Des chercheurs ont calculé un nouvel indicateur de l’espérance de vie, prenant en compte les données historiques et les conditions de vie réelles d’une génération. Résultat : la France et le Japon, champions de la longévité, dégringolent dans le classement, tandis que l’Australie et la Suisse font la course en tête.


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    En France, l'espérance de vie moyenne pour les femmes était de 85,4 ans en 2014. Pourtant, si votre grand-mère est décédée cette année-là à l'âge de 80 ans, elle était déjà bien chanceuse par rapport à ses congénères. Une nouvelle étude publiée le 17 août dans la revue Population Studies apporte un nouvel éclairage sur l'espérance de vie dans 15 pays du monde. Les deux auteurs ont recalculé une espérance de vie « réelle » à partir des données historiques prenant en compte la mortalité à chaque génération.

    « Aujourd'hui, l'espérance de vie d'une personne est basée sur la moyenne des espérances de vie à chaque âge pour une année donnée, un peu comme si cette personne restait "figée" sur cette seule année, explique Michel Guillot, directeur de recherche à l'Ined et coauteur de l'article. Mais cela ne nous dit rien sur son passé ni sur son expérience de vie ». Les chercheurs ont donc établi un nouvel indicateur appelé « espérance de vie de cohortecohorte décalée » (Lagged Cohort Life Expectancy ou LCLE). « Notre chiffre ne s'appuie pas sur un modèle théorique mais sur l'espérance de vie effective d'une génération, bien plus proche de la réalité », insiste Michel Guillot.

    L’espérance de vie « réelle » en 2014 prenant en compte la mortalité à chaque période pour une cohorte d’individus. © C.D, d’après Michel Guillot & Collin F. Payne, <i>Population Studies </i>
    L’espérance de vie « réelle » en 2014 prenant en compte la mortalité à chaque période pour une cohorte d’individus. © C.D, d’après Michel Guillot & Collin F. Payne, Population Studies 

    Deux nations grandes perdantes : la France et le Japon

    La mauvaise nouvelle, c'est que cette nouvelle moyenne est beaucoup plus basse que celle actuelle pour tous les pays. En France, elle plafonne pour 2014 à 77 ans pour les femmes et 68,8 ans pour les hommes, contre respectivement 85,4 ans et 79,3 ans pour la méthode de calcul classique. Ce qui signifie que votre grand-mère de 80 ans a déjà vécu 12,2 ans de plus que la moyenne des personnes de son âge. La chute est encore plus brutale pour les Japonais : les femmes perdent 13,8 ans d'espérance de vie et les hommes 12 ans. Les grands gagnants sont en revanche les Australiens, qui se placent en première place chez les hommes et en deuxième place chez les femmes derrières la Suisse. Les pays nordiques (Suède et Finlande) arrivent aussi en tête de classement.

    Espérance de vie « classique » <em>versus</em> espérance de vie réelle dans quatre pays : les différences s’expliquent par les mortalités plus hautes du passé dans les pays cités. © C.D, d’après Michel Guillot & Collin F.Payne,<i> Population Studies</i>
    Espérance de vie « classique » versus espérance de vie réelle dans quatre pays : les différences s’expliquent par les mortalités plus hautes du passé dans les pays cités. © C.D, d’après Michel Guillot & Collin F.Payne, Population Studies

    L’impact de la guerre et le syndrome du « survivant »

    Mais comment expliquer des tels écarts ? « L'Australie et les pays nordiques possèdent une population assez homogène et bénéficient depuis longtemps d'une qualité de vie plutôt bonne », relate Michel Guillot. À l'inverse, le Japon avait une faible espérance de vie jusque dans les années 1980, où celle-ci a fait un bond spectaculaire. En France, les mauvais chiffres s'expliquent en grande partie par la forte mortalité durant la deuxième guerre mondiale, mais aussi par l’alcoolisme qui a longtemps grévé l'espérance de vie notamment chez les hommes.

    Un autre effet possible est celui du « biais de sélection » de l'espérance de vie classique. « On va par exemple observer une bonne espérance de vie chez les hommes japonais de 80 ans, mais c'est parce que ces derniers sont ceux qui ont survécu aux difficultés sanitaires des années 1930 donc ce sont les plus "solidessolides", mais cela ne prend pas en compte tous ceux de cette génération qui sont morts avant », explique Michel Guillot. Enfin, un pays dans lequel on observe une forte mortalité infantile verra son espérance de vie moyenne mathématiquement baisser même si après cela s'améliore.

    Une tendance ne dit rien de l’avenir

    Que faut-il en conclure sur les évolutions possibles ? Le chiffre de la nouvelle étude, par définition basé sur des données historiques, ne peut rien nous enseigner sur le futur. Mais l'espérance de vie classique ne nous dit finalement pas grand-chose de plus : elle indique plus un potentiel qu'une véritable prévision. Rien ne dit par exemple que l’effet de rattrapage au Japon et en France va se prolonger. « Aux États-Unis par exemple, qui ont longtemps été bien classés, on voit que l'espérance de vie a tendance à stagner voire à reculer », observe Michel Guillot. On peut donc s'attendre à une dégringolade de ce pays dans les futurs classements.