Des chercheurs en psychologie proposent un nouveau modèle pour comprendre la multitude de biais cognitifs mis en évidence expérimentalement en laboratoire pour la plupart. Ils pourraient tous — ou presque — être dérivés de croyances fondamentales et de traitement de l'information congruents avec ces croyances.


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    L'existence des biais cognitifs n'est plus un secret tant l'utilisation du terme s'est banalisée. Une banalisation qui, comme souvent, ne ménage pas les concepts qui pénètrent la sphère sociale. À trop parler de biais cognitifs, on en voit partout et on ne réfléchit plus qu'à travers la lentillelentille de ces derniers. Néanmoins, la recherche en psychologie a mis en évidence plus de 150 biais cognitifs. Évidemment, cela n'est exact qu'à la condition que nous réfléchissions au sein du cadre théorique où les biais cognitifs existent (la rationalité écologique, par exemple, ne considère pas les heuristiques comme des biais), ce qui sera le cas pour cet article.

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    Le concept de biais cognitif est donc essoré, épuisé, pourtant, la recherche tente toujours d'en démontrer de nouveaux. C'est dans cette optique qu'une chercheuse en psychologie de l'université de Hagen (Allemagne) et qu'un chercheur en psychologie de l'université de Mayence (Allemagne) nous propose une nouvelle façon, plus parcimonieuse, de concevoir les biais : à travers des croyances fondamentales et une façon de traiter l'information congruente avec ces croyances. 

    Ces croyances fondamentales qui nous habitent

    Il y a des croyances qui sont présentes en nous depuis très longtemps et qui nous constituent. Dans cet article, les auteurs considèrent une croyance comme « une hypothèse à propos de certains aspects du monde qui survient dans notre esprit avec la notion de précision ». Ils suggèrent que ces hypothèses se retrouvent chez tous les êtres humains. En effet, la recherche en psychologie a montré que nous sommes des « machines » à générer des croyances : schémas, patterns, stéréotypes, généralisation à partir de notre environnement, etc.

    Nous sommes des « machines » à générer des croyances. © Ulia Koltyrina, Adobe Stock 
    Nous sommes des « machines » à générer des croyances. © Ulia Koltyrina, Adobe Stock 

    Nous générons même des croyances quand cela n'est pas approprié d'un point de vue rationnel parce que nous n'avons pas d'autres modèles disponibles pour comprendre le monde qui nous entoure et savoir comment se comporter en son sein. La religion est un bon exemple de système de croyances qui permet de fournir un modèle efficace à ces deux questions. Partant de ces constats, nos deux chercheurs considèrent que les croyances sont ubiquitaires et indispensables à la cognition humaine. Selon eux, nos biais cognitifs dérivent de croyances fondamentales comme « mon expérience est une référence raisonnable pour réfléchir » ou encore « je fais des évaluations correctes des évènements ». Et cela, à cause de notre façon de traiter l'information qui s'efforce d'être congruente avec ces croyances fondamentales.

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    Une façon biaisée de traiter l'information 

    Là encore, la recherche en psychologie a bien démontré que notre façon de traiter l'information était biaisée en direction de nos croyances. Nous avons tendance à tester des hypothèses qui confirment ce que nous pensons, de discréditer les croyances opposées aux nôtres et à protéger nos croyances. Ce mode d'évaluation émerge à tous les niveaux du processus de traitement : perception, évaluation, reconstruction et recherches de nouvelles informations. Les auteurs suggèrent donc que cette façon de traiter l'information est propre à notre condition humaine : « Belief-consistent information processing seems to be a fundamental principle in human information processing that is not only ubiquitous but also a conditio humana ». Par conséquent, ce mode de traitement de l'information ne nécessite aucune motivation : que l'on soit motivé ou non, nous n'avons, dans cette conception, pas vraiment le choix. Par extension, ils considèrent donc que la plupart des biais sont des dérivés du célèbre biais de confirmation

    Un tableau récapitulatif utilisé par les auteurs du modèle. © <em>Perspectives on Psychological Science</em>
    Un tableau récapitulatif utilisé par les auteurs du modèle. © Perspectives on Psychological Science

    Quelques exemples de biais qui suivraient ce schéma 

    Les auteurs prennent plusieurs biais pour illustrer leur modèle. Par exemple, l'effet projecteur, l'illusion de transparence ou encore l'effet de faux consensus dérivent tous de la croyance fondamentale « mon expérience personnelle est une référence raisonnable » couplée à un traitement de l'information congruente avec cette croyance. Dans le cas de l'effet de projecteurprojecteur et de l'illusion de transparencetransparence, on traiterait la perception d'autrui envers nous en partant de notre expérience personnelle. Pour l'effet du faux consensus, on infèrerait les croyances d'autrui à partir des nôtres. La croyance fondamentale « je fais des évaluations correctes » donnerait naissance à des biais comme le biais de la tâche aveugle ou l'effet médiatique hostile. Dans ces deux biais on analyse autrui (ou les médias) en opposition à nos évaluations jugées correctes. On en vient donc à davantage remarquer les erreurs des autres ou à penser que le traitement médiatique est biaisé sur un sujet. 

    Dans cette vidéo, Thibaut Giraud alias Monsieur Phi témoigne des deux vertus épistémiques citées ci-dessous en s’efforçant de développer les arguments d’une position avec laquelle il est intuitivement en désaccord. © Monsieur Phi, Youtube

     

    L'honnêteté et l’empathie intellectuelles comme solutions 

    Dans la dernière partie de leur article, les auteurs rappellent que la plupart des stratégies qui consistent à combattre les biais ne donnent pas de très bons résultats. En revanche, ils citent plusieurs recherches montrant l'efficacité de l'attitude consistant à challengerchallenger ses propres croyances en considérant honnêtement les positions adverses et en cherchant activement des arguments pour les soutenir. En somme, cela suggère que la meilleure manière de se prémunir des biais ne serait pas forcément d'acquérir des compétences pour les éviter mais plutôt de développer des vertus épistémiques comme l'honnêteté et l'empathie intellectuelle, qui pourraient conduire à instiller le doute dans nos croyances fondamentales infiniment biaisées.