Une baleine contenait 17 kg de plastique dans son estomac ; une tortue en avait tellement ingurgité que ses déjections en ont contenu durant un mois. Bien que ponctuels, ces événements prouvent que les océans sont aussi contaminés que les terres. On parle souvent d’îles de déchets plastiques, mais qu’en est-il réellement ? Charles Moore, fondateur de l’Algalita Marine Research Institute, répond à Futura-Sciences.

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    Dans le monde, 260 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année. On estime qu'un dixième du total finit dans les océans. En mars 2012, une baleine à bosse de 4,5 tonnes était retrouvée échouée sur une plage d'Espagne. Près de 17 kgkg de plastiqueplastique obstruaient son estomacestomac. Il contenait deux douzaines de morceaux de plastique, des sacs en plastique, neuf mètres de corde, deux bouts de tuyaux d'arrosage, deux pots de fleurs et un bidon en plastique. À cause de ce bouchon, la baleine est morte de faim.

    Si ce cas est extrême, nombre de décès liés au plastique dans l'océan sont répertoriés. Quelque 250 espèces marines, telles que les tortues, les dauphins, les baleines ou les raies, sont gravement en danger. Le problème du plastique dans l'océan est complexe. La circulation océanique à l'échelle du bassin est organisée en grands tourbillons : les gyres. L'océan dégrade les débris marins, qui sont pris dans la circulation des gyres. Ce sont des zones de convergence qui accumulent en massemasse les déchetsdéchets plastiques. Si bien que les gyres sont souvent qualifiés d'îles de déchets, voire de septième continent.

    Les cinq principaux gyres dans le monde. Ce sont des tourbillons océaniques de grande échelle qui résultent de l'équilibre entre la force de pression et la force de Coriolis. Il s’agit de zones de convergence. © NOAA

    Les cinq principaux gyres dans le monde. Ce sont des tourbillons océaniques de grande échelle qui résultent de l'équilibre entre la force de pression et la force de Coriolis. Il s’agit de zones de convergence. © NOAA

    Les morceaux de plastique sont dégradés et se transforment fréquemment en microparticules. Ils sont donc invisibles à l'œilœil, mais pourtant bien présents. Pour mieux comprendre la répartition de la pollution océanique de grande échelle et son impact, Futura-Sciences a interrogé Charles Moore, le fondateur de l'Algalita Marine Research Institute. Spécialiste du plus grand gyre du monde, le gyre nord pacifique, il explique les éléments clés de compréhension de la pollution plastique dans les océans.

    Futura-Sciences : Pour que nous nous rendions bien compte, quelle est la superficie du gyre nord pacifique et quelle quantité de plastique contient-il ?

    Charles Moore : Le gyre nord pacifique est plus grand que les États-Unis ou l'Europe. Pour donner un ordre de grandeurordre de grandeur, il représente un peu plus de la superficie de l'ex-URSS. Tout le gyre est contaminé. Actuellement, on estime qu'il contient deux morceaux de plastique par mètre cube d'eau. Cela revient à dire qu'il y a deux millions de bouts de plastique par kilomètre carré du gyre. Nous avons parcouru le gyre dans son ensemble. En partant depuis les États-Unis, ou depuis le Japon et même en traversant les eaux internationales, il y a du plastique partout.

    Quelle est la distribution de plastique dans ce gyre ?

    Charles Moore : Il y a du plastique dans toute la colonne d'eau, mais sa distribution est complexe. En surface, la quantité de débris plastiques dépend des événements météorologiques. Lorsqu'une tempêtetempête se produit, un certain régime de ventvent peut générer des tourbillons dans l'océan, c'est la circulation de Langmuir. Les débris de plastique convergent entre deux tourbillons et génèrent une traînée de plastique. Donc si vous voulez observer en surface le plastique, il faut étudier les modèles de circulation atmosphérique et diagnostiquer où ces traînées peuvent se trouver. Ces événements indiquent clairement qu'il y a une importante concentration de plastique dans tout l'océan, mais pour l'observer, il faut être patient et chercher les tempêtes.

    Un échantillon de l'eau de surface dans le gyre nord pacifique. Le plastique est dégradé par l'océan. Il devient si petit qu'il n'est pas visible par les images satellite. © <em>Algalita Marine Research Institute</em>

    Un échantillon de l'eau de surface dans le gyre nord pacifique. Le plastique est dégradé par l'océan. Il devient si petit qu'il n'est pas visible par les images satellite. © Algalita Marine Research Institute

    Si la répartition est si complexe, que dire de l’appellation « île de déchets » ?

