Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au sein du Cnes et spécialiste de Mars, nous résume les coulisses mouvementées de la mission de retour d'échantillons martiens. Cette entreprise complexe et coûteuse, menée par la Nasa et l’ESA, pourrait transformer notre compréhension de Mars et de l'existence de la vie passée sur cette planète.


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    Le directeur de la Nasa a récemment annoncé des difficultés techniques induisant d'importants surcoûts pour la mission de retour d'échantillons martiensretour d'échantillons martiens, en collaboration avec l'ESA, avec une prévision du retour sur Terre des échantillons en 2040 qui est jugée inacceptable. Ces problèmes s'expliquent par les « défis techniques, logistiques et financiers considérables auxquels la mission très complexe est confrontée », explique Francis RocardFrancis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire au sein du Cnes et spécialiste de Mars. Cette mission, qui implique un aller-retour vers Mars, trois engins spatiaux et quatre lancements, dont un inédit depuis Mars, « représente un défi sans précédent et revêt une grande importance scientifique ». Le retour d'échantillons martiens est « recommandé par des comités scientifiques américains, européens et français depuis plus de quatre décennies ».

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    Cette mission de retour d'échantillons est porteuse de promesses d'avancées majeures dans divers domaines qui « permettront d'approfondir significativement nos connaissances sur Mars et de répondre à de nombreuses interrogations concernant la possibilité d'une vie passée sur cette planète ». Au sein de ces échantillons, les scientifiques pourront étudier des traces potentielles de vie ancienne, dont des micro-organismesmicro-organismes fossilesfossiles ou la présence de molécules organiques prébiotiquesprébiotiques. « Ces découvertes pourraient contribuer à répondre à la question de l'existence éventuelle de formes de vie passées sur Mars. »

    Le dernier scénario de la mission de retour d'échantillons martiens résumé en une image (juillet 2022). On note l'abandon du « Fetch rover » de l'ESA (et la plateforme d'atterrissage qui lui était associé) et l'arrivée d'hélicoptères martiens, aujourd'hui abandonnés ! © Nasa, JPL
    Le dernier scénario de la mission de retour d'échantillons martiens résumé en une image (juillet 2022). On note l'abandon du « Fetch rover » de l'ESA (et la plateforme d'atterrissage qui lui était associé) et l'arrivée d'hélicoptères martiens, aujourd'hui abandonnés ! © Nasa, JPL

    Si le risque d'un report de la mission de plusieurs années est bien réel, tout comme celui d'une nouvelle architecture, « il semble peu probable que la Nasa décide de l'annuler », veut croire Francis Rocard qui rappelle que « près de 2,5 milliards de dollars ont été investis dans la mission Perseverance qui est chargée de collecter les échantillons martiens en vue de les rapporter sur Terre ».

     Il semble peu probable que la Nasa décide de l’annuler 

    Quant à une augmentation du budget alloué à la mission, ce n'est pas une perspective réaliste, car cela se ferait au détriment d'autres missions à l'étude ou en cours de développement. Alors que le budget initial était de 5,6 milliards de dollars, la « trajectoire actuelle du développement de MSR pourrait porter le coût total à 11 milliards de dollars », ce qui a amené le Congrès américain à « refuser de financer la mission à un tel niveau ». Cette décision a des conséquences significatives, notamment pour le JPLJPL contraint de réduire ses effectifs de 8 %, ce qui représente un défi majeur pour l'organisme et ses projets futurs.

    Un appel à idées pour une mission plus rapide et moins coûteuse

    Aujourd'hui, la Nasa cherche des « moyens de rapporter sur Terre des roches prélevées sur Mars de façon plus rapide et moins coûteuse ». Et étonnamment, elle n'a apparemment pas de solution satisfaisante à proposer ! Elle a donc lancé un appel à idées vers les industriels du secteur spatial et des start-upstart-up les plus innovantes. Cette approche est « intéressante pour explorer de nouvelles pistes et trouver des solutions créatives aux défis posés ». On peut espérer que cette démarche permettra d'identifier des « idées novatrices qui pourraient aider à relever les défis actuels et à ouvrir de nouvelles perspectives pour la mission de retour d'échantillons martiens ». Il sera intéressant de voir les résultats de cette initiative et les solutions qu'elle pourrait apporter.

    Francis Rocard, fort d'une longue expérience dans le domaine des missions martiennesmissions martiennes, demeure confiant quant à la réalisation de MSR et estime « que quelle que soit l'architecture retenue, le coût de cette mission se situera entre 5,6 et 10 milliards de dollars ». Ce coût élevé s'explique par le fait que la mission se déroule par étapes successives, sans possibilité de back-up. Ainsi, il est crucial que « chaque phase de la mission soit minutieusement planifiée et exécutée pour assurer le succès du retour des échantillons martiens. Un seul échec condamnerait l'ensemble de la mission ».

    Perseverance utilisé pour la mission MSR

    Pour simplifier la mission et réduire ses coûts, Francis Rocard propose de tirer parti du « rover Perseverance et de sa mobilité pour apporter les échantillons vers le véhicule d'ascension martien (MAV) ». À l'origine, pour acheminer les échantillons jusqu'au MAV, la Nasa et le JPL envisageaient « d'utiliser un « Fetch » rover (qui signifie aller chercher), qui a finalement été abandonné au profit de deux hélicoptères hérités d’Ingenuity, mais ces derniers ont également été abandonnés ».

    De son côté, la Chine développe actuellement une mission MSR plus simple, « qui s'inspire des missions lunaires Change 5 et Chang'e 6, en incluant une pelle et une foreuse ». Contrairement à la mission de la Nasa et de l'ESA, la Chine prévoit de « récupérer les échantillons à l'endroit précis d'atterrissage de son véhicule » sans aucune mobilité, ce qui réduit son intérêt scientifique mais simplifie la mission.

    Or, Perseverance et Curiosity ont révélé que les lieux d'atterrissage « ne sont pas les meilleurs pour rechercher des indices sur une vie ancienne sur Mars ». D'après la Nasa, plus de 90 % de la surface martienne n'est pas intéressante pour la question de l'habitabilité passée de la planète, étant constituée de roches basaltiquesbasaltiques anhydres. Cependant, il est important de souligner que les « échantillons collectés par la mission chinoise restent précieux du point de vue scientifique », notamment pour les géochimistes. Ces échantillons pourraient fournir des données essentielles sur la composition géologique de Mars, son histoire et sa datation contribuant ainsi à une meilleure compréhension de la formation et de l'évolution de la planète et de l'histoire géologique de sa surface.

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    Vie sur Mars : cette argile indique que le lac du cratère Gale était habitable !

    A contrario, les échantillons de sulfates et d'argilesargiles sont « d'une importance particulière dans l'étude de l'histoire de la vie martienne ». Les argiles sont des roches sédimentairesroches sédimentaires qui se forment en présence d'eau, ce qui indique que la région où elles sont trouvées a probablement connu des conditions chaudes et humides par le passé. Ces minérauxminéraux peuvent incorporer de la matièrematière organique, relique d'une éventuelle activité biologique ancienne. Ce carbonecarbone peut se révéler être des biosignatures, c'est-à-dire une preuve qu'il a été fabriqué par du vivant. Cette matière organique est très peu abondante sur Mars et sa recherche justifie la mobilité du rover Perseverance qui réalise de multiples collectes afin de maximiser les chances de la trouver. Elle sera analysée par des instruments très performants dans des laboratoires terrestres, ce qui nécessite impérativement de rapporter ce précieux matériaumatériau.


    La Nasa appelle à l’aide pour relever le défi de rapporter sur Terre les échantillons de sols martiens

    Article de Remy Decourt, publié le 16/04/2024

    En raison de contraintes budgétaires, la mission de retour d'échantillons martiens est repoussée au mieux en 2040. La Nasa prévoit de solliciter des propositions d'architecture de l'industrie pour un retour potentiel d'échantillons dans les années 2030, dans le but de réduire les coûts, les risques et la complexité des missions.

    Suite au rapport d'un panel d'experts présidé par Orlando Figueroa, ancien directeur de l'exploration de Mars à la Nasa, publié le 21 septembre, remettant en question la faisabilité de la mission de retour d'échantillons martiens - MSR pour Mars Sample Return -, l'Agence spatiale américaine a réagi en proposant plusieurs mesures.

    Celles-ci incluent une mise à jour de la conception de la mission pour réduire sa complexité, améliorer sa résiliencerésilience, gérer les risques de manière plus proactive, renforcer la responsabilisation et la coordination, le tout dans un budget estimé entre 8 et 11 milliards de dollars. Sauf qu'en raison des contraintes budgétaires prévues pour l'exercice 2025 et de la nécessité de maintenir un portefeuille scientifique équilibré, la mission actuelle prévoit de rapporter des échantillons en 2040... Dans sa monture précédente, il était question d'une mission pour la période 2028-2033.

    Le dernier scénario de la mission de retour d'échantillons martiens résumé en une image (juillet 2022). On note l'abandon du « Fetch rover » de l'ESA (et la plateforme d'atterrissage qui lui était associé) et l'arrivée d'hélicoptères martiens, aujourd'hui abandonnés ! © Nasa, JPL
    Le dernier scénario de la mission de retour d'échantillons martiens résumé en une image. On note l'abandon du Fetch rover de l'ESA (et la plateforme d'atterrissage qui lui était associé) et l'arrivée d'hélicoptères martiens, qui sont aujourd'hui abandonnés ! © Nasa, JPL

    Un défi sans précédent pour la Nasa

    Cela dit « Mars Sample Return sera l'une des missions les plus complexes jamais entreprises par la Nasa. En fin de compte, un budget de 11 milliards de dollars est trop coûteux et la date de retour à 2040 est trop lointaine, a déclaré Bil Nelson, l'administrateur en chef de la Nasa. Atterrir et collecter les échantillons en toute sécurité, lancer une fuséefusée avec les échantillons depuis une autre planète - ce qui n'a jamais été fait auparavant - et transporter les échantillons en toute sécurité sur plus de 33 millions de kilomètres jusqu'à la Terre n'est pas une mince affaire. Nous devons sortir des sentiers battus pour trouver une solution à la fois abordable et permettant de récupérer des échantillons dans un délai raisonnable ».

    Des appels à idées pour rapporter des échantillons dans les années 2030

    Pour répondre à ces enjeux et défis, la Nasa lance un appel à la communauté scientifique pour concevoir une mission MSR novatrice basée sur des technologies éprouvées. De plus, l'agence prévoit de solliciter des propositions d'architectures de la part de l'industrie en vue d'un retour d'échantillons dans les années 2030. L'objectif est de réduire les coûts, les risques et la complexité de la mission tout en maintenant son efficacité scientifique.