Une analyse du microbiote d’êtres humains disparus depuis de nombreux siècles suggère que la flore intestinale a beaucoup évolué récemment, à tel point que celle de nos ancêtres ressemblait davantage à celle de nos cousins primates qu’aux citadins d'aujourd'hui. Peut-on inverser la tendance ?

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    La célèbre bactérie Escherichia coli est l'une des espèces constituant notre flore intestinale. À quel point l'utilisation d'antibiotiques modifie-t-elle leurs populations dans les entrailles humaines ? © J. Carr, CDC, DP

    La célèbre bactérie Escherichia coli est l'une des espèces constituant notre flore intestinale. À quel point l'utilisation d'antibiotiques modifie-t-elle leurs populations dans les entrailles humaines ? © J. Carr, CDC, DP

    L'Homme, cet être symbiotique. Dans ses entrailles, des bonnes bactéries grouillent. Elles sont des milliards à former la flore intestinale, considérée par certains spécialistes comme un organe à part entière. Ces microbesmicrobes, bénéfiques pour notre santé, interviennent à de nombreux niveaux, en contrôlant les allergies, les taux de certaines hormones aussi bien que le cerveau.

    Cependant, une alimentation nouvelle mais aussi l'avènement des antibiotiques depuis les dernières décennies combinés à la généralisation de pratiques d'aseptisation de l'environnement auraient profondément modifié notre microbiote.

    Si de telles politiques ont très fortement contribué à l'amélioration de la santé humaine et à l'augmentation de l'espérance de vie, ces politiques auraient un coût à payer. D'une part, l'abus de médicaments confère à certaines populations bactériennes une résistance à tous les produits qu'on leur oppose, nous mettant face à une recrudescence de pathogénicité de maladies pourtant contrôlées. Ensuite, par manque de sélectivité, les traitements antibiotiques n'éliminent pas uniquement les germesgermes dangereux, mais s'en prennent aussi aux bonnes bactéries, celles qui sont nécessaires à notre santé.

    Cette momie est une reconstitution d'Ötzi, un homme mort il y a 4.500 ans et découvert congelé en 1991. Son état de conservation étant très bon, les scientifiques ont pu procéder à l'analyse de la matière fécale afin d'identifier les bactéries de sa flore intestinale. Celle-ci diffère assez nettement de celle des Occidentaux modernes. © Musée préhistorique de Quinson, 120, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Cette momie est une reconstitution d'Ötzi, un homme mort il y a 4.500 ans et découvert congelé en 1991. Son état de conservation étant très bon, les scientifiques ont pu procéder à l'analyse de la matière fécale afin d'identifier les bactéries de sa flore intestinale. Celle-ci diffère assez nettement de celle des Occidentaux modernes. © Musée préhistorique de Quinson, 120, Wikipédia, cc by sa 3.0

    L’évolution de la flore intestinale humaine

    Quel microbiote possédaient donc nos ancêtres ? Des scientifiques de l'université d’Oklahoma ont entrepris de répondre à cette question en étudiant la flore intestinale d'êtres humains disparus depuis bien longtemps. Comment ont-ils procédé ? Tout est expliqué en détail dans la revue Plos One.

    Pour définir la composition bactérienne des intestins, ils ont collecté des échantillons fécaux prélevés sur trois sites archéologiques présents sur le continent américain. Des excréments fossiles ont été récupérés dans les Hind Caves, des grottes situées au sud des États-Unis habitées il y a 8.000 ans, et à Rio Zape, au Mexique, dans une région peuplée il y a 1.600 ans. Plus bas, des prélèvements ont directement été effectués dans les intestins de deux momies, retrouvées à Caserones, au Chili et vieilles de 1.400 ans. De même, ils ont pu déterminer la composition de la flore intestinale d'Ötzi, le célèbre homme des glaces autrichien (mort il y a 4.500 ans) ainsi qu'un soldat tué durant la Grande guerre (1914-1918), bien conservé dans la glace.

    Enfin, deux populations modernes ont aussi été examinées à travers des échantillons prélevés dans la bouche et sur la peau de 11 enfants vivants dans la campagne du Burkina Faso et 6 adultes de la ville de Boulder, dans le Colorado. En parallèle, les bactéries du sol et du compostcompost faisaient également office de contrôle.

    Les antibiotiques responsables ?

    Globalement, les résultats montrent que les Hommes disparus présentaient un microbiote qui ressemble davantage à celui de nos cousins primatesprimates ou des jeunes Burkinabais plutôt qu'aux Occidentaux modernes. Ces populations rurales traditionnelles, beaucoup moins sensibilisées aux antibiotiques, auraient donc gardé une flore intestinale assez semblable à celle de nos ancêtres.

    Ces camemberts permettent de comparer le microbiote d'Ötzi (<em>Tyrolean Iceman</em>) avec le soldat mort en 1918. Ötzi partage plus de la moitié de sa flore intestinale avec celle des primates (<em>Primate Gut</em>), tandis qu'il équivaut à une toute petite partie pour le soldat. En un peu plus de 4.000 ans, les bactéries de nos entrailles ont beaucoup changé. À noter quand même l'importance de l'origine inconnue de l'ADN retrouvé dans cette expérience. © Tito <em>et al.</em>, <em>Plos One</em>, cc by 2.5

    Ces camemberts permettent de comparer le microbiote d'Ötzi (Tyrolean Iceman) avec le soldat mort en 1918. Ötzi partage plus de la moitié de sa flore intestinale avec celle des primates (Primate Gut), tandis qu'il équivaut à une toute petite partie pour le soldat. En un peu plus de 4.000 ans, les bactéries de nos entrailles ont beaucoup changé. À noter quand même l'importance de l'origine inconnue de l'ADN retrouvé dans cette expérience. © Tito et al., Plos One, cc by 2.5

    Comment rattraper le passé ?

    En revanche, le microbiote du soldat prisonnier des glaces durant 93 ans s'éloignait davantage des modèles primates et des anciens américains. Mais une grande partie de sa flore intestinale restait impossible à déterminer. Les auteurs notent malgré tout une altération en profondeur de la composition des bactéries intestinales qui se serait produite dans les derniers siècles de l'histoire humaine. L'aseptisation des milieux ou le changement global de mode de vie sont donc des causes plausibles de ces changements.

    Cependant, il faut encore rester prudent quant à l'interprétation des résultats. Très peu d'échantillons ont été collectés et il faudrait davantage de données, dispersées sur des périodes plus importantes et plus précises pour conclure de manière plus affirmative. Ensuite, on n'est jamais certain de la pureté de la matièrematière récoltée. Les contaminationscontaminations de l'ADN sont tout à fait possibles, risquant fortement de biaiser les résultats.

    Les auteurs souhaitent quand même poursuivre dans cette voie, prometteuse. Leur objectif à long terme : comprendre comment la coévolution entre l'Homme et ses bactériesbactéries commensales a été bouleversée afin de proposer des solutions pour récupérer cet héritage perdu. Ou comment faire un retour en arrière.