Les pertes de mémoire pourraient, au moins dans certains cas, être dues non pas à un déficit d'enregistrement de l'information, mais plutôt à un mélange d'anciens souvenirs. La découverte de ce mécanisme est un nouveau pas franchi dans la lutte contre les démences. 

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    Les pertes de mémoire sont un problème qui complique la vie d'un nombre grandissant de personnes en France. © DR

    Les pertes de mémoire sont un problème qui complique la vie d'un nombre grandissant de personnes en France. © DR

    Les problèmes de mémoire sont typiquement considérés comme des pertes de souvenirs d'événements passés, ou d'objets déjà rencontrés mais oubliés. Des chercheurs de l'université de Cambridge ont une tout autre idée sur la question et, heureusement pour nous, n'ont pas oublié de la publier dans la prestigieuse revue Science.

    Les chercheurs se sont basés sur l'observation de certaines personnes (atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de lésions cérébrales suite à des accidents) qui oublient par exemple d'éteindre les plaques de cuisson ou de prendre leurs médicaments. Ce qui peut sembler être un simple oubli pourrait également résulter du fait que ces personnes pensaient avoir déjà effectué ces gestes précédemment. En gros, l'hypothèse était donc que ces personnes n'oubliaient pas, mais qu'elles mélangeaient leurs souvenirs.

    Le rat amnésique, un modèle d'étude de la mémoire

    Certaines zones du cerveau impliquées dans la mémoire sont connues mais leur fonctionnement est loin d'être entièrement élucidé. Dans ces conditions, il est difficile de prouver physiologiquement par simple observation de l'activité cérébrale l'hypothèse avancée par les chercheurs. Ils se sont alors intéressés à l'observation des comportements du rat, un animal souvent utilisé comme modèle pour l'étude des déficits de mémoire. Ces animaux modèles ont une lésion au niveau du cortexcortex périrhinal, une région médiane du lobe temporal, dont des dommages chez l'homme entraînent également des pertes de mémoire.

    Les rats sont des bons animaux modèles d'une grande variété de maladies et de conditions, dont l'amnésie. © DR

    Les rats sont des bons animaux modèles d'une grande variété de maladies et de conditions, dont l'amnésie. © DR

    Ces rats auxquels on soumet des objets déjà présentés auparavant, se comportent de la même façon que face à un nouvel objet. Ils ne font donc pas la différence entre ce qui est vieux et ce qui est récent, alors que les rats « intacts » passent plus de temps à observer le nouvel objet qui leur semble plus intéressant. Les rats amnésiques ont-ils alors oublié l'objet connu qu'ils considèrent comme un nouvel objet, ou au contraire pensent-ils que le nouvel objet est peu intéressant car il leur est déjà familier ?

    Pour faire la différence, les chercheurs ont ajouté un paramètre à l'expérience : entre la première présentation de l'objet et la seconde présentation une heure plus tard, les rats sont placés dans une boîte noire (au lieu de la cage habituelle), afin de ne pas ajouter d'interférencesinterférences visuelles à l'animal. Dans ces conditions, la curiosité des animaux pour le nouvel objet présenté est similaire à celle des animaux sains.

    Les représentations visuelles des objets font défaut

    Les rats amnésiques sont donc capables d'apprécier un nouvel objet lorsqu'ils en voient un ! Cela indique que le manque d'intérêt pour les nouveaux objets dans la première expérience est certainement dû au fait qu'ils pensent l'avoir déjà rencontré. Selon les auteurs, les rongeursrongeurs n'ont donc pas perdu la mémoire, elle est seulement perturbée au cours de l'heure où les rats sont remis en cage.

    L'organisation hiérarchique de la représentation visuelle dans le cerveau pourrait expliquer ce phénomène. Les formes les plus complexes observées visuellement sont représentées dans les régions antérieures du cerveau (dont le cortex périrhinal), alors que les formes simples sont représentées dans les régions postérieures. L'impossibilité pour le rat de considérer les objets complexes (à cause des lésions du cortex périrhinal), le conduit à ne se baser que sur les formes simples (ronds, carrés...), lui donnant l'illusion d'avoir déjà observé l'objet dans sa globalité.

    Si ce modèle ne représente bien évidemment pas toutes les sortes de pertes de mémoire, les auteurs de l'article pensent avoir découvert une piste intéressante dans le combat contre l'amnésieamnésie. « Ces résultats ouvrent la possibilité que les faux souvenirs montrés ici peuvent être un phénomène plus général. Si cela vient à être le cas, nous pourrions avoir à réévaluer notre conception actuelle des pertes de mémoire et de l'amnésie », expliquent-ils.