Les dorsales océaniques sont traditionnellement considérées comme les plus grandes structures volcaniques sur Terre. La croûte océanique y est créée en continu et de façon symétrique. Ce processus représente le moteur de la tectonique des plaques et de l’écartement des continents. Pourtant, nous savons depuis plusieurs années que le mécanisme de création du plancher océanique n’est pas unique. En de nombreux points du globe, il s’avère en effet que l’accrétion océanique se fait avec peu, voire pas de magma. Dans ce cas, ce sont les failles qui jouent le premier rôle. 


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    Certains segments de dorsales sont caractérisés par une vitesse d’ouverture particulièrement lente, de l'ordre de 15 mm/an. Dans ce contexte ultra-lent associé à une lithosphère épaisse et froide, la fusion partielle à l'origine des magmas formant la croûte océanique classique est difficile à maintenir, au point que le mécanisme dominant l'accrétionaccrétion océanique n'est plus le magmatisme, mais la tectonique.

    Une croûte océanique composée de roches du manteau

    Une croûte océanique magmatique est majoritairement composée de gabbros et de basaltesbasaltes. Ces roches sont issues de la fusion partielle du manteaumanteau et sont mises en place au niveau de l'axe de la dorsale. Pourtant, le long des segments ultra-lents et a-magmatiques, la croûte océanique présente une autre composition. Elle est majoritairement formée de péridotitespéridotites, des roches directement issues du manteau sans avoir subi de fusion. Au contact avec l'eau de mer, la péridotite fraîche s'altère, l'olivineolivine qu'elle contient se transforme en un nouveau minéralminéral : la serpentineserpentine. On parle ainsi de péridotites serpentinisées. Le seul moyen d'amener à la surface ces roches mantelliques sans passer par le processus de fusion est de faire intervenir de grandes faillesfailles normales, appelées failles de détachement ou failles d'exhumation. Ces failles, qui s'enracinent profondément, jusque dans le manteau supérieur, ont la capacité de remonter du matériel profond jusque sur le fond océanique par un mécanisme particulier.

    De manière générale, une faille normale classique s'initie sous l'effet de l'extension, faisant descendre un bloc par rapport à l'autre, le plan de faille restant stable et formant un angle aigu avec la verticale.

    Fonctionnement d’une faille normale soumise à une contrainte extensive. © Wikipédia, CC by-sa 3.0
    Fonctionnement d’une faille normale soumise à une contrainte extensive. © Wikipédia, CC by-sa 3.0

    Dans le cas d'une faille de détachement, la faille s'initie de la même manière puis se met à basculer. L'angle que forme la faille avec la verticale change progressivement jusqu'à s'aplatir totalement : le plan de faille se retrouve alors à l'horizontal et devient lui-même le toittoit du socle océanique. Alors que les deux compartiments de part et d'autre de la faille s'éloignent progressivement sous l'effet de l'extension, cette rotation de la faