Une équipe d'océanographes américains explore depuis l'an dernier les grands fonds et les abysses depuis l'océan Pacifique jusqu'à l'Atlantique. L'Okeanos Explorer a traversé le canal de Panama en novembre dernier et multiplie les plongées dans le golfe du Mexique. Toujours méconnue, la faune des grands fonds ménage encore bien des surprises.

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    La moisson de l'Okeanos Explorer est superbe. Ce navire océanographique de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric AdministrationNational Oceanic and Atmospheric Administration) a entamé en décembre 2017 une mission de trois mois dans le golfe du Mexique pour en explorer la faune des grandes profondeurs et du fond. En 2017, le même avait traversé le Pacifique depuis Honolulu (Hawaï) jusqu'à Panama. Après le golfe, le navire poursuivra sa route et ses observations en Atlantique.

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    Un surprenant « poulet sans tête » découvert dans les abysses

    Début janvier, nous relations la rencontre d'un ROV (pour Remotely Operated Vehicle, qui signifie « véhicule téléguidé ») avec un « poulet sans tête », en fait un concombre de merconcombre de mer nageur, se déplaçant gracieusement au-dessus du fond à la recherche de nourriture.

    Qu'est-ce donc ? Avec des photos de ce genre, il serait très facile de faire un quiz des abysses des plus surprenants. Accroché à quelque chose, du corail peut-être, cette <em>Asteroporpa cf. annulata</em> est une ophiure, c'est-à-dire un échinoderme proche des étoiles de mer. © <em>NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017</em>

    Qu'est-ce donc ? Avec des photos de ce genre, il serait très facile de faire un quiz des abysses des plus surprenants. Accroché à quelque chose, du corail peut-être, cette Asteroporpa cf. annulata est une ophiure, c'est-à-dire un échinoderme proche des étoiles de mer. © NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017

    Un monde très peu exploré

    Les belles rencontres ont continué, comme on peut le voir sur le site consacré aux missions de l’Okeanos Explorer. Ce monde des grandes profondeurs océaniques est très peu exploré et les écosystèmes qui s'y développent sont encore largement incompris.

    Les espèces animales qui y vivent appartiennent toutes à des groupes connus. On trouve des crustacés, comme les crabes et les crevettes, des mollusques, comme les moules ou des gastéropodesgastéropodes, des échinodermeséchinodermes, avec une belle collection d'holothuries (les concombres) et d'étoilesétoiles de mer ou encore des annélidesannélides, cousines de nos vers de terreterre. Mais tous arborent des allures et des robes très particulières et même le zoologistezoologiste exercé mais ignorant les abysses peut se faire tromper de loin devant une holothurie qui se tortille comme un mollusque ou une étoile de mer qui ressemble à une ophiure.

    Un poisson benthique cherche sa nourriture sur le sol. © <em>NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017</em>

    Un poisson benthique cherche sa nourriture sur le sol. © NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017

    Les ROV ont aussi étudié des communautés « chimiosynthétiques ». À côté d'animaux qui vivent des déchetsdéchets organiques tombant de la surface en une pluie continuelle, d'autres exploitent, souvent avec l'aide active de bactériesbactéries, les ressources chimiques du fond, trouvant une autre source d'énergieénergie là où la lumièrelumière du soleilsoleil ne pénètre pas.

    Une faune étonnante : des polychètes (des annélides, comme nos vers de terre, donc), qui prospèrent sur des blocs de glace riches en méthane, des clathrates. ©<em>NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017</em>

    Une faune étonnante : des polychètes (des annélides, comme nos vers de terre, donc), qui prospèrent sur des blocs de glace riches en méthane, des clathrates. ©NOAA Office of Ocean Exploration and Research, Gulf of Mexico 2017

    Ce peut être des sources hydrothermales mais aussi, comme le montre l'image ci-dessus, des hydrates de méthane, tant redoutés par les climatologuesclimatologues, qui y voient une bombe climatique potentielle. Certaines annélides polychètes apprécient particulièrement ces sources d'énergie.

    Ces mondes-là restent à découvrir et seule l'exploration patiente et répétée peut nous les faire connaître. Ils sont invisibles depuis la surface et a fortiori depuis les satellites. Il faut plonger...


    Une étrange créature filmée au fond du golfe du Mexique

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet paru le 17 juillet 2014

    En 2014, un engin sous-marinsous-marin a surpris par hasard un curieux animal de couleurcouleur violette, d'espèce indéterminée dans le fond du golfe du Mexique. Il s'agit d'un siphonophore, un groupe bien curieux où une colonie d'individus très spécialisés forme ce qui ressemble à un animal mais qui n'en est pas vraiment un. Retour sur une rencontre improbable.

