La Lune montre toujours le même visage à la Terre, constellé de cratères glanés depuis la plus tendre enfance du Système solaire. Combien y en a-t-il ? Les humains les comptent méticuleusement depuis des lustres, avec peine. L’intelligence artificielle change tout : un réseau neuronal, bien entraîné, vient d'en repérer des milliers qui avait échappé à l'attention des astronomes. Et elle n’a pas l’intention de s’arrêter là.

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    À une époque où les chercheurs croulent sous des montagnes de données astronomiques acquises par les télescopes terrestres et les sondes spatiales, l'intelligence artificielleintelligence artificielle arrive en sauveur. Déjà enrôlée dans la recherche d'exoplanètes ou la classification des galaxies, la voilà qui s'essaie au recensement des cratères lunaires.

    Inventorier les cratères, créés par l'impact des météorites, est une tâche fastidieuse, car notre satellite en possède des centaines de milliers. Mais cela apporte des informations sur la dynamique et la répartition de la matière durant la jeunesse du Système solaireSystème solaire. Certains cratères, visibles encore aujourd'hui en l'absence d'érosion, se seraient en effet formés il y a 4 milliards d'années.

    Le saviez-vous ?

    La face cachée de la Lune arbore le plus grand cratère d’impact du système solaire, le bassin Pôle Sud-Aitken, large de 2.500 km de diamètre et profond de 13 km.

    Ari Silburt et ses collègues, à l'université de Toronto, de Pennsylvanie et d'Arizona, ont réquisitionné un réseau de neurones artificielsréseau de neurones artificiels convolutif, inspiré du cortexcortex visuel des animaux, pour automatiser le comptage des cratères. Ce genre d'intelligence artificielle (IA), performant dans l'analyse et le traitement des images, s'appuie sur l'apprentissage automatique (machine learningmachine learning) et l'apprentissage profondapprentissage profond (deep learning).

    Les chercheurs l'ont exercée à repérer des cratères lunaires sur des images couvrant deux tiers de la surface de la LuneLune, où tous les cratères de plus de 5 km étaient déjà identifiés par l'humain. Ces données sont issues des catalogues créés à partir des photographiesphotographies prises par des sondes spatiales, comme Lunar Reconnaissance OrbiterLunar Reconnaissance Orbiter.

    Une fois l'entraînement terminé, les chercheurs ont procédé au test : les images du tiers restant de la surface lunaire, vierges de toute information, ont été soumises à l'IA. Celle-ci est parvenue à identifier deux fois plus de cratères qu'un être humain et 42 % d'entre eux sont nouveaux. Ce sont donc quelque 6.000 cratères qui viennent s'ajouter à ceux déjà connus. La performance est d'autant plus impressionnante qu'une fraction de ces cratères font entre 3 et 5 km de diamètre : ils sont plus petits que ceux étudiés pendant l'entraînement !

    À gauche, les cratères lunaires identifiés par l’outil informatique ; à droite, ceux catalogués par les êtres humains. L’IA est parvenue à repérer les cratères déjà connus (en bleu), en a manqué certains (en mauve, image de droite), mais en a aussi identifié de nouveaux (en rouge, image de gauche). © Ari Silburt <em>et al.</em>, 2018, <em>arXiv</em>

    À gauche, les cratères lunaires identifiés par l’outil informatique ; à droite, ceux catalogués par les êtres humains. L’IA est parvenue à repérer les cratères déjà connus (en bleu), en a manqué certains (en mauve, image de droite), mais en a aussi identifié de nouveaux (en rouge, image de gauche). © Ari Silburt et al., 2018, arXiv

    L’intelligence artificielle repère les cratères sur la Lune et sur Mercure

    Les chercheurs présentent leur outil dans un article disponible sur arXiv, en attendant sa publication dans le journal Icarus. En pratique, il fonctionne en deux temps. D'abord, le réseau neuronal identifie sur les images les bords des cratères en fonction des variations d'intensité des pixelspixels et les cratères sont alors codés sous forme « d'anneaux » d'un pixel d'épaisseur. Il ne s'agit pas forcément d'un cercle parfait, puisque l'IA tient compte des irrégularités des cratères. Après quoi, une chaîne de traitement fait coïncider les anneaux avec les cratères sur les images réelles.

    Selon les chercheurs, l'IA aurait appris « à détecter avec rigueur des cratères, et non simplement des motifs spécifiques à la surface d'une planète sur laquelle elle s'est entraînée ». En d'autres termes, au lieu de se limiter aux cratères lunaires, elle aurait compris ce qu'était un cratère d’impact au sens large. Pour preuve, elle a pu détecter, sans aucun entraînement, des cratères sur des images de MercureMercure, dont la surface diffère fortement de celle de la Lune. « C'est la première fois qu'un algorithme est capable de repérer correctement des cratères sur des surfaces lunaires et sur Mercure, » déclare Mohamad Ali-Dib, co-auteur de l'étude, dans un communiqué de l'université de Toronto à Scarborough.

    À gauche, une image de la surface de Mercure. L’IA repère l’emplacement des cratères sous forme d’anneaux (image du milieu). Les deux images sont superposées, à droite. © Ari Silburt <em>et al.</em>, 2018, <em>arXiv</em>

    À gauche, une image de la surface de Mercure. L’IA repère l’emplacement des cratères sous forme d’anneaux (image du milieu). Les deux images sont superposées, à droite. © Ari Silburt et al., 2018, arXiv

    Bien sûr, l'outil est loin d'être parfait. Sur les images de la Lune, il n'a retrouvé que 92 % des cratères déjà connus. Bizarrement, il a tendance à passer à côté des plus gros cratères tandis qu'il repère parfaitement les plus petits d'entre eux. En outre, la plupart des nouveaux cratères identifiés ont été confirmés ensuite par des observateurs humains, mais il y aurait environ 11 % de faux positifs. Les chercheurs considèrent que cette marge d'erreur reste trop élevée pour établir un catalogue précis.

    Cependant, ils comptent bien améliorer leur outil afin qu'il détecte encore plus de cratères. D'ailleurs, ceux dont le diamètre est inférieur à 3 km n'ont pas été pris en compte dans cette étude, mais les chercheurs affirment que l'IA peut traiter des images avec un grossissement plus fort et qu'elle pourrait donc repérer des cratères larges d'un kilomètre ou moins. Enfin, ils souhaitent l'appliquer sur d'autres corps célestes, comme Mars, la planète naineplanète naine CérèsCérès, ainsi que les lunes glacées de JupiterJupiter et SaturneSaturne.