La science progresse en postulant des lois et des phénomènes universels mais aussi en reconnaissant que ce n'est pas toujours le cas. On teste ainsi la loi de la gravitation et la façon dont naissent les étoiles. Et le réseau de radiotélescope Noema a fait un zoom inédit sur des nuages moléculaires où doivent naître des étoiles en dehors de la Voie lactée, dans une galaxie spirale proche : M51. Selon un communiqué de l'Iram, l'instrument « permet pour la première fois d'examiner les premières phases de la formation des étoiles au-delà de notre propre Voie lactée à l'échelle des nuages de gaz individuels, et ainsi de mieux informer les modèles de formation des étoiles utilisés pour expliquer l'évolution des galaxies tout au long de l'histoire de l'Univers ».


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    Nous savons que nous habitons dans une galaxie spirale grâce à la radioastronomie et l'étude de la fameuse raie à 21 cm. Malheureusement, notre position précisément dans le disque de la Voie lactée ne nous facilite pas les choses pour étudier sa structure, où et comment les étoiles se forment notamment en relation avec la Galaxie tout entière. Heureusement, le cosmoscosmos nous fournit un bon nombre de belles galaxies spirales que l'on suppose avoir une structure et des propriétés assez proches de la nôtre pour compléter nos observations et les déductions qu'il est possible d'en tirer.

    Parmi ces galaxies spirales laboratoires vues perpendiculairement à leur disque ou peu s'en faut et qui sont suffisamment proches pour de bonnes observations, l'une des plus connues est sans doute Messier 51 (M51), la galaxie du Tourbillon. Elle peut s'observer avec un eVscope d’Unistellar facilement dans la petite constellation des ChiensChiens de chasse, juste à côté de la Grande OurseGrande Ourse, à 37 millions d'années-lumière de la Terre.

    Les images prises par exemple aussi avec le télescopetélescope HubbleHubble montrent qu'il s'agit d'un couple de galaxies : une galaxie spirale régulière dont le diamètre est d'environ 100 000 années-lumière et une petite galaxie irrégulièregalaxie irrégulière. Comme son nom l'indique, la galaxie du Tourbillongalaxie du Tourbillon a été découverte en 1773 par Charles MessierCharles Messier, et elle porteporte le numéro M51 dans son célèbre catalogue d'objets célestes nébuleux à ne pas confondre avec des comètescomètes.


    L’observatoire Noema, un instrument pour répondre aux questions les plus fondamentales de l'astrophysique. Voici une vidéo de présentation de l'observatoire Noema de l'Iram, de ses enjeux. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Denis Ramos, Cinedia, Iram

    Noema est le radiotélescope millimétrique le plus puissant de l’hémisphère nord

    L'observation des orbitesorbites des étoiles doubles visibles dans la Voie lactée nous a montré que la loi de la gravitationgravitation de NewtonNewton était valable bien au-delà du Système solaireSystème solaire au point qu'on l'a cru universelle. Peut-être n'est-ce pas le cas si la théorie Mond s'avérait correcte. Toujours est-il que les astrophysiciensastrophysiciens cherchent à savoir si tout ou presque se passe dans des galaxies spirales comme dans notre Voie lactée, par exemple avec la formation des étoiles.

    Dans notre UniversUnivers-îles (selon le mot de Kant), pas de doute, les étoiles se forment en groupe dans des nuagesnuages moléculaires denses et froids, turbulents, qui selon certaines conditions de température et de densité vont s'effondrer gravitationnellement en donnant donc des étoiles, souvent doubles, entourées de disques protoplanétairesdisques protoplanétaires. Mais ailleurs ?

    C'est justement de nouveaux éléments de réponse que vient d'apporter aux débats sur ces questions un article publié dans Astronomy & Astrophysics Letters et dont on peut trouver une version en accès libre sur arXiv. Il concerne des observations dans le domaine des ondes millimétriques que l'on peut faire avec l'observatoire Noema (NOrthern Extended Millimeter Array), anciennement InterféromètreInterféromètre du plateau de Bure, un réseau de radiotélescopesradiotélescopes fonctionnant comme un instrument géant selon la méthode de synthèse d'ouverturesynthèse d'ouverture par interférométrieinterférométrie observant les ondes radio millimétriques et situé à 2 550 mètres d'altitude sur le plateau de Bure dans les Alpes du Sud en France. Le réseau de 12 antennes de 15 mètres de diamètre est géré par l'Institut de radioastronomie millimétrique (Iram) dont les locaux se situent à Grenoble et qui est financé conjointement par la France, l'Allemagne et l'Espagne. Noema est le radiotélescope millimétrique le plus puissant de l'hémisphère nordhémisphère nord.

    La galaxie Tourbillon vue dans de nombreux traceurs différents (dont HCN et N<sub>2</sub>H<sup>+</sup>) observés simultanément par Noema. Les variations d'émission des différents traceurs de chaque pixel renseignent les astronomes sur les conditions locales en jeu dans la formation des étoiles. © Iram
    La galaxie Tourbillon vue dans de nombreux traceurs différents (dont HCN et N2H+) observés simultanément par Noema. Les variations d'émission des différents traceurs de chaque pixel renseignent les astronomes sur les conditions locales en jeu dans la formation des étoiles. © Iram

    Des molécules quantiques en rotation pour percer les secrets des galaxies

    L'article publié est le produit d'une équipe de recherche internationale dirigée par l'Institut Max-PlanckPlanck d'astronomie (MPIA), comme l'explique un communiqué de l'Iram. Il porte sur de vastes régions de gazgaz froids et denses dans M51. Sophia Stuber, doctorante à l'Institut Max-Planck d'astronomie (MPIA) à Heidelberg et auteure principale de l'article de recherche dans Astronomy & Astrophysics y explique également que « pour étudier les premières phases de la formation des étoiles, où le gaz se condense progressivement pour finalement produire des étoiles, nous devons d'abord identifier ces régions. Pour cela, nous mesurons généralement le rayonnement émis par des moléculesmolécules spécifiques particulièrement abondantes dans ces zones extrêmement froides et denses ».

    Il se trouve que toujours selon le communiqué, Noema « permet pour la première fois d'examiner les premières phases de la formation des étoiles au-delà de notre propre Voie lactée à l'échelle des nuages de gaz individuels, et ainsi de mieux informer les modèles de formation d'étoiles utilisés pour expliquer l'évolution des galaxies tout au long de l'histoire de l'Univers ».

    C'est la mécanique quantique qui permet de réaliser ce genre d'observations. En effet, tout comme il existe des niveaux d'énergieénergie discrets pour les électronsélectrons dans les atomesatomes, des molécules comme celles de cyanure d'hydrogènecyanure d'hydrogène (HCN) et de diazénylium (N2H+) peuvent se comporter comme des petites barres de matièrematière en rotation avec des niveaux d'énergie quantique. Avec les oscillateurs harmoniques, les rotateurs étaient parmi les premiers modèles quantiques des atomes et des molécules que l'on pouvait étudier en détail avec l'équation de Schrödingeréquation de Schrödinger, comme on peut s'en convaincre en lisant le traité sur le sujet du professeur et directeur de thèse d’Heisenberg et Pauli (pour ne citer qu’eux) Arnold Sommerfeld.

    Les molécules ont donc un spectrespectre de rayonnement caractéristique, une signature spectrale sous forme d'un spectre rotationnel, comme disent les physiciensphysiciens et chimistes quantiques dans leur jargon, qui permet de détecter des distributions de ces molécules et de les identifier dans l'espace.

    On trouve des nuages moléculaires identifiables de cette façon où naissent les étoiles et maintenant on vient donc d'en trouver avec une précision nouvelle dans une galaxie en dehors de la Voie lactée, M51 donc.

    Cette illustration représente la distribution du rayonnement des molécules de diazénylium (fausses couleurs) dans la galaxie du Tourbillon (<em>Whirlpool</em> en anglais) comparée à une image dans le visible. Les zones rougeâtres sur la photographie représentent des nébuleuses gazeuses lumineuses contenant des étoiles chaudes et massives traversant des zones sombres de gaz et de poussière dans les bras spiraux. La présence de diazénylium dans ces régions sombres suggère des nuages de gaz particulièrement froids et denses. © Thomas Müller (HdA/MPIA), S. Stuber et al. (MPIA), Nasa, ESA, S. Beckwith (STScI), et <em>the Hubble Heritage Team</em> (STScI/AURA)
    Cette illustration représente la distribution du rayonnement des molécules de diazénylium (fausses couleurs) dans la galaxie du Tourbillon (Whirlpool en anglais) comparée à une image dans le visible. Les zones rougeâtres sur la photographie représentent des nébuleuses gazeuses lumineuses contenant des étoiles chaudes et massives traversant des zones sombres de gaz et de poussière dans les bras spiraux. La présence de diazénylium dans ces régions sombres suggère des nuages de gaz particulièrement froids et denses. © Thomas Müller (HdA/MPIA), S. Stuber et al. (MPIA), Nasa, ESA, S. Beckwith (STScI), et the Hubble Heritage Team (STScI/AURA)

    L'influence d'un trou noir supermassif ?

    Le cyanure d'hydrogène et le diazénylium étaient déjà utilisés pour explorer la formation d'étoiles dans la Voie lactée mais, comme le déclare Eva Schinnerer, responsable du groupe de recherche au MPIA, « ce n'est que maintenant que nous avons pu mesurer leurs signatures de manière très détaillée sur une grande partie d'une galaxie située à environ 28 millions d'années-lumière de la Terre, couvrant diverses zones aux conditions diverses. Même à première vue, il est évident que si les deux molécules révèlent effectivement un gaz dense, elles révèlent également des différences intéressantes ». Ce qui a changé aussi, c'est que les progrès instrumentaux avec Noema permettent de détecter plusieurs types de molécules en même temps.

    De façon intéressante également, les astrochimistes constatent que l'intensité du rayonnement des molécules de cyanure d'hydrogène augmente plus que celle du diazénylium lorsque l'on se rapproche du centre de la galaxie du Tourbillon. Une explication probable est que le rayonnement du cyanure est stimulé par le rayonnement émis par la matière chauffée du disque d'accrétiondisque d'accrétion entourant un trou noir supermassiftrou noir supermassif au cœur de M51.