    Charles Moore : J'aime dire que c'est un terme futuriste. Aujourd'hui, nous voyons des monticules de déchets dans les rivières, lorsqu'il pleut beaucoup. On les observe très bien dans les pays où les ordures ne sont pas collectées. Mais également ici, dans les rivières de Californie. Les océans sont plus grands, on observe donc moins d'amas de déchets. Mais ils sont la bouche de notre civilisation. Il y a quelques années, la production de plastique était de quelques milliers de tonnes de plastique par an. Aujourd'hui, on a dépassé les millions. Je m'attends à ce qu'on puisse réellement parler d'îles de déchets océaniques d'ici les prochaines décennies. Ce que nos données indiquent, c'est que l'augmentation annuelleannuelle de la concentration en plastique dans l'océan est proportionnelle à l'augmentation de la production industrielle de plastique.

    De quelle manière la pollution marine est-elle échantillonnée ?

    Charles Moore : Il existe différents moyens d'évaluer la pollution plastique du gyre. Lorsque nous partons en mer, nous utilisons différents chaluts. Pour récolter les débris en surface, nous utilisons le chalut Manta (Manta trawl). Le maillage du filet permet d'attraper des particules plus petites qu'un tiers de millimètre. Pour échantillonner le fond océanique, on utilise une drague à benne preneuse (clamshell dredge). Les dragues sont constituées d'un « panier » en métalmétal ou en filet fixé sur une armaturearmature rigide. Celle-ci présente une ouverture de forme et de largeur variables. Sa partie inférieure est munie d'une lame ou de dents qui raclent les sédimentssédiments. Mais on utilise aussi des chaluts pélagiques, des filets remorqués qui évoluent en pleine eau, entre la surface et le fond, sans être en contact avec lui.

    Nous obtenons ainsi des échantillons sur 100 m de fond, et nous trouvons du plastique à toutes les profondeurs.

    Le <em>Manta trawl</em> est mis à l'eau depuis l'arrière du bateau. Il est équipé d'ailes porteuses sur les côtés, qui permettent de garder l'ouverture du filet à l'interface air-mer. Les filets récupèrent donc un certain volume de débris qui stagnent en surface de l'eau. De gauche à droite, les chercheurs Marcus Eriksen, Jody Lemmon et Charles Moore. © <em>Algalita Marine Research Institute</em>

    Le Manta trawl est mis à l'eau depuis l'arrière du bateau. Il est équipé d'ailes porteuses sur les côtés, qui permettent de garder l'ouverture du filet à l'interface air-mer. Les filets récupèrent donc un certain volume de débris qui stagnent en surface de l'eau. De gauche à droite, les chercheurs Marcus Eriksen, Jody Lemmon et Charles Moore. © Algalita Marine Research Institute

    Les plastiques sont donc présents à toutes les profondeurs. Comment impactent-ils la faune et la flore ?

    Charles Moore : Les fortes concentrations de plastique modifient la chaîne trophique. Les poissonspoissons ou mollusquesmollusques qui vivent normalement près des côtes dans les récifs coralliensrécifs coralliens se trouvent en plein océan. Les débris de plastique leur fournissent de la nourriture et un habitat. Même le corailcorail se développe. On a réellement une île habitée au beau milieu de l'océan. Le firefish par exemple vit normalement en eaux peu profondes (20 à 25 m), mais on le trouve maintenant à 3.000 m de fond. Le plastique remplace les récifs coralliens !

    De plus, le plastique n'est pas inerte. Il contient des composés toxiques. Ce n'est donc pas un bon régime alimentaire, mais il n'est pas suffisamment toxique pour tuer les animaux de façon instantanée. Ils peuvent vivre avec du plastique, mais ils vivront moins longtemps. Nous sommes particulièrement inquiets, car les polluants sont interdits maintenant (les PCBPCB, les DDTDDT, les alcanes) ont une duréedurée de vie extrêmement longue, et sont présents en grande quantité dans l'océan.

    Cette tortue serpentine (<em>Chelydra serpentina</em>) a un jour croisé la route d'un rond de plastique issu d'une bouteille de lait. N'ayant jamais réussi à s'en débarrasser, son corps a dû s'adapter. © <em>Algalita Marine Research Institute</em>

    Cette tortue serpentine (Chelydra serpentina) a un jour croisé la route d'un rond de plastique issu d'une bouteille de lait. N'ayant jamais réussi à s'en débarrasser, son corps a dû s'adapter. © Algalita Marine Research Institute

    Quel avenir pour les océans ?

    Charles Moore : Le plastique est partout autour de nous, toutes les professions en ont besoin. Honnêtement, il ne semble pas possible d'éviter le pire. Les plastiques biodégradables auront du mal à remplacer le plastique. Je ne suis pas franchement optimiste, nous ne sommes pas capables de nous réguler. Nous avons les connaissances pour nous améliorer, mais les gens manquent de personnalité, ils ne sont souvent que l'extension de leur téléphone portableJacques-Yves Cousteau n'aurait jamais tenu ces propos. Il avait toujours un point de vue optimiste sur l'avenir : « Qu'avons-nous à dire à la génération future ? Que pouvons-nous faire pour l'accueillir de la meilleure des façons ? »