Des scientifiques ont trouvé une association entre les pensées négatives et le développement de plaques amyloïdes, de protéines Tau, et le déclin cognitif. Si l'étude est intéressante, elle découle d'un concept théorique assez récent. Il faut donc faire preuve de prudence. Détails.


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    Et si notre psychologie avait un impact sur les maladies neurodégénératives ? C'est ce que propose d'étudier le concept de « dette cognitive » formalisé par Natalie L. Marchant et Robert J. Howard, chercheurs du département psychiatrique des personnes âgées, à l'Institut de psychiatrie du King's College de Londres. Ce concept est très récent. Le papier fondateur proposé par ses deux auteurs date du 22 septembre 2014. De fait, c'est un concept dont découlent des hypothèses peu étayées pour l'instant et dont l'utilisation ne fait pas consensus dans le domaine. Beaucoup plus d'éléments robustes sont par exemple à notre disposition du côté de la biologie.

    « À ma connaissance, ce concept et les hypothèses qui en découlent sont très récents et donc assez peu étudiés, encore moins dans un contexte biologique », précise Jean-Charles Lambert, directeur de recherche à l'Institut national des sciences et de la recherche médicale (Inserm), neuroscientifique spécialisé dans la maladie d'Alzheimer (MA). Suite à ces précisions nécessaires, parlons un peu de cette hypothèse novatrice.

    Le concept de « dette cognitive »

    Ce concept a été créé pour étudier et caractériser l'impact des pensées et des comportements (qui ne sont donc pas des conditions pathologiquespathologiques en tant que telles) concernant la vulnérabilité face à la MA. « L'idée est de trouver des facteurs sur lesquels agir pour retarder l'incidence de la maladie. On sait que ces facteurs existent grâce à des analyses épidémiologiques qui montrent que l'apparition de la MA est plus tardive de génération en génération. On cherche donc à stimuler certains facteurs positifs ou à diminuer certains facteurs négatifs, dans le but de retarder l'apparition de la MA », développe Philippe Amouyel, Professeur de santé publique à l'université de Lille et directeur général de la fondation Plan Alzheimer, et auteur du livre grand public « Le Guide anti-Alzheimer ».

    Ce concept se base sur l'existence de corrélations entre dépression, anxiété, désordres du sommeil ou encore stress post-traumatique et la survenue de la MA. Néanmoins, le lien de causalité apparaît difficile à démontrer pour l'instant. « Dans le cas de la MA, il n'est toujours pas clair, à la vue de l'état de l'art de la recherche, si une condition pathologique telle que la dépression est un marqueur de la maladie ou une cause potentielle », rappelle Jean-Charles Lambert. Autrement dit, on ne sait pas si la dépression induit un risque supplémentaire ou si elle est une simple conséquence d'un facteur biologique, par exemple. Malgré tout, une présomption de causalité semble se dessiner. « Nous commençons à avoir des éléments à notre disposition, allant d'associations statistiques à des relations dose-effet, qui remplissent petit à petit les critères de causalité de Bradford Hill », assure Philippe Amouyel.

    Dans une récente étude, ce concept a permis d'étudier l'hypothèse suivante : les pensées négatives répétitives pourraient jouer un rôle dans l'équilibre de notre « dette cognitive ». Celle-là même qui influencerait l'âge d'apparition de la maladie si l'on en croit plusieurs recherches d'envergure selon Philippe Amouyel. Des méthodes, des questionnaires et d'autres outils de mesure ont été mis en place et cela a donné le jour à la réalisation d'une étude longitudinale intitulée « Repetitive negative thinking is associated with amyloid, tau, and cognitive decline », parue le 7 juin 2020 dans le journal Alzheimer's & Dementia.

    On ne sait pas encore si la dépression induit un risque supplémentaire de MA ou si elle est une simple conséquence d'un facteur biologique. © Orawan, Fotolia
    On ne sait pas encore si la dépression induit un risque supplémentaire de MA ou si elle est une simple conséquence d'un facteur biologique. © Orawan, Fotolia

    Une simple association

    Cette étude part de l'observation empirique du phénomène qu'elle souhaite mesurer. Il semble que les pensées négatives répétitives soient quelque chose de courant chez les personnes souffrant de MA. Mais la question est la même que pour la dépression : cause ou conséquence ? L'étude a été réalisée sur deux cohortescohortes distinctes, ce qui est un point positif étant donné les difficultés actuelles de réplicationréplication d'expériences. L'une était composée de personnes pré-symptomatiques de la MA, l'autre de patients avec une cognitioncognition saine ou un déclin cognitif subjectif. Les expériences aboutissent à la conclusion qu'il existe bien une association réelle entre les pensées négatives répétitives et des marqueurs clés de la MA, comme le développement de plaques amyloïdesplaques amyloïdes, de protéines Tauprotéines Tau, et le déclin cognitif. 

    « Ce papier réalisé par des équipes anglaises, françaises et canadiennes est une première tentative pour établir une corrélation entre conditions psychologiques et biomarqueurs d'imagerie Alzheimer ou déclin cognitif. Les résultats sont intéressants mais comme souvent dans des études observationnelles, la causalité n'est pas toujours évidente. Un événement biologique précoce du déclin cognitif ou de la MA peut très bien entraîner des variations psychologiques. Pour l'instant, ce travail ne permet pas de répondre à la question de causalité ou de conséquence », prévient Jean-Charles Lambert.

    « Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'enjeu ici est avant tout de retarder l'âge d'apparition des premiers symptômessymptômes de la maladie le plus tard possible. Les échecs successifs des traitements pharmacologiques nous forcent à explorer d'autres pistes. Si on réussit à repousser l'âge du début de la maladie, on fait d'une pierre deux coups : gagner des années de vie en bonne santé à des individus et diminuer la prévalenceprévalence de la maladie au niveau populationnel », explique Philippe Amouyel.

    À la vue de tous ces éléments, il serait donc extrêmement prématuré de considérer que les pensées négatives répétitives sont un facteur de risquefacteur de risque de ces maladies. Agir sur tous les autres facteurs de risques connus et établis apparaît plus important de prime abord. Néanmoins, en l'absence de traitement et dans un but préventif, ajouter des cordes à l'arc des facteurs préventifs pour, in fine, équilibrer potentiellement cette dette cognitive apparaît judicieux. Reste à savoir comment. Des recherches sont en cours concernant l'efficacité de la méditation en pleine conscience, par exemple. Pour ce qui est de l'aspect purement scientifique, des méthodologies innovantes devront être proposées afin de déterminer la causalité (ou la non-causalité) entre tous ces phénomènes. Affaire à suivre.