Un groupe de chercheurs des universités de San Diego et Hong Kong vient de publier dans Science un article qui aurait fait plaisir à Alan Turing. En introduisant un circuit génétique synthétique dans Escherichia coli ils ont obtenu une nouvelle illustration du mécanisme de morphogenèse proposé il y a plus de cinquante ans par le chercheur.

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    Le physicien et mathématicien Alan Turing. © School of Mathematics and Statistics University of St Andrews Scotland

    Le physicien et mathématicien Alan Turing. © School of Mathematics and Statistics University of St Andrews Scotland

    Alan Turing n'est pas qu'un des pères de l'informatique. Dans le monde scientifique, il est aussi connu comme un des pionniers de la biologie théorique et pas seulement par son fameux test destiné à savoir si oui ou non un ordinateurordinateur peut émulerémuler la conscience humaine.

    Il y a presque soixante ans, Turing avait proposé que des équations différentielles constituant ce qu'on appelle un système à réaction-diffusion soient à l'origine du mécanisme énigmatique de la morphogenèsemorphogenèse. Une simple application de sa théorie devait permettre d'expliquer les motifs que l'on rencontre dans la nature, comme ceux de la peau des zèbres. Les équations proposées par Turing gouvernent un système chimique avec des molécules dans des concentrations différentes, couplées entre elles par des réactions chimiques. Des motifs, comme des ondes spirales ou d'autres structures périodiques dans l'espace et le temps devaient pouvoir apparaître dans ces systèmes chimiques sous formes d'ondes dans leurs colorations.

    C'est effectivement ce que l'on a fini par découvrir, comme le montre la vidéo ci-dessous. Dans le cas des organismes vivants, on pouvait penser que des gradientsgradients chimiques et de telles ondes puissent indiquer à des cellules comment se différencier dans l'espace et dans le temps pour donner les formes associées aux métazoairesmétazoaires. On continue aujourd'hui à explorer les idées de Turing et c'est précisément ce qu'a fait un groupe de chercheurs dont l'étude est publiée dans Science.


    Des chercheurs du centre de recherches Paul Pascal à Bordeaux et du Laboratoire matière molle et chimie à Paris décrivent les comportements parfois surprenants de la matière dans un DVD dont voici un extrait. Les réactions chimiques oscillantes résultent d'une alternance entre un processus activateur et un processus inhibiteur. Elles se manifestent par des variations de couleurs d'une solution ou par la propagation d'un front d'onde. Elles présentent parfois des analogies avec certains processus de la matière vivante. Des modulations de concentration peuvent ainsi créer des motifs qui ressemblent à ceux du pelage de certains animaux. © Réalisation : Jean-Pierre Mirouze - Production : Flight Movie et CNRS Images Média/CNRS

    Ils ont commencé par créer un circuit génétiquegénétique, c'est-à-dire un ensemble de gènes capables de s'influencer les uns les autres au niveau de l'expression. Puis, ils ont intégré ce circuit génétique artificiel dans des bactériesbactéries Escherichia coliEscherichia coli. Il s'agit donc d'une réalisation dans le domaine de la biologie synthétique d'une certaine façon.

    Des structures de Turing avec des gènes

    L'un des modules de ce circuit sert à synthétiser une substance connue sous le nom d'acyl-homoserine lactone (AHL). Une concentration importante de cette substance activesubstance active un autre module qui neutralise la capacité d'une des bactéries à se déplacer. Avec une forte population de ces bactéries génétiquement modifiées, la concentration locale augmente en AHL ce qui provoque donc une augmentation du nombre de bactéries restant sur place dans un milieu de culture. 

    Certaines bactéries vont cependant bénéficier de zones de plus faibles concentrations en AHL pour se déplacer plus loin, se développer et ainsi faire augmenter la concentration en AHL. Au final, une série de cercles concentriques de populations de Escherichia coli apparaît. Il s'agit bel et bien d'une structure de Turing gouvernée par un système à réaction-diffusion.

    Les chercheurs peuvent manipuler le nombre de cercles produits par une population de ces organismes synthétiques. Il ne s'agit donc plus d'une structure de Turing réalisée avec un simple système chimique puisque des gènesgènes participent maintenant au processus. On peut donc explorer plus en profondeur la théorie de Turing dont le but était précisément de comprendre la morphogenèse dans les organismes vivants. Il reste à montrer qu'elle intervient bel et bien dans cette morphogenèse.