Bien qu’abondant dans l’air, le dioxyde de carbone fabriqué industriellement connaît un grave déficit en Europe et menace toute l’industrie alimentaire, particulièrement friande de ce gaz industriel. En cause, le marché en crise de l’ammoniac, dont le CO2 est un sous-produit. 

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    Au Royaume-Uni, les bars et restaurants ne pourront bientôt plus servir qu'un maximum que 300 bouteilles de bière par jour. Rien à voir avec une quelconque mesure de prévention contre l’alcool. C'est une décision d'un fournisseur, Booker, en réponse à la pénurie de CO2 actuellement en cours en Europe.

    Car le dioxyde de carbonedioxyde de carbone, mal vu pour sa contribution à l'effet de serreeffet de serre, est pourtant un gaz très utile pour bon nombre d'industriels, dont les fabricants de boissons gazeuses. Le marché mondial du CO2 industriel est aujourd'hui estimé à 22 millions de tonnes par an, dont un quart en Europe. Il sert notamment de gaz réfrigérant dans les extincteurs, comme gaz propulseur pour les aérosols, la surgélation, le traitement des eaux uséeseaux usées, l'extraction supercritique ou l'inertage. L'essentiel de la demande provient toutefois de l'industrie agroalimentaire, pour l'emballage sous atmosphèreatmosphère modifiée, l'enrichissement de l'atmosphère des serres, la surgélation cryogénique et la fabrication des fameuses petites bulles des sodas. Coca-Cola est ainsi l'un des premiers clients d'AirAir LiquideLiquide, Linde ou Messer qui commercialisent le dioxyde de carbone.

    Si le dioxyde de carbone est présent partout dans l'air ambiant, c'est avec une concentration très faible, autour de 0,04 %. Pour l'exploiter de manière rentable, il faut donc le récupérer comme sous-produit chez d'autres industries chimiques, notamment les pétroliers et les fabricants d'ammoniacammoniac. Ce dernier, utilisé comme engrais azoté, est issu de la transformation de méthane et d'air et génère de l'hydrogènehydrogène et du CO2. La production d'une tonne d'ammoniac dégage ainsi 1,2 tonne de dioxyde de carbone. Ce dernier est ensuite purifié pour obtenir la qualité requise et livré sous pressionpression dans des bouteilles en acieracier.

    Le CO<sub>2</sub> est utilisé dans bon nombre de secteurs industriels, notamment l’agroalimentaire pour rendre pétillantes les boissons gazeuses. © <a href="https://www.messer.fr/les-applications-du-co2" target="_blank">Messer France</a>

    Le CO2 est utilisé dans bon nombre de secteurs industriels, notamment l’agroalimentaire pour rendre pétillantes les boissons gazeuses. © Messer France

    La majorité du CO2 industriel est un sous-produit de la fabrication d’ammoniac

    Or, depuis plusieurs années, les usines de production d'ammoniac européennes fermentferment les unes après les autres, concurrencées par l'offre à bas coût des producteurs de gaz naturel qui cassent les prix et encouragent les délocalisations. Du coup, elles n'hésitent pas à fermer lorsque leur activité est insuffisante. Chaque année, entre avril et juin, elles cessent habituellement leur activité pour des opérations de maintenance, puisque leurs clients principaux, les fabricants de fertilisants, connaissent eux un pic d'activité du mois d'août à l'hiverhiver. Manque de chance, cette année, les autres fournisseurs comme ceux issus de la production de bioéthanol se trouvent eux aussi contraints à des fermetures techniques. La situation serait ainsi « la pire qu'ait connue l'Europe depuis plusieurs dizaines d'années », selon le site spécialisé Gasworld.

    Situation d'autant plus critique qu'avec la vaguevague de chaleurchaleur, les fabricants de bière et sodas voient eux au contraire leurs besoins exploser. Sans compter l'effet Coupe du monde, qui fait traditionnellement augmenter les ventes. Le Royaume-Uni, qui ne dispose plus que d'une seule usine en activité, est particulièrement touché, mais tous les pays européens souffrent de la pénurie. Coca-Cola a ainsi annoncé avoir mis en pause certaines de ses usines et Heineken reconnaît qu'il pourrait devoir diminuer sa production tout en assurant « tout faire » pour continuer à approvisionner normalement ses clients.

    Et ils ne sont pas les seuls à être préoccupés. Les abattoirs, qui utilisent le gaz pour endormir les volailles avant de les tuer, se demandent comment ils vont pouvoir continuer correctement leur activité. Le poulet pourrait ainsi venir à manquer dans les McDonalds et autres KFC britanniques. Le supermarché en ligne Ocado, au Royaume-uni, a prévenu ses clients qu'il risquait de ne plus pouvoir livrer de produits surgelés. Les fabricants de salade et de viande sous vide craignent eux aussi des répercussions. Les fabricants promettent le rétablissement rapide de la production. En attendant, buvons de l'eau plate !