Le XVIIe siècle marque l’essor phénoménal de la cartographie lunaire. Si l’enjeu scientifique est certain, cet engouement pour notre satellite est également associé à des enjeux politiques, économiques et idéologiques.


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    Depuis des milliers d'années, la Lune fascine les Hommes. Objet de croyance, elle apparaît dans toutes les cultures sous des formes multiples et ses phases ont rapidement été utilisées, dès la préhistoire, pour marquer le temps et structurer la vie sociale. Astre incontournable de notre ciel, la Lune a ensuite été l'objet de prédilection des premiers observateurs du ciel. Dès le IIIe siècle avant J.-C., les astronomesastronomes grecs ont déterminé la distance la séparant de la Terre. Au Ier siècle après J.-C., PtoléméePtolémée calcule son orbite. Mais ce qui fascine le plus, ce sont les dessins de sa surface. À l'œilœil nu, on peut en effet facilement discerner des formes plus sombres, les formes de certains cratères. De nombreux mythes ont été projetés dans ces tâches imprécises. Étonnamment pourtant, si quelques représentations préhistoriques de la Lune existent, aucune carte datant de l'Antiquité ni du Moyen Âge ne nous est parvenue. La cartographie de la Lune n'a réellement débuté qu'à partir du XVIIe siècle, avec l'invention de la lunette astronomique. La Lune fut alors l'objet de descriptions précises, menant à la constructionconstruction de premières cartes. C'est le début de la sélénographie. Trois-cent-cinquante ans avant que Niel Armstrong n'y pose le pied, la Lune fut ainsi rapidement décrite sous toutes ses coutures (celles de sa face visible, du moins).

    Première course à la Lune

    Pourquoi un tel entrain, si brusquement ? La naissance accélérée de la cartographie lunaire va être liée à plusieurs raisons. La première est la nécessité d'obtenir des moyens de navigation plus précis. Pour se repérer et garder le cap en haute mer, les navigateurs ont en effet besoin de savoir à quelle longitude ils se trouvent. Or, jusqu'au début du XVIIe siècle, le calcul de la longitudelongitude est complexe et imprécis. Vers 1620, Michael van Langren, astronome et cartographe hollandais, propose d'utiliser l'observation des reliefs lunaires pour déterminer les longitudes traversées. La construction d'une carte précise du relief lunaire devient donc un enjeu politique et économique majeur, en particulier pour les grandes puissances maritimes. Il s'agit également d'une course à la renommée personnelle pour les grands astronomes de l'époque, qui voient dans ce terrain de jeu encore vierge la possibilité d'inscrire leurs noms dans une topographie visible de toute l'humanité. Il s'agit en quelque sorte des prémices de la grande course à la Lune qui marquera la fin du XXe siècle.

    Carte du relief lunaire de Michael Florent van Langren (1645). © Michael van Langren, 1645, Wikimedia Commons, domaine public
    Carte du relief lunaire de Michael Florent van Langren (1645). © Michael van Langren, 1645, Wikimedia Commons, domaine public

    Le développement des instruments astronomiques

    Les observations de la Lune sont cependant fortement dépendantes de la qualité des instruments optiques de l'époque. Si l'on doit la première carte de la Lune à William Gilbert (1544-1603), il ne s'agit que d'un dessin réalisé à partir d'observations à l'œil nu. Il a cependant le mérite d'établir une terminologie, inspirée de la géographie terrestre, qui perdurera par la suite, comme les termes mare (mer), oceanus (océan) ou terraterra (terre). Le premier à bénéficier d'un modèle de lunette astronomique et de l'utiliser pour réaliser des observations de la Lune est Thomas Harriot (1560-1621), mathématicienmathématicien et cartographe anglais. Il réalise ainsi une série de dessins mettant en avant la topographie particulièrement accidentée de la région se trouvant à la limite de la zone éclairée. Quatre mois après Harriot, c'est au tour de GaliléeGalilée, en novembre 1609, de réaliser ses premières observations et dessins du relief lunaire. Les résultats de ses études font l'objet d'une publication, Sidereus nuncius (Messager des étoiles), qui deviendra célèbre et participera à la renommée de Galilée dans toute l'Europe.

    Les dessins de Galilée représentant la topographie de la Lune. © Galileo, Wikimedia Commons, domaine public
    Les dessins de Galilée représentant la topographie de la Lune. © Galileo, Wikimedia Commons, domaine public

    La cartographie lunaire : enjeu politique, économique, scientifique et moral

    Par la suite, la précision des observations et le détail des cartes vont aller de pair avec le développement des instruments astronomiques. Pour pallier l'augmentation graduelle de la longueur focalelongueur focale qui rend de plus en plus difficile la manipulation des instruments, Jean-Dominique CassiniJean-Dominique Cassini met au point une lunette sans tuyau à l'Observatoire royal de Paris. Cette technique lui permet d'observer des astres bien plus lointains, comme Saturne et ses satellites, mais également de cartographier de manière très précise les reliefs lunaires. L'invention du télescope, puis du micromètremicromètre à la fin des années 1660, permet ensuite de mesurer précisément la taille des objets observés ainsi que la distance qui les sépare.

    La cartographie de la Lune est également l'occasion d'ancrer certaines valeurs morales humaines et participe à l'enjeu idéologique de cette première course à la Lune. C'est ainsi que vers le milieu du XVIIe siècle apparaît la toponymie encore largement utilisée aujourd'hui : mer de la FéconditéFécondité, des Crises, de la Sérénité, lac des Tourments ou de l'Espérance...