Le bisphénol A est souvent remplacé, depuis que la législation européenne l'a interdit dans un grand nombre de produits, notamment par son homologue le bisphénol S. Une nouvelle étude réalisée sur le cochon nous apprend que ce dernier serait peut-être encore plus dangereux que son acolyte. Est-ce le cas ?


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    Le bisphénol Abisphénol A est un perturbateur endocrinien bien connu et sa présence est interdite dans l'alimentation pour bébé et très contrôlée dans le reste de l'offre alimentaire. On a donc cherché à le remplacer par le bisphénol S, mais avons-nous bien fait ? Telle est la question. La décision n'aurait-elle pas été un peu hâtive vu le peu de données concernant la toxicité du bisphénol S ? 

    Les cochons ont été choisis pour cette expérience car ils possèdent un système digestif relativement proche du nôtre. © volf anders, Fotolia
    Les cochons ont été choisis pour cette expérience car ils possèdent un système digestif relativement proche du nôtre. © volf anders, Fotolia

    Le bisphénol S, 250 fois plus absorbé que le A

    C'est une équipe franco-anglo-canadienne qui a publié cette étude soutenue par L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) dans la revue Environnemental Health Perspective. Partant du constat que le bisphénol S a des effets de perturbation endocrines connus, ces scientifiques ont voulu mesurer le taux d'absorption réelle du bisphénol S ainsi que son excrétion par rapport au bisphénol A.

    Les expérimentateurs ont donc entrepris des tests sur des cochons (en raison de leur système digestif très similaire au nôtre) soit en injectant des composés, soit en admission orale, à la même dose. Voici leurs observations : 

    • le bisphénol S est entièrement absorbé par l'organisme contrairement au bisphénol A qui n'est absorbé qu'à 77 % ;
    • 41 % du bisphénol S seulement est excrété après être passé par l'intestin et le foie contre 0,50 % pour le bisphénol A ;
    • le bisphénol S met 3,5 fois plus de temps que le A pour ne plus être détectable dans le sang.

    Compte tenu de ces résultats, les chercheurs alertent sur les dangers potentiels que pourrait constituer une exposition chronique au bisphénol S sur tout le système hormonal. Cependant, il ne faut pas oublier de rappeler que le bisphénol S est réglementé à une absorption par les aliments de 0,05 mg/kgkg maximum. Soit bien en deçà des 5 g/kg donnés aux cochons par voie orale dans l'étude. 

    Néanmoins, il aurait été bon d'effectuer tous ces travaux en amont afin de ne pas remplacer une moléculemolécule dangereuse par une autre qui semble l'être encore plus. Avant d'interdire un produit - comme le glyphosate par exemple qui est très médiatisé en ce moment - il faut se poser la question de l'alternative et savoir ce qui semble le plus préjudiciable à la santé humaine. Sinon, ce n'est plus de la science, mais de la démagogie.


    Le substitut du bisphénol A est lui aussi un perturbateur endocrinien

    Article de Janlou Chaput, publié le 25 janvier 2013

    On connaît de plus en plus les effets nocifs du bisphénol A sur la santé humaine. Son remplaçant, le bisphénol S, perturberait également les systèmes hormonaux et serait de ce fait lui aussi un perturbateur endocrinien. Sommes-nous en train de remplacer une substance toxique par une autre ?

    L'âge d'or du bisphénol A (BPA) est terminé. Alors que cette résine entrait fréquemment dans la composition de nombreux plastiquesplastiques, comme celui des bouteilles, des canettes, des boîtes de conserve ou de l'encre des tickets de caisse, des études scientifiques ont démontré sa toxicité pour différents organes. Face à ces dangers, les agences sanitaires ont commencé à réagir. L'Union européenne et les États-Unis l'ont interdit dans les biberons, tandis que la France vient de voter l'interdiction définitive du BPA dans les contenants alimentaires à partir de 2015.

    Cependant, l'industrie plastique a besoin de lui trouver un remplaçant. Le bisphénol S (BPS), doté de propriétés semblables, joue ce rôle depuis quelques années maintenant. Ce composé se généralise dans les contenants alimentaires, à tel point qu'une étude parue en 2012 a révélé que les concentrations de BPS contenues dans les urines d'individus de différents pays du monde étaient en augmentation.

    Pourtant, les études des effets de cette molécule sur la santé humaine sont encore quasiment inexistantes, même si, dès 1936, les premiers signes d'alerte avaient été lancés dans Nature. Si le BPS est proche du BPA, a-t-on des raisons de s'inquiéter ? Des biologistes de l'université du Texas (Galveston, États-Unis) viennent de montrer qu'in vitroin vitro, le BPS agit comme un perturbateur endocrinien, exactement comme son prédécesseur.

    Les bisphénols A et S ont une structure chimique assez proche, comme le montre ces représentations simplifiées. © DR
    Les bisphénols A et S ont une structure chimique assez proche, comme le montre ces représentations simplifiées. © DR

    Le bisphénol S active les récepteurs aux œstrogènes

    Le but de cette recherche était de voir les conséquences de l'absorption de ce composé, même en très faibles proportions, sur les voies cellulaires impliquant les récepteurs aux œstrogènesœstrogènes des membranes plasmiquesmembranes plasmiques. Ainsi, si une activité particulière est observée en l'absence d'œstrogènes, cela signifie que le BPS active les récepteurs de l'hormonehormone sexuelle féminine et risque d'altérer de nombreuses fonctions physiologiques.

    Les principales voies biochimiques normalement stimulées dans les cellules en présence d'œstrogènes ont été suivies de près. L'une d'elles implique la protéineprotéine ERK, en lien avec la croissance des cellules. Une deuxième concerne les enzymesenzymes JNK, qu'on associe à la mort cellulaire. Enfin, une troisième fait intervenir d'autres enzymes, de la famille des caspasescaspases : elles sont également liées à la mort cellulaire, ainsi qu'à la sécrétionsécrétion d'une hormone, la prolactineprolactine.

    Des suspicions de toxicité du bisphénol S pour la santé humaine

    Les résultats publiés dans Environmental Health Perspectives sont encore préliminaires, mais ne semblent pas rassurants. Le BPS active la protéine ERK et les auteurs ont noté une division cellulaire plus importante. Seul dans le milieu de culture des cellules, le BPS ne stimule pas les JNK. En revanche, il augmente la sensibilité de ces enzymes lorsqu'il est en présence d'œstrogènes. Enfin, il interfère avec les sécrétions de prolactine et active la caspase 8, l'une des molécules à l'origine de l'apoptoseapoptose, le suicide cellulaire.

    En quelques mots, la présence de BPS dans les organismes en quantités très faibles, de l'ordre de celles retrouvées dans l'environnement ou les échantillons d'urine, semble liée à des modifications des activités cellulaires. S'il n'est pas encore possible de déterminer précisément les conséquences sur la santé, de telles conclusions ne laissent guère de place à l'optimisme quant à son innocuité.

    D'autres études s'avèrent donc nécessaires pour mieux évaluer les dangers du BPS. Que doit-on faire en attendant ? Faut-il appliquer le principe de précautionprincipe de précaution ? La question mérite peut-être réflexion.