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Une photo du piège de Penning utilisé par les chercheurs pour faire basculer le spin d'un seul proton. © Holger Kracke
La mécanique quantique et ses conséquences expérimentales nous ont appris que l'on ne pouvait pas considérer la matière comme un ensemble de petites billes rigides qui auraient des positions et des vitesses bien définies dans l'espace-temps. On ne peut pas non plus les envisager comme des paquetspaquets d'énergies formant des bosses dans un champ d'ondes, à la façon de certaines ondes solitaires à la surface de l'eau.
Toutefois, il est possible, selon les expériences, de constater que le comportement des quantons (selon l'expression du philosophe et physicienphysicien Mario Bunge), que ce soient des électronsélectrons ou des photonsphotons, possède bien à un certain degré quelques-unes des caractéristiques des billes ou des vaguesvagues de la physiquephysique classique.
Une théorie précise au millième de milliardième
Ainsi, on peut considérer que les électrons se comportent bien dans certains cas comme s'ils étaient des petites sphères chargées et aimantées. On peut donc leur associer un moment électrique dipolaire et un moment magnétiquemoment magnétique. Le premier n'a pas encore été mesuré mais le second si. Il a même fait l'objet de calculs de plus en plus précis depuis soixante ans, commençant avec ceux de Julius Schwinger et ceux rendus célèbres par les travaux de Toichiro Kinoshita. La précision obtenue est colossale et fait de l'électrodynamique quantiqueélectrodynamique quantique (QED) la théorie physique la plus performante dont nous disposons.
Toutefois, dans le cas d'une autre particule du modèle standard, le muonmuon, avec la prise en compte des effets des interactions électrofaibles et de l'existence de quarksquarks chargés, un désaccord entre expérience et prédictions apparaît pour le moment magnétique de cette particule. Cela signale peut-être de la nouvelle physique, comme de la supersymétriesupersymétrie. Cette même nouvelle physique pourrait avoir un effet mesurable sur le moment dipolairemoment dipolaire de l'électron.
Sur ce schéma, un proton individuel noté P effectue un mouvement d'oscillation axial, c'est-à-dire de bas en haut parallèlement au champ magnétique principal B. Une petite composante oscillante du champ magnétique est perpendiculaire à ce champ et c'est elle qui va provoquer les basculements du spin du proton. © Alan Stonebraker
Plus généralement, cela fait des dizaines d'années que l'on sait que des mesures très précises des moments dipolaires et des moments magnétiques pour des particules élémentairesparticules élémentaires pourraient se révéler riches d'informations pour de la physique fondamentale au-delà du modèle standardmodèle standard. On pourrait ainsi découvrir les raisons de l'absence d'antimatièreantimatière à l'échelle cosmologique, la nature de la matière noire ou encore que la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte n'est pas toujours valable avec une violation de l'invariance CPTinvariance CPT.
Le piège à ions du prix Nobel Hans Dehmelt
C'est pour cela qu'ont été conçues des expériences avec des pièges de Penning pour étudier les propriétés d'un seul électron placé dans des champs magnétiqueschamps magnétiques et électriques. Les mesures du moment magnétique de l'électron ont été faites avec de tels pièges. On pourrait penser que mesurer le moment magnétique d'un protonproton serait tout aussi facile. Mais ce dernier est environ 660 fois plus faible que celui d'un électron. S'il est établi depuis longtemps que les protons possèdent effectivement un moment magnétique (que nous mesurons), puisque c'est à la base du fonctionnement de l'imagerie RMNRMN, jusqu'à présent aucune mesure directe précise n'a été faite pour un proton individuel.
Les physiciens de l'Institut de physique Johannes GutenbergJohannes Gutenberg à Mainz en Allemagne, avec leurs collègues des instituts Helmholtz et Max PlanckMax Planck, viennent de réussir une expérience représentant une étape importante vers la mesure du moment magnétique d'un proton. Pour cela, ils ont à nouveau considéré un piège de Penning dans lequel un proton individuel oscille axialement autour du champ magnétique central du piège. Cette oscillation se fait à une fréquencefréquence donnée qui est différente selon que le spinspin du proton est orienté dans un sens ou dans l'autre, parallèlement au champ magnétique. Rappelons que le spin du proton peut se voir comme un moment cinétiquemoment cinétique de rotation sur lui-même du proton, à la façon d'une toupie.
En ordonnée, on voit la probabilité de basculement du spin du proton (spin flip) et en abscisse, la fréquence d'oscillation du champ magnétique. La courbe continue représente la courbe théorique et les points noirs sont les points expérimentaux avec les barres d'erreurs comme il se doit dans une expérience de physique. © S. Ulmer et al.
En exerçant un champ magnétique de faible intensité, variable dans le temps à une fréquence ajustable et perpendiculaire au champ magnétique principal comme on peut le voir sur le premier schéma ci-dessus, il est possible de provoquer un basculement de l'orientation du spin. Ce basculement est régit par une loi de probabilité (comme toujours en mécanique quantique) et il se produit essentiellement à une fréquence donnée. Mesurer ce basculement de spin est une étape importante d'une future expérience qui reste à réaliser. Cette première étape, expliquée dans un article publié sur ArxivArxiv (donné en lien ci-dessous), les chercheurs allemands sont donc parvenus à la réaliser.
Un désaccord entre les calculs théoriques pour le moment magnétique du proton et l'expérience serait bien sûr, s'il est réel, une fenêtrefenêtre sur de la nouvelle physique. Mais il serait bien plus intéressant encore de réaliser l'expérience avec des antiprotons individuels et de découvrir que son moment magnétique n'est pas celui d'un proton. Un tel résultat ébranlerait fortement les fondements de la relativité restreinte à cause du théorèmethéorème CPT et serait une clé pour résoudre l'énigme de l'antimatière cosmologique.