La nourriture préférée des baleines, pingouins et poissons s’est déplacée de 440 km vers le sud en l’espace de quatre décennies. Un phénomène largement dû au changement climatique et qui pourrait aussi l’aggraver en retour. Explications.


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    Le krill antarctique (Euphausia superbaEuphausia superba), composé de minuscules invertébrés se nourrissant de phytoplancton, est l'une des espèces les plus abondantes sur Terre. Sa biomasse est estimée entre 100 et 500 millions de tonnes, l'équivalent de la totalité de la population humaine. Il constitue la nourriture de base de très nombreux animaux, comme les baleines, dauphins, calmarscalmars, phoques et autres oiseaux marins. Or, la population de ce krill s'est considérablement concentrée vers le sud au cours des 90 dernières années, selon une étude exhaustive menée par une équipe de scientifiques et publiée le 21 janvier dans la revue Nature Climate Change.

    Une migration de 440 km vers le sud

    Les chercheurs se sont basés sur des relevés assez complets disponibles depuis 1926, issus des relevés de pêchepêche commerciale. Ils ont pris soin d'éliminer la plupart des biais méthodologiques, comme les variations saisonnières. Depuis 90 ans, le krill a ainsi migré de 4 degrés de latitudelatitude vers le sud, soit 440 km plus bas. Le changement est surtout visible à partir de la fin des années 1980. « La densité de krill s'est réduite et il s'est concentré sur un habitat beaucoup plus restreint autour de la plateforme antarctique », relate Simeon Hill, chercheur à la British Antarctic Survey et l'un des principaux auteurs de l'étude.

    Le krill, autrefois abondant dans tout l’océan Austral et la mer de Scotia, s’est concentré dans un espace réduit autour de la calotte antarctique. © British Antarctic Survey
    Le krill, autrefois abondant dans tout l’océan Austral et la mer de Scotia, s’est concentré dans un espace réduit autour de la calotte antarctique. © British Antarctic Survey

    Du krill plus gros et plus âgé

    La fin des années 1980 correspond à un retournement positif du phénomène appelé « oscillation antarctique », où la ceinture de forts vents d'ouest qui entoure l'Antarctique se déplace vers le sud, produisant un temps plus chaud, plus nuageux, avec plus de tempêtestempêtes et beaucoup moins de glace dans les régions où le krill avait tendance à se rassembler, au sud de l'Australie et dans la mer de Scotia. Les chercheurs ont aussi observé une augmentation moyenne de 6 mm de la taille du krill, signe d'une population plus âgée. « C'est le résultat d'une diminution du krill juvénile, le développement des larveslarves étant particulièrement affecté par l'absence de glace », explique Simeon Hill. Or, les modèles climatiquesmodèles climatiques prévoient une hausse de l'oscillation antarctique positive en raison du réchauffement climatiqueréchauffement climatique. Si la tendance continue, « la migration vers le sud va au bout du compte être bloquée par la plateforme continentale », constate Simeon Hill. « Les zones froides où se reproduit le krill vont être de plus en plus restreintes. »

    L’otarie à fourrure, qui vit sur l’île de Georgie du Sud entre l’Argentine et l’Antarctique, est gravement menacée par la désertion du krill de cette région. © British Antarctic Survey
    L’otarie à fourrure, qui vit sur l’île de Georgie du Sud entre l’Argentine et l’Antarctique, est gravement menacée par la désertion du krill de cette région. © British Antarctic Survey

    Des conséquences en cascade sur l’écosystème antarctique

    Le krill est la nourriture de base de nombreux animaux marins. « Moins de krill, cela signifie une compétition plus exacerbée pour la nourriture », prévient Simeon Hill. Selon des précédentes études, les otaries à fourrure et les gorfous dorés (Eudyptes chrysolophusEudyptes chrysolophus) semblent déjà souffrir du manque de ressource alimentaire. Plus gros, le krill n'est également plus adapté à la nourriture de certaines espèces. Mais les conséquences ne s'arrêtent pas là. Car le krill joue aussi un rôle majeur dans la pompe à carbone océanique : en avalant le phytoplancton présent à la surface, il envoie les déchetsdéchets riches en carbonecarbone vers le fond de l'océan, à plus de 2.000 mètres de profondeur. Une diminution importante de krill pourrait donc réduire la séquestration océanique du carbone. Enfin, l'impact risque aussi de se faire sentir au niveau économique : le krill fait en effet l'objet d'une intense pêche commerciale, de l'ordre de 250.000 tonnes par an. Bien que strictement encadrée, cette pêche fait vivre toute une industrie pour l'alimentation animale et humaine. Pour le WWFWWF, qui déjà réagit à cette étude, il est urgent de « placer la conservation de l'espèce au-dessus des intérêts commerciaux ».