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    Introduction

    Introduction

    Avec le temps et grâce à de nouvelles décou­vertes, certains thèmes de l'art pariétal ou mobi­lier se révèlent être plus nombreux et avoir une dispersion beaucoup plus vaste qu'on ne le croyait au début. Au-delà de leur importance intrinsèque, cette multiplication renouvelle leur intérêt et ouvre des perspectives nouvelles sur leur signifi­cation.

    Ainsi, au cours des dernières années, il est apparu que les signes géométriques de type PlacardPlacard, initialement connus dans le seul Quercy, à Pech-Merle et à Cougnac, se trouvaient aussi en Charente (Le Placard) et jusqu'en Provence (Cosquer).

    Les dates obtenues dans ces deux der­nières grottes permettent de les placer au Solutréen, ce qui n'est pas incompatible avec les données des cavernes lotoises (Clottes, Duport, Feruglio, 1990, 1991 ; Clottes, Courtin, Collina­Girard, 1996). Dans leur cas, un signe auquel avait été attribuée une étroite valeur de marqueur eth­nique (Leroi-Gourhan, 1981) appartiendrait donc plutôt à des groupes contemporains divers, répan­dus sur de vastes territoires, ce qui témoigne une fois de plus de la diffusion des croyances et des pratiques cultuelles.

    Le thème du faon à l'oiseauoiseau, lui aussi attesté sur plusieurs sites, pose des problèmes d'un autre ordre. Comme le précédent, il semble bien carac­térisé dans le temps,dans ce cas le Magdalénien moyen (Labastide, Le Mas-d'Azil, Saint-Michel­-d'Arudy). Celui de Bédeilhac est lui aussi magda­lénien, mais il pourrait appartenir tout autant au Magdalénien final qu'au Magdalénien moyen, puisque ces deux étapes sont bien représentées dans cette caverne. Cependant, la répartition de ce thème est beaucoup plus homogène que celle du signe pré-cité, car on ne le connaît jusqu'à présent que dans les Pyrénées, où les exemplaires les plus éloignés se trouvent à environ 250 km les uns des autres.

    Ce fut la découverte par Marthe et Saint-Just Péquart du faon aux oiseaux du Mas-d'Azil, en 1940 qui popularisa ce thème si extraordinaire : un faon qui tourne la tête pour observer deux oiseaux perchés sur la matière qui sort de son corps (fig. 1).

    Fig 1 - Le faon aux oiseaux du Mas-d'Azil. D'après Péquart, p; 297, fig 204-205.

    Fig 1 - Le faon aux oiseaux du Mas-d'Azil. D'après Péquart, p; 297, fig 204-205.

    En 1950, Romain Robert découvrit celui de Bédeilhac, stupéfiant de ressemblance : même sujet et attitude comparable, à part la position des jambes, repliées à Bédeilhac alors qu'elles sont tendues au Mas-d'Azil, et la présence d'un seul oiseau à Bédeilhac au lieu de deux (fig. 2).

    Fig 2 - Le faon à l'oiseau de Bédeilhac. D'après Robert, Malvesin-Fabre et Nougier 1953. p. 188, pl. VIII

    Fig 2 - Le faon à l'oiseau de Bédeilhac. D'après Robert, Malvesin-Fabre et Nougier 1953. p. 188, pl. VIII

    En 1988, Bandi fit remarquer que, sur une sculpture de Saint-Michel-d'Arudy (fig. 3),

    Image du site Futura Sciences

    Fig 3 - Le faon à de Saint-Michel-d'Arudy. D'après Catelain, 1979. p.19, fig5. Relevé C. Bellier

    Fig 3 - Le faon à de Saint-Michel-d'Arudy. D'après Catelain, 1979. p.19, fig5. Relevé C. Bellier

    malheureuse­ment brisée à la tête, découverte par Félix Mascaraux au début du siècle (Mascaraux, 1910) et plusieurs fois rapprochée des deux autres (Robert et al., 19531 ; Péquart, 1963, p. 301 ; Camps, 1979 ; Cattelain, 1979), la matière expul­sée du corps de l'animal était localisée à la vulvevulve et non à l'anusanus (Bandi, 1988, p. 138). Cattelain (1979, p. 20) avait déjà remarqué que «le boudin de matière fécale jaillit d'un point situé en dessous de l'anus du bouquetinbouquetin», mais sans en tirer de conclusions, car l'hypothèse d'un animal faisant ses besoins était alors couramment admise. Enfin, en 1991, Robert Simonnet signalait un autre faon découvert par son père Georges, à Labastide (Hautes-Pyrénées), en 1947 (fig. 4); l'attitude du corps est très voisine, mais l'absence de la tête et une malencontreuse cassure au niveau de la queue empêchent une identification sans réserve aux trois autres, malgré de nombreux détails communs.

    Fig 4 - Le faon de Labastide. D'après Simonnet, 1991. p.135, Fig 2

    Fig 4 - Le faon de Labastide. D'après Simonnet, 1991. p.135, Fig 2

    Ces quatre pièces partagent en effet les élé­ments suivants: identité du support (boisbois de rennerenne), de l'objet (extrémité de propulseur avec crochet sur l'arrière-train), de la technique (ronde­-bosse), thème de l'animal jeune (faon), relief du dosdos souligné (par une ligne à Bédeilhac, à Labastide et au Mas-d'Azil, par un guillochage à Saint-Michel-d'Arudy et à Labastide), stries parallèles sur le crochet (ou sur les oiseaux).

    L'excellente conservation des exemplaires du Mas-d'Azil et de Bédeilhac a permis de relever entre eux d'autres détails communs que tous les auteurs ont mis en évidence: cabochons pour les yeuxyeux; gros boudin sortant du corps ; présence d'un (Bédeilhac) ou de deux oiseaux (Mas-­d'Azil) perchés sur ce boudin ; tête tournée vers l'arrière.

    L'exemplaire de Saint-Michel-d'Arudy se trou­vait dans la couche inférieure du site (Mascaraux, 1910. En revanche, le faon aux oiseaux du Mas­-d'Azil fut découvert intact à l'entrée d'un petit réduit de la Galerie des Silex ; celui de Bédeilhac avait été déposé dans un boyau rampant, à même l'argileargile du sol (Robert, 1953, p. 12), hors de tout contexte archéologique, même s'il se trouvait «à proximité d'un des nombreux habitats» de cette immense caverne (Thiault, 1996, p. 75) ; enfin, celui de Labastide était «dans un contexte de sanctuaire» (Simonnet, 1991, p. 142).

    Une valeur toute particulière semble donc avoir été attribuée à ces objets. En outre, à tort ou à raison, leur carac­tère fonctionnel a été plusieurs fois mis en doute à cause de leur gracilité (Robert, 1953, p. 14 ; Péquart, 1963, p. 295 ; Simonnet, 1991, p. 142). Celui de Bédeilhac aurait même été «un objet neuf qui n'a pas ou presque pas été utilisé» et qui aurait été «brisé pour des raisons et dans des cir­constances inconnues» (Thiault, 1996, p. 79). (Ces auteurs ont également signalé plusieurs autres sculptures qui, selon eux, appartiendraient au même thème, sur les sites d'lsturitz, du Mas-d'Azil et d'Arudy, mais sans emporter l'adhésion, faute de la présence d'éléments anatomiques déterminants.)

    Ces découvertes ouvrent des perspectives sur l'univers conceptuel des Magdaléniens, ce qui en fait tout l'intérêt, et elles posent un certain nombre de questions que nous allons aborder maintenant.

    Toutefois, avant de traiter de ces problèmes et pour éclairer notre propos, nous insisterons une fois de plus sur le caractère naturaliste de l'art magdalénien.

    Les Magdaléniens, comme leurs prédécesseurs, représentaient avec le talent qu'on leur connaît une réalité animale dont ils maîtri­saient toutes les subtilités. Il est arrivé que, dans certains cas, pour des raisons techniques de contraintes du support, ou pour exagérer un carac­tère discriminant, ou encore quand ils ont été vic­times d'une illusion d'optique universelle (galop volant des chevaux, par exemple), ils soient sortis du strict naturalisme. Mais lorsque certains détails, qui peuvent nous paraître étranges a prio­ri, sont reproduits à plusieurs reprises, l'hypothè­se d'une erreur d'observation est de loin la moins vraisemblable. Elle aurait éclaté aux yeux de tous les contemporains qui connaissaient à la perfec­tion les particularités anatomiques des animaux et les gestes qui traduisaient leur comportement dans les diverses circonstances de leur vie.