À l'occasion des deux ans du film Tenet de Christopher, ce nouvel épisode de « Science, ça tourne ! » se propose d'explorer les façons de mettre en scène les voyages temporels. Tenet en est un exemple atypique : il repose sur la notion d'inversion temporelle, légèrement différente de l'image classique que l'on peut avoir du voyage dans le temps.


au sommaire


    Voilà deux ans que Tenet est sorti au cinéma, avec une fois encore, des jeux sur la notion du temps. Après Interstellar ou Memento, pour lesquels le temps n'est pas ou ne paraît pas non plus linéaire, Nolan joue cette fois sur autre chose pour déformer la temporalité : l'entropie. Mais d'autres façons de voyager dans le temps existent dans la science-fiction. Certaines jouent sur des univers parallèles, d'autres sur l'idée d'un destin qui comprend tous les voyages temporels effectués. D'autres, enfin, subissent des paradoxes !

    « Tenet » : l'inversion temporelle, qui utilise l'entropie

    Commençons par l'un des plus à part : Tenet. Sorti le 26 août 2020, il repose sur le principe d'inversion temporelle : plutôt que de créer une  machine à voyager dans le temps, des scientifiques ont créé, ou plutôt vont créer une façon d'inverser l'entropie de la matière. Ainsi, lorsqu'une personne par un dispositif constitué d'un tourniquet, puis d'une pièce dont on ne sait pas ce qu'elle contient, voit son entropie inversée, tout fonctionne à l'envers pour elle, y compris le temps.

    Mais tout d'abord, définissons l'entropie. C'est une grandeur utilisée en thermodynamique, notée S, et définie en Joule par KelvinKelvin (J/K). Elle caractérise le degré de désordre d'un système, ou de désorganisation. On parle aussi de dispersion de l'énergieénergie :  plus elle est dispersée, plus l'entropie est grande. Or, un système tend toujours vers une situation d'équilibre, donc une situation où l'énergie est très dispersée.

    Le refroidissement des glaçons augmente l'entropie de l'eau, qui passe d'un état stable (molécules d'eau immobiles) à désordonné. L'entropie augmente de manière générale lorsqu'un système passe dans un état de plus en plus désordonné. © VectorMine, Adobe Stock
    Le refroidissement des glaçons augmente l'entropie de l'eau, qui passe d'un état stable (molécules d'eau immobiles) à désordonné. L'entropie augmente de manière générale lorsqu'un système passe dans un état de plus en plus désordonné. © VectorMine, Adobe Stock

    Ainsi, dans le temps, le deuxième principe de la thermodynamique énonce que l'entropie d'un système isolé ne peut qu'augmenter ou rester constante, mais pas diminuer. Lorsque ce système interagit avec l'extérieur, son entropie peut diminuer, mais au prix de l'augmentation de celle de l'extérieur. Ainsi, on peut définir comme une « flèche du temps thermodynamique », qui impose le sens du temps selon la variation d'entropie : la valeur plus petite est toujours avant la valeur plus grande.

    Dans Tenet, tout repose sur l'inversion de cette entropie : au lieu d'augmenter, elle diminue. Ainsi, le temps, qui suit l'entropie, s'écoule lui aussi en sens inverse. Mais d'autres éléments physiquesphysiques se retrouvent changés : les flammes créent du froid, la vie avance dans le mauvais sens, la respiration se fait en inversé aussi, d'où la nécessité de respirer via des bouteilles d'oxygèneoxygène. Le film met ensuite en scène des combats avec des armées fonctionnant en inversion temporelle : passé et futur coexistent et se rejoignent au présent. Il en résulte une ligne temporelle (ou timeline) alambiquée pour les personnes utilisant ce dispositif, mais qui reste cohérente avec le monde environnant. Christopher Nolan ajoute aussi dans Tenet l'absence de libre arbitre : chaque personnage, quoiqu'il ait l'impression de décider, sera toujours amené à effectuer les actions futures qui ont influencé son passé. Grâce à ça, le film s'affranchit ainsi de nombreux paradoxes que peut causer un véritable voyage dans le temps

    Les paradoxes temporels : résolus par les multivers ?

    Car le concept de voyage dans le temps cause plusieurs paradoxes, dont le plus connu reste le paradoxe du grand-pèreparadoxe du grand-père : un voyageur temporel remonte dans le passé pour rencontrer son grand-père, et le tue avant qu'il ait pu concevoir ses enfants. Le voyageur n'aurait alors pas dû naître, puisque son grand-père n'a jamais donné naissance à un de ses parents. Mais dans ce cas, il n'aurait pas pu tuer son grand-père, s'il n'était pas né, et donc il aurait dû naître... on arrive à un paradoxe ! Un autre exemple est celui de l'écrivain, ou de prédestination : l'inventeur de la machine à voyager dans le temps l'utilise pour envoyer les plans de la machine à son lui du passé.

    Ce paradoxe est similaire à celui que l'on pourrait rencontrer dans Interstellar, si on suppose que les êtres ayant envoyé le trou de ver sont en fait les Terriens du futur. Dans ce cas, comment auraient-ils pu envoyer ce trou de ver sans avoir pu se sauver de la Terre avant, sachant que leur sauvetage nécessitait initialement l'envoi du trou de ver ? Il est encore présent par rapport aux coordonnées de la NasaNasa, envoyées par Cooper à la fin du film, depuis le tesseract : il n'a pu envoyer ces coordonnées à sa fille Murphy seulement parce qu'initialement il les avait reçues ! C'est le même problème qui est rencontré dans le troisième volet de la saga Harry Potter : il survit face aux détraqueurs grâce à un sauveur qui les envoie au loin, puis remonte dans le temps et devient lui-même le sauveur. Sa survie impliquant le sauveur, mais le sauveur impliquant sa survie, on arrive à une boucle de causalité insolvable.

    Dans une boucle de causalité, on ne sait plus où est la cause est où est l'effet : le principe de causalité est rompu. © Juicy Studios, Adobe Stock
    Dans une boucle de causalité, on ne sait plus où est la cause est où est l'effet : le principe de causalité est rompu. © Juicy Studios, Adobe Stock

    Pour cela, la théorie des mondes multiples vient résoudre le problème ! Tout du moins dans certains cas. Établie par le physicienphysicien et mathématicienmathématicien Hugues Everett pour répondre à la superposition d'états de la mécanique quantiquemécanique quantique, elle postule que chaque valeur d'un état quantique existerait dans un monde. Les multiples mondes parallèles qui en découlent résideraient au sein d'un seul univers quantique régi par une seule solution de l'équationéquation de Schrodinger : la fonction d'onde universelle. Dans ce cas, plus de paradoxe : à chaque fois qu'une timeline est modifiée, elle l'est en fait... dans un autre monde ! Cette idée est utilisée dans plusieurs films, notamment dans la saga Avengers. Cela ne résout cependant pas le problème des boucles temporelles.

    Ou plutôt, pour ça, on peut faire appel au principe d'auto-consistance, aussi appelé principe de cohérence, établi par le physicien Igor Novikov, qui stipule plus ou moins que ce qui est a toujours été. Autrement dit, le passé est impossible à changer, tout ce qui doit arriver arrivera. Quelles que soient les tentatives pour empêcher un événement, elles ne feront que précipiter le destin vers lui. C'est aussi cette idée qui est présente dans Tenet, et qui enlève le libre arbitre, car tout est déjà écrit dans la timeline au moment où les personnages la traversent !