Un ensemble qui contient une infinité d'éléments peut en contenir autant que l'une de ses parties : ce paradoxe bien réel mais contre-intuitif de la notion d'infini conduit à d'autres qui rivalisent avec ceux de la physique quantique. Il vient justement d'être concrétisé à l'aide de faisceaux lasers qui permettent de matérialiser une expérience de pensée que l'on doit au mathématicien David Hilbert.
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Dans son livre L'Univers mathématique, le célèbre mathématicienmathématicien Reuben Hersh parle de la notion d'infini comme de la corne d'abondance des mathématiques. Mathématiciens et philosophes ont pourtant été aux prises avec l'infini pendant plus de deux millénaires avant que Georg Cantor n'en donne enfin la théorie correcte dans le dernier quart du XIXe siècle. Si les mathématiciens ont finalement réussi à dompter l'infini et à le placer au cœur des mathématiques, il n'en est pas de même des physiciensphysiciens pour lesquels l'apparition de l'infini dans une théorie signifie généralement son effondrementeffondrement. Pourtant, bien des outils mathématiques qu'ils utilisent pour décrire le monde, comme le calcul infinitésimal, reposent sur l'infini mathématique.
De prime abord, l'infini déjoue l'intuition et l'intelligenceintelligence humaine lorsqu'elle s'applique à son étude comme le prouvent les nombreux paradoxes, réels ou apparents (comme dans le cas des paradoxes de Zénon d'Elée). Il en est un que l'on peut faire remonter au moins à Galilée. Il nous semble évident que les nombres pairs ne peuvent pas être aussi nombreux que les entiers puisqu'ils en sont seulement un sous-ensemble. Ceci n'est vrai que pour une collection finie de nombres. Mais comme l'avait montré le physicien italien, qui était aussi un excellent mathématicien, il suffit de multiplier chaque nombre entier par deux pour associer chaque nombre pair à un entier et ainsi les dénombrer. Il existe donc autant de nombre pairs que de nombres entiers.
Dans l'infini, il y a toujours de la place, dixit Hilbert
Il n'y a là aucune erreur de raisonnement comme allait le montrer définitivement Georg CantorGeorg Cantor en étendant d'une certain façon l'idée de GaliléeGalilée dans le cadre de la théorie des ensembles qu'il a fondée avec son ami et collègue Richard Dedekind. Plus tard, au XXe siècle, plus précisément en 1947 dans un de ses ouvrages, le physicien George GamowGeorge Gamow allait vulgariser l'infini de Cantor et ses paradoxes avec l'aide de « l'hôtel de Hilbert ». Il reprenait en fait un raisonnement déjà exposé par le grand mathématicien David Hilbert en 1924 comme l'explique dans un article sur arxiv l'éminent historienhistorien des sciences Helge Kragh. Mais qu'est-ce que l'hôtel de Hilbert ?
Une bonne présentation en a été donnée par le mathématicien Jean-Paul Delahaye. On peut la trouver dans le dossier qu'il a rédigé pour Futura-Sciences sur l'infini. Voici sa présentation :
« Un hôtel infini dont les chambres sont numérotées par les entiers 0, 1, 2, 3,... est complet pour la nuit (un client occupe chaque chambre). Arrive un client. "Pas de problème, lui répond le responsable de l'accueil. Installez-vous dans la chambre 0. Je demande au client de la chambre 0 de passer dans la chambre 1, à celui de la chambre 1 de passer dans la chambre 2, etc."
L'accueil dispose bien sûr d'un téléphone spécial qui permet de téléphoner simultanément à toutes les chambres en demandant au client de la chambre n de passer en n+1. Le nouveau client a pu être reçu.
Dix minutes plus tard arrive un car (infini, bien sûr) de nouveaux clients qui demandent à passer la nuit dans l'hôtel. "Pas de problème", répond le responsable de l'accueil au chauffeur du car, et il utilise son téléphone pour demander au client de la chambre n de passer dans la chambre 2n. Il indique alors au chauffeur du car que le voyageur numéroi de son car peut disposer de la chambre 2i+1, qui est effectivement libre, puisque toutes les chambres de numéro impair ont été libérées. »
Un hôtel de Hilbert avec des OAM
Remarquablement, un groupe international de physiciens pense avoir réussi à concrétiser le scénario bâti par le génie de Göttingen en réalisant un hôtel de Hilbert quantique. Les systèmes physiques en mécanique quantique peuvent être décrits mathématiquement par des vecteurs dans un espace vectoriel. On peut s'en faire une représentation simple avec un nombre écrit en base 10. Les composantes cn d'un vecteur représentant de cette façon un nombre N peuvent prendre les valeurs 0 à 9 et les bases de ce vecteur sont simplement les puissances de 10, c'est-à-dire 10n.
Dans le jargon de la mécanique quantique, tout système est décrit par un vecteur d'état ǀ N > qui peut être une combinaison linéaire discrète de bases notées ǀ n > (pensez à 10n)), c'est-à-dire que l'on a :
Pour réaliser l'expérience de pensée d'Hilbert, il faudrait donc construire considérer un système dont l'état ǀ N > passerait d'une combinaison infinie de bases ǀ n > à une autre combinaison infinie de bases ǀ n+1 > ou ǀ 2n >. C'est précisément ce que les chercheurs ont réussi à faire (potentiellement du moins). La combinaison est celle des états discrets des moments cinétiques orbitaux dans un faisceau de rayons laser. De telles ondes électromagnétiques font parler d'elles depuis quelque temps dans le domaine radio : ce sont les ondes à moment angulaire orbital, ou OAM. L'expérience a réussi une transition entre une combinaison d'états et une autre, à la manière dont se décalent les clients de l'hôtel de Hilbert.
On ne sait pas encore vraiment à quoi pourrait vraiment servir un hôtel quantique de Hilbert mais peut-être aura-t-on quelques surprises un jour avec cette curiosité de laboratoire dans le domaine de l'information quantique...