    Dans le golfe du Mexique, l'expédition Nautilus Live a mené une série de campagnes avec des objectifs variés. L'une d'elles, Ecogic (Ecosystem Impacts of Oil and Gas Inputs into the Gulf of Mexico), consistait à explorer les fonds, entre 900 et 1.600 m sous la surface, pour y estimer l'impact de la catastrophe de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, le 20 avril 2010. Fin juin 2014, Hercules le ROV (pour Remote Operated Vehicle), engin télécommandé muni d'une caméra, a filmé un bien étrange animal, qui a suscité des commentaires émerveillés de la part des deux scientifiques qui contrôlaient l'appareil depuis le navire Nautilus.

    De couleur violette, l'animal présente une forme complexe, plutôt longue (mais la taille n'est pas précisée), sans tête ni membres, arborant des clochettes à la partie antérieure et un massif de fanfreluches à l'arrière. Il nage tout près du fond sableux et ne semble prêter aucune attention à Hercules.


    Ce magnifique siphonophore s’est laissé surprendre par la caméra du ROV. Ni la taille estimée de l’animal ni la profondeur ne sont indiquées, et la traduction des commentaires, émerveillés, n’apporterait pas grand-chose. Les deux scientifiques ne peuvent indiquer l’espèce, seulement affirmer qu’il s’agit à coup sûr d’un siphonophore, ce curieux groupe d’animaux chez qui les organes sont en fait des regroupements d’individus spécialisés mais indépendants. La partie avant est formée d'individus chargés de la natation. Derrière, la masse plissée et garnie de filaments regroupent des gastrozoïdes, qui capturent les proies. © Nautilus Live

    Les siphonophores, des colonies ambulantes

    Comme l'indique la biologiste commentant les images, il s'agit d'un siphonophore. Ce groupe d'animaux est classé parmi les cnidairescnidaires, aux côtés des médusesméduses, des anémones de mer et des coraux. Ces animaux existent sous deux formes, celle de la méduse, mobilemobile, et celle du polype, fixée. Les deux peuvent alterner dans le cycle de vie mais les siphonophores font mieux en faisant coexister les deux dans une même colonie.

    Car cet être nageur n'est pas un animal au sens habituel du terme mais une colonie. Des individus indépendants et réunis autour d'un stolonstolon, les zoïdes, se partagent les tâches. Les uns, plutôt méduses, assurent le mouvementmouvement et entraînent la colonie. Ce sont les nectophores. D'autres, plutôt polypes et nommés gastrozoïdes, capturent des proies avec leurs cellules urticantes réparties sur de longs filaments pêcheurs. La reproduction sexuée est assurée par une autre catégorie d'individus, les gonozoïdes.

    Les zoïdes (ici, les gastrozoïdes pêcheurs) s'accrochent sur une tige centrale, le stolon. On remarque, par leur couleur plus claire, des individus luminescents, un savoir-faire connu chez d'autres siphonophores. © Nautilus Live

    Les zoïdes (ici, les gastrozoïdes pêcheurs) s'accrochent sur une tige centrale, le stolon. On remarque, par leur couleur plus claire, des individus luminescents, un savoir-faire connu chez d'autres siphonophores. © Nautilus Live

    Les siphonophores font partie du plancton

    Tous ces zoïdes ne se sont pas rencontrés par hasard. Ils sont nés par bourgeonnement d'un premier individu et ils possèdent donc le même génomegénome. Chacun s'est ensuite fortement spécialisé et, s'il est indépendant, n'en est pas pour autant autonome. S'il quittait la colonie, il ne survivrait pas. Cette organisation ressemble à celle des animaux avec des cellules spécialisées réunies en organes mais elle est l'aboutissement d'un chemin différent de l'évolution.

    Pour voir et comprendre ces animaux des plus originaux, on peut se tourner vers Christian SardetChristian Sardet, biologiste spécialiste (et passionné) du plancton qui a réalisé une galerie pour Futura-Sciences et qui nourrit les Chroniques du plancton sur le Web. Rappelons que le terme planctonplancton désigne tous les organismes qui ne nagent pas suffisamment puissamment pour surmonter les courants et se déplacent avec eux. Les siphonophores en font donc partie.

    Dans ce groupe de cnidaires (qui appartient à la classe des hydrozoaires), on rencontre des célébrités, comme la très venimeusevenimeuse physalie (dont le flotteur lui permet de rester en surface) et l'organisme vivant le plus long du monde, Praya dubia, qui peut dépasser 40 m. Comme le prouve cette rencontre inopinée, bien des espèces restent à décrire.