Malgré un doublement de la flotte de pêche et des bateaux de plus en plus gros et puissants, les quantités de poisson ramenées se réduisent comme peau de chagrin. La preuve que les ressources ne suivent pas, et de loin, cette course effrénée à la productivité.


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    « Jusqu'en 2014, on débarquait, du 1er janvier au 30 mai, 500 à 600 tonnes de soles à Boulogne, contre 192 tonnes sur la même période cette année. Cette dégringolade a conduit à la mise à la casse de 7 bateaux de fileyeurs fin 2017 », se lamente à l'AFP Stéphane Pinto, vice-président du Comité régional des pêches Hauts-de-France, qui n'est certainement pas le seul dans ce cas.

    Une nouvelle étude de l'université de Tasmanie et du CSIRO parue le 28 mai dans la revue PNAS vient confirmer l'effondrementeffondrement de la productivité de la pêche mondiale. Compilant les données locales, les registres nationaux et les rapports scientifiques, celle-ci indique que la flotte globale de bateaux de pêche est passée de 1,7 million en 1950 à 3,7 millions en 2015. En Asie, elle a même été multipliée par quatre. Dans le même temps, chacun de ces bateaux ramène à peine un cinquième des captures qu'il faisait auparavant pour le même travail (quantité de poisson par jour de pêche et par kWh de puissance, noté capture par unité d'effort ou CPUE).

    De gigantesques navires-usines qui raflent le poisson

    Un effondrement de productivité d'autant plus étonnant qu'en 65 ans, les bateaux ont considérablement évolué : en 1950, la pêche était majoritairement artisanale avec à peine 20 % des bateaux motorisés. Une proportion passée à 68 % en 2015. Même si la plupart de ces bateaux à moteur sont de petite taille, ils ne représentent que 27 % de la puissance globale, qui a grimpé de 25 à 145 GW.

    La productivité de la pêche s’est effondrée au cours des 65 dernières années, surtout au détriment de la pêche artisanale. <em>© Yannick Rousseau et al, PNAS, </em>2019
    La productivité de la pêche s’est effondrée au cours des 65 dernières années, surtout au détriment de la pêche artisanale. © Yannick Rousseau et al, PNAS, 2019

    Ce sont les gigantesques navires usines, ne constituant pourtant que 5 % de la flotte mondiale, qui ont un impact ravageur : « Leur puissance de destruction a considérablement augmenté », alerte Reg Watson, coauteur de l'étude. Couvrant de plus longues distances en moins de temps, ils peuvent passer plusieurs semaines en mer et rafler un maximum de poisson au neznez et à la barbe des plus petits bateaux.

    Or, pour une même capacité de pêche, ces derniers ont un moindre impact que les navires géants, car ils sont détenus par des pêcheurs locaux qui ont intérêt à préserver la ressource. Les chalutiers géants, eux, se soucient peu du manque de poisson à un endroit donné : il leur suffit d'aller toujours plus loin dans les eaux internationales ou même de s'aventurer dans les territoriales d'autres pays.

    Une capacité de pêche qui augmente bien plus rapidement que le renouvellement des stocks

    Pourtant, même cette pêche industrielle est confrontée à la raréfaction des captures. « Notre indice d'efficacité (CPUE) est un excellent indicateur des stocks et des mesures de gestion de la ressource mises en place dans chaque région du globe, souligne Yannick Rousseau, doctorant à l'université de Tasmanie et auteur principal de l'étude. Le déclin massif du CPUE en Afrique et en Asie du Sud-Est montre ainsi l'épuisement des stocks, la capacité de pêche augmentant à un rythme bien supérieur à celui du renouvellement de la ressource ».

    Le saviez-vous ?

    En 2016, 90,9 millions de tonnes de poisson ont été pêchés dans les mers du globe ; un quasi quadruplement par rapport à 1950 d’après la FAO. Une augmentation loin d’être soutenable : la proportion de stocks exploités à un niveau biologiquement non durable est passée de 10 % en 1974 à 33,1 % en 2015 ; la situation s’étant particulièrement aggravée de la fin des années 1970 jusque dans les années 1980, indique la FAO.

    À l'inverse, on observe dans certaines régions comme l'Amérique du Nord ou l'Europe de l'Ouest, une stabilisation du CPUE grâce à une restriction des quotas de pêchequotas de pêche et des mesures de conservation. Le Parlement européen a ainsi voté en avril dernier l'interdiction de la pêche électrique dans ses eaux territoriales d'ici 2021. La Chine, premier producteur mondial, a elle aussi mis en place un plan quinquennal instaurant une réduction progressive des captures, ce qui devrait entraîner une baisse de cinq millions de tonnes d'ici à 2020, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (la FAOFAO).

    Encore un million de bateaux de pêche supplémentaires d’ici 2050

    Le pire reste pourtant à venir, s'inquiètent les chercheurs. En suivant l'évolution actuelle, plus d'un million de bateaux supplémentaires se disputeront les poissons de la planète en 2050 et leur puissance continue d'augmenter, indique Yannick Rousseau. Les premiers à en pâtir seront les petits pêcheurs d'Asie du Sud-Est dont le poisson constitue le moyen de subsistance. Outre l'épuisement des stocks, l'augmentation déraisonnée de la flotte de pêche mondiale n'est pas sans causer des problèmes de pollution et de réchauffement climatique.