Les gémissements de certaines joueuses à chaque frappe exaspèrent leurs adversaires qui se plaignent que cela affecte leur stratégie. D’innombrables études se sont penchées sur le sujet : puissance des coups, déstabilisation, effet psychologique… La polémique n’est pas près de retomber.


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    Quoi de plus énervant que les cris poussés par les joueurs de tennis à chaque fois qu'ils frappent la balle ?! André Agassi et Monica Seles étaient ainsi réputés pour leurs gémissements, tout comme Maria Sharapova ou Serena Williams aujourd'hui. Au point d'exaspérer leurs adversaires : Martina Navratilova, ancienne numéro 1 mondiale, déclarait même récemment que jouer en criant aussi fort s'apparente à de la « triche », car il faut pouvoir entendre le son de la balle qui rebondit sur la raquette pour anticiper son comportement. De plus, certaines accusent les joueuses « crieuses » de vouloir expressément déconcentrer et déstabiliser l'adversaire avec leurs hurlements.

    Crier, c’est tricher ?

    Face à la polémique, des scientifiques se sont penchés sur la question : les cris ont-ils une réelle influence sur le jeu ? En premier lieu, on a cherché à savoir si les cris contribuent effectivement aux performances. Selon une étude de 2014, pousser un cri lors du service augmenterait la rapidité de la balle de 3,8 %, et même de 4,9 % lors du service selon d’autres chercheurs. « La force d'expiration concomitante à la contraction des muscles abdominaux donne plus de puissance au moment de la frappe », confirme Victor Thompson, psychologue du sport.

    6,4 points en moins par jeu face à un adversaire bruyant

    Deuxième question : les cris peuvent-ils déstabiliser négativement l'adversaire ? Il a en effet été montré que la perception auditive joue un rôle prépondérant dans la performance sportive. Les joueurs portant des boules Quies voient ainsi leur temps de réaction ralenti. Une étude de 2010 assure que lorsqu'un son masque celui de la balle sur la raquette de tennis, les joueurs ont un temps de réaction supplémentaire de 21 à 33 millisecondes et font 3 à 4 % d'erreurs de trajectoire en plus.

    Les auteurs ont calculé que cela correspondait à un « handicap » équivalent à 6,4 points en moins par jeu. Néanmoins, la cause de ce retard à l'allumage n'est pas tout à fait claire : est-il dû au fait de ne pas entendre le bruit de la balle ou à la distraction provoquée par le cri, celui-ci détournant l'attention visuelle de l'adversaire sur sa raquette ?
     

    Une « compilation » des pires joueuses de tennis qui crient lors des matchs. © Eren Aksu, YouTube

    Anticiper la trajectoire en fonction du volume du cri

    Une nouvelle étude de l'Université de Jen (Allemagne) vient apporter une nouvelle pierre à l'édifice. Les chercheurs ont montré des vidéos d'échanges à des joueurs de tennis qui devaient prévoir la trajectoire de la balle, alors que des cris avaient été rajoutés artificiellement ou non pour certains coups. Si le taux d'erreur de prédiction de trajectoire (à droite ou à gauche) reste à peu près le même, les chercheurs se sont aperçus que plus le cri est fort, plus les joueurs anticipent une frappe plus longue, et ce même lorsque le cri ne masque pas le son de la balle sur la raquette. « Cela signifie que les joueurs ont intégré le fait que crier donnait plus de force », explique Florian Müller, le psychologue du sport qui a mené l'étude.

    Effet de confiance ou grosse feinte ?

    Enfin, le cri pourrait aussi jouer sur la confiance. La psychologue du sport Louise Ellis explique ainsi que crier donne plus d'énergieénergie et permet de relâcher la tension psychologique. Ce serait un réflexe « naturel » pour certaines joueuses et joueurs. Mais pas seulement : « J'ai eu un coach qui me disait de crier à chaque coup, comme ça même si je perdais le match, j'avais eu l'airair de tout tenter » expliquait ainsi à ESPN Vince Spadea, un ancien joueur américain.

    Des sanctions pour les joueuses qui crient trop fort ?

    Le problème est que tous ces gémissements, dont certains peuvent dépasser 100 décibels, soit le bruit d'une tronçonneuse, énervent aussi les spectateurs. S'il n'existe aucune règle précise sur le sujet, le règlement de la WTA, l'Association américaine des joueuses de tennis, précise que « toute distraction permanente peut être considérée comme une gêne pour le jeu ». Et, en conséquence, être punie d'un point de pénalité. Une règle pourtant jamais appliquée aux grognements des joueuses. Il y a quelques années, la WTA s'était pourtant saisie de la question affirmant vouloir « renforcer l'éducation des jeunes » afin que le phénomène cesse. Selon le directeur actuel Steve Simon, il y aurait déjà « beaucoup moins de joueuses qui crient ». Enfin le retour au silence ?