationséquations de la QCD (chromodynamique quantiquechromodynamique quantique) dans le premier cas, et un phénomène décrit par les équations de la mécanique des fluides classique dans le second cas.

    Quelle merveilleuse preuve de l'unité et de la cohérence des lois de la Physique. Quelles que soient les échelles et les systèmes, certaines formes de structures mathématiques et physiques s'appliquent encore et toujours. Après tout, n'est-ce pas probablement en comparant l'écoulement du sable avec celui d'un liquide que Démocrite avait eu l'intuition visionnaire de la structure atomique de la matière ?