Les débats autour de la présence du loup ne datent pas d’hier, mais ils ont été ravivés ces derniers mois par divers évènements. Ce qui en ressort : une volonté gouvernementale de déclassement du statut de protection de cette espèce. Pourquoi la réglementation est-elle renforcée au détriment de la protection du loup, alors que sa population est en baisse ? Rétrospective.


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    Nous sommes le 23 mai 2024. Le milieu très fermé de la protection des espèces sauvages est bouleversé par l'annonce d'un chiffre, qui vient de paraître dans un communiqué commun aux associations Aspas, Ferus, FNE, Humanité & Biodiversité, LPO, et WWF. L'estimation du nombre de loups présents en France a baissé de 9 % sur un an, passant d'un effectif minimum retenu de 1 096 loups en 2022 à 1 003 individus pour 2023. Après avoir doublé entre 2018 et 2023, d'après les estimations de l'Office français de la biodiversité (OFB), c'est la première fois que ce chiffre diminue en 10 ans ! Malgré cela, l'État français plaide toujours pour un déclassement du loup au niveau européen. Pourquoi ?

    L’argument du « danger pour le bétail et les humains  »

    Le dossier a été rouvert il y a 6 mois, le 20 décembre 2023, lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé que « la concentration de meutes de loups dans certaines régions d'Europe [était] devenue un véritable danger pour le bétail et potentiellement aussi pour les humains », avant de poursuivre, « j'invite les autorités locales et nationales à prendre les mesures qui s'imposent ».

    S'appuyant sur cet argument, la présidente de la Commission européenne a proposé un déclassement de l'espèce de « strictement protégée » à « protégée », visant à passer d'un impératif de protection à une logique de régulation, en facilitant les tirs et empêchant ainsi au loup de s'installer sur de nouveaux territoires. Concrètement, d'ici à la fin de l'année, une plateforme de données devrait collecter les données du loup à l'échelle européenne, comme l'a détaillé Adalbert Jahnz, porteporte-parole de la Commission européenne : « Ces données vont nous permettre de statuer sur une possible proposition de réforme de statut du loup et d'actualiser le cadre légal afin de permettre plus de flexibilité là où ce sera nécessaire, au regard de l'évolution des espècesévolution des espèces ». 

    Cette initiative cible directement la Convention de Berne de 1979, la plus ancienne convention internationale en matièrematière de conservation de la nature, transposée au droit français en 1989, et européen en 1992 par la directive Habitats-Faune-Flore (92/43/CEE), au titre d'espèce prioritaire. Or, fragiliser le niveau de protection d'une espèce protégée par une convention internationale est une démarche d'autant plus alarmante qu'elle est inédite.

    Image du site Futura Sciences

    Malgré une population de loups et un nombre d'attaques sur des troupeaux en baisse, le nouveau Plan national d’Action prévoit une facilitation des tirs. © Mathilde, Adobe Stock

    Une facilitation des tirs malgré une baisse des dommages

    Les « mesures » invoquées par la présidente de la Commission européenne n'ont pas tardé à être dévoilées : le 23 février paraît la version définitive du nouveau Plan national d’actions (PNA) 2024-2029. Intitulée Loup et activités d'élevage, elle est complétée par un arrêté ministériel fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations* aux interdictions de destruction peuvent être accordées. Ce PNA, en plus d'exposer une révision de la méthode de calcul des effectifs, décrit un protocoleprotocole de tirs simplifié pour les éleveurs et les louvetiers. Actuellement, les quotas de tirs sont fixés à 19 % de l'effectif, ce qui représente 209 loups. 

    Seulement, le 10 avril, les données actualisées de la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) ont démontré des dommages en baisse : en 2023, ce sont quelque 10 882 animaux domestiques qui ont été tués par des loups en France, soit 13 % de moins qu'en 2018. Les quotas de prélèvements ont-ils été revus à la baisse pour autant ? Absolument pas. Le gouvernement a décidé de ne pas rectifier le PNA, une volonté qui reflète la gestion très politique du dossier loup, basée sur des chiffres, ne laissant pas de véritable place pour un dialogue social et écologique. 

    Pourquoi tant d’incohérences ? 

    Selon Coralie Mounet, chargée de recherche au CNRS, il faut « sortir des chiffres pour prêter attention à la qualification de ce qui se passe, car l'approche de mise en chiffre n'a jusque-là rien réglé ». Qu'il s'agisse des quotas de loups tués ou du nombre d'attaques sur les troupeaux, les pourcentages ne disent rien de ce qu'il se passe sur le terrain localement : « Une approche globale ne permet pas d'avancer dans la compréhension des interactions loups/animaux domestiques ». La chercheuse affirme qu'un plan de gestion national « impose une politique générale, qui ne prend pas toujours en compte les spécificités locales ». Son ton est calme, mais on ressent tout l'engagement dans sa voix : selon elle, « il faut donner plus de place à l'expérimentation dans les territoires ».

    Le loup est un atout pour certains, et un inconvénient pour d’autres

    C'est justement ce qui se fait dans le Parc naturel régional du Vercors (PNRV) : en 2017, le syndicat mixte du Parc a voté à l'unanimité une motion qui le positionne comme territoire d'expérimentations, dans l'optique de permettre une meilleure coexistence pastoralisme/loup. Michel Vartanian, son vice-président et chargé du dossier « prédation », illustre cet objectif par le récit commun intitulé Loups et territoires, qui s'est articulé entre 2017 et 2023 autour de trois axes : la connaissance, l'évaluation des mesures de protection et la communication. Ce plan a abouti à une cinquantaine d'actions concrètes, applicables à différents niveaux, mais le délégué de la commune de Chamaloc, située dans la Drôme, explique que « cela ne constitue que des propositions pour améliorer la législation », avant de poursuivre, « nous n'avons pas été consultés pour le Plan national d'actions ». 

    Une communication qui prend la forme d'un cercle vicieux entre des territoires très concernés par cette « problématique », mais peu sollicités lors de l'élaboration de réglementations nationales, ces dernières limitant les leviers d'actions des territoires... Michel Vartanian est clair : « Le loup est un atout pour certains, et un inconvénient pour d'autres ». Alors, comment en est-on arrivé là ? 

    Nous tenterons de répondre à cette question dans le prochain épisode, durant lequel nous analyserons le passé pour mieux comprendre le présent. Rendez-vous samedi prochain !

    * Dérogations à la protection européenne : 

    • intérêt à agir (pour prévenir des dommages importants à l'élevage)
    • aucune autre solution satisfaisante (dommages malgré la mise en place de mesures de protections)
    • si les dérogations ne nuisent pas au maintien des populations dans un état de conservation favorable

    Les agents de l'OFB sont chargés de veiller au respect de cette réglementation, notamment via une enquête systématique dès lors qu'un loup sauvage est retrouvé mort -- pour rappel, le braconnage d'une espèce protégée est passible d'une peine délictuelle maximale de 3 ans de prison, de 150 000 euros d'amende, et de peines complémentaires.