Une société sud-coréenne prétendait avoir retrouvé l’épave du Dmitri Donskoï, un célèbre cuirassé russe, avec à son bord un monceau d’or. Récit d’une arnaque emblématique de l'univers obscur des cryptomonnaies.

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    Le 15 juillet dernier, l'annonce fait le tour de la presse mondiale. Le groupe coréen Shinil Group prétend avoir retrouvé l'épave du Dmitri Donskoï, un ancien fleuron de la flotte russe. Premier cuirassé croiseur conçu pour la haute mer, le navire a coulé en 1905 au large de la Corée lors de la bataille de Tsushima contre les Japonais. Afin d'appuyer ses dires, Shinil Group fournit des détails précis de la découverte : une vidéo avec des images de l'épave prises par des sous-marinssous-marins et sa localisation précise : à 1,3 km au large de l'île sud-coréenne de Ulleungdo par 434 mètres de profondeur. « La coque et la poupe sont endommagées, mais le pont supérieur et la partie blindée de la coque sont bien conservés, malgré leurs 113 ans de présence dans les fonds sous-marins », affirme la compagnie.

    Mais le clou de l'annonce, ce sont les 116 milliards d'euros d'or, au cours actuel, que renfermerait le bateau. Selon la société, le Dmitri Donskoï était chargé de transporter la fortune de la flotte russe engagée contre les Japonais. Le bateau contiendrait ainsi 5.500 caisses de lingots d'or et 200 tonnes de pièces. Une véritable fortune. Dans la foulée, Shinil Group annonce qu'elle vient de passer un partenariat avec une entreprise chinoise pour récupérer la cargaison et qu'elle compte en reverser la moitié à la Russie. 10 % du restant serait investis dans des projets touristiques sur l'île d'Ulleungdo, notamment la constructionconstruction d'un musée consacré au navire.

    Le cuirassé <em>Dmitri Donskoï</em>, coulé par les forces japonaises lors de la bataille de Tsushima en 1905. © Shinil Group

    Le cuirassé Dmitri Donskoï, coulé par les forces japonaises lors de la bataille de Tsushima en 1905. © Shinil Group

    Le Dmitri Donskoï avait déjà été prétendument retrouvé

    Un mystérieux site InternetInternet se présentant comme une « filiale singapourienne » de Shinil Group fait alors son apparition. Il propose d'acquérir une nouvelle cryptomonnaie baptisée Shinil Gold Coin en échange d'un dividende d'une valeur de 10 % de la cargaison, soit 11,6 milliards d'euros. Vendu entre 30 et 50 wons, le Shinil Gold Coin atteindra 10.000 wons à la fin du mois de septembre, fait-il miroiter.

    Très vite pourtant, les doute surgissent. D'abord, ce n'est pas la première fois que l'on annonce avoir retrouvé le Dmitri Donskoï. En 2001, une société de construction sud-coréenne avait déjà affirmé avoir repéré l'épave du croiseur russe, avant de faire faillite un an plus tard. En 2003, l'Institut coréen des sciences et de la technologie avait lui aussi dévoilé des photos du bateau, ainsi qu'une carte de sa localisation. Deuxièmement, le mystérieux groupe Shinil Group n'a que quelques semaines d'existence. Fondé en juin, il ne disposerait que d'un capital de 100 millions de wons, soit 77.000 euros, d'après le site coréen Chozun Biz. Il n'aurait d'ailleurs toujours pas demandé le droit de récupérer le trésor au ministère sud-coréen des affaires maritimes et de la pêchepêche, rapporte la BBC.

    La photo de l’épave du <em>Dmitri Donskoï</em> présentée lors de la conférence de presse de Shinil Group. La vidéo a quant à elle été supprimée. © Shinil Group

    La photo de l’épave du Dmitri Donskoï présentée lors de la conférence de presse de Shinil Group. La vidéo a quant à elle été supprimée. © Shinil Group

    La quantité d'or annoncée est invraisemblable

    Troisièmement, les historienshistoriens émettent de sérieuses réserves sur cette histoire. « Garder tout cet argent sur un seul navire aurait été trop dangereux », estime Kirill Kolesnichenko, professeur de sciences sociales à l'université fédérale d'Extrême-Orient, dans une interview à l'agence RIA Novosti. Selon lui, il aurait été beaucoup plus sûr de faire transiter l'or par voie ferrée à travers la Sibérie. Surtout, la quantité d'or prétendument à bord apparaît totalement démesurée. D'après les calculs du New York Times, qui avait relaté la précédente arnaque de 2001, une valeur de 116 milliards d'euros actuels aurait représenté à l'époque 14.000 tonnes d'or, soit un dixième de tout l'or extrait jusqu'ici dans le monde. Une masse peu vraisemblable qui, de plus, aurait fait couler le navire.

    Le 26 juillet, Choi Yong-seok, nommé quelques heures plus tôt président de Shinil Group alors que son précédesseur Rhu Sang-mi vient de démissionner, tient une nouvelle conférence de presse. Il affirme n'avoir « aucun lien » avec la filiale singapourienne à l'origine de la cryptomonnaiecryptomonnaie. Son unique but, assure-t-il, est de « sauver l'épave » et de produire un film documentaire. Elle revoit par ailleurs son estimation du trésor largement à la baisse, à 1,2 milliard de wons, soit pratiquement le dixième de la valeur originellement annoncée.

    L’or prétendument retrouvé à bord du <em>Dmitri Donskoï</em> représenterait 10 % du poids de tout l’or extrait dans le monde... © Wolfilser - Fotolia.com

    L’or prétendument retrouvé à bord du Dmitri Donskoï représenterait 10 % du poids de tout l’or extrait dans le monde... © Wolfilser - Fotolia.com

    Les arnaques aux ICO

    Las, quelques jours plus tard, les deux dirigeants sont épinglés par la police sud-coréenne pour des soupçons de fraude. La famille de Rhu Sang-mi, derrière la filiale singapourienne, est suspectée d'avoir entièrement monté l'affaire en compagnie de son complice pour soutirer de l'argent à des petits investisseurs crédules. De fait, plus de 124.000 personnes auraient souscrit à la prévente, selon le site Korea Herald. 150 intermédiaires auraient également été impliqués dans ce qui ressemble à une pyramide de Ponzi (arnaque financière dans laquelle les souscripteurs sont rémunérés avec l'argent déposé par les nouveaux arrivants). Le 9 août, la police sud-coréenne émet un mandat Interpol contre Rhu Sang-mi, en fuite au Vietnam depuis 2014 pour une précédente affaire de fraude. Aujourd'hui, l'entreprise Shinil Group a disparu, tout comme le site Internet de cryptomonnaie et la vidéo de l'épave du cuirassé.

    Cette affaire illustre le phénomène grandissant des arnaques aux ICO (Initial Coin OfferingInitial Coin Offering), sorte de lancement en bourse avec émission de cryptomonnaie. En avril dernier, une société vietnamienne a escroqué 32.000 investisseurs pour un montant record de 660 millions de dollars (571 millions d'euros). En Turquie, les autorités ont arrêté en juin les deux fondateurs du « Turcoin » après que l'un d'eux a tenté de fuir le pays avec 100 millions de livres turques en poche, soit 14 millions d'euros. En janvier, une startup nommée Prodeum et promettant de « révolutionner l'industrie des fruits et légumes », s'est évaporée dans la nature en laissant pour seul message sur son site Internet le mot « pénispénis ». D'après le site Bitoin.com, 30 % des ICO lancées en 2017 se sont soldées par des échecs, soit parce que les initiateurs de l'ICO ont empoché les sous récoltés et ont soudainement disparu, soit parce que les entreprises ont fermé leur porteporte, laissant peu d'espoir aux investisseurs de retrouver leur mise.