Les virus multipartites possèdent un génome fragmenté dans différentes particules virales. Pour se reproduire, ils n’utiliseraient pas une cellule unique pour réaliser la totalité de leur cycle, mais plusieurs. Ce mode de reproduction « multicellulaire » bouleverse nos conceptions sur les virus.


au sommaire


    Les virus sont de minuscules particules comprenant un génome empaqueté dans une enveloppe, la capside. Incapable de se reproduire par lui-même, le virus a besoin d'infecter une cellule pour réaliser son cycle viral. Généralement, voici comment en virologie, le cycle de reproduction viral se décrit : le virus entre dans une cellule cible, dans laquelle il se multiplie et reproduit son génome, puis des particules virales sont libérées et le virus va infecter une nouvelle cellule.

    Le plus souvent, une particule virale contient la totalité du génome viral, mais ce n'est pas le cas des virus « multipartites » : chez eux, le génome est séparé en plusieurs fragments -- entre deux et huit -- et chaque segment est enveloppé dans une particule différente. Le génome est donc réparti dans la population virale. D'après Stéphane Blanc, responsable de l'équipe Interaction Virus InsecteInsecte Plante (UMR BGPI, à Montpellier), « ces virus sont extrêmement fréquents chez les plantes (35-40 % des genres et espècesespèces de virus de plantes connus), et chez les champignonschampignons, mais très rares chez les animaux. » Il n'y a que deux cas décrits chez les insectes.

    Comment ces virus au génome fragmenté parviennent-ils à infecter des cellules ? On pourrait penser que les différents segments se déplacent ensemble pour infecter la même cellule. Mais ce n'est pas la solution que semblent avoir adoptée ces virus, comme le montre cette étude parue dans la revue en ligne eLife.

    Les chercheurs de l'INRA de Montpellier ont travaillé sur un nanovirus qui infecte des plantes légumineuses, le virus FBNSV (Faba bean necrotic stunt virus), dont le génome se divise en huit segments distincts. Ces huit segments du virus infectent rarement la même cellule. Grâce à des sondes fluorescentes, les chercheurs ont visualisé les différents segments viraux dans les cellules infectées et ont confirmé que différents fragments se trouvaient dans différentes cellules.

    Les différents segments du génome se retrouvent dans différentes cellules. © Sicard et al, 2019, eLife
    Les différents segments du génome se retrouvent dans différentes cellules. © Sicard et al, 2019, eLife

    Un nanovirus avec un mode de vie multicellulaire

    Certains fragments du génome du virus codent pour des processus importants du cycle viral : par exemple, un segment code pour la réplication et un autre pour l'encapsidation, le processus qui emballe le génome dans la capside. Les chercheurs ont marqué les segments viraux responsables de la réplication et de l'encapsidation, l'un avec une fluorescence rouge, l'autre avec une fluorescence verte. Puis, ils ont mesuré l'accumulation de ces deux segments dans les différentes cellules pour voir s'il existait un lien. Résultat : l'accumulation de ces deux segments dans les cellules se faisait de manière indépendante...

    Les chercheurs ont donc émis l'hypothèse suivante : si un segment du génome est absent dans une cellule, peut-être que la protéineprotéine pour laquelle il code est présente. Pour tester cette hypothèse, ils ont travaillé avec le segment du génome responsable de la réplication (R), qui code pour la protéine M-Rep. Le segment R était présent dans une minorité de cellules, environ 40 %. En revanche, la protéine M-Rep se trouvait dans 85 % des cellules ! Cela signifie que la protéine M-Rep ou un transcrit du segment R peut passer d'une cellule à une autre : le virus adopte donc un fonctionnement de type « multicellulaire » et utilise un groupe de cellules pour fabriquer ses particules virales.

    Ces systèmes viraux ne fonctionnent pas suivant les règles qui étaient auparavant admises comme applicables à tous les virus

    Ces travaux étonnants nous amènent à repenser nos conceptions sur les virus, comme l'explique Stéphane Blanc : « Cette découverte démontre très bien que ces systèmes viraux (les virus multipartites) ne fonctionnent pas suivant les règles qui étaient auparavant admises comme applicables à tous les virus. »

    Les recherches sur les virus multipartites se poursuivent dans son laboratoire pour mieux comprendre leur fonctionnement : « Il y a visiblement des coûts à avoir un génome segmenté avec chaque segment séparé dans une particule virale différente. Et il doit aussi y avoir des bénéfices qui expliquent que ces systèmes aient évolué et soient fonctionnels et efficaces. Nos futures recherches portent sur ces deux aspects qui restent encore mystérieux. » Par exemple, il faudra trouver quels sont les bénéfices de la segmentation, et comprendre comment ces virus « s'assurent de ne pas perdre des fragments de leur information génétiquegénétique lors de la transmission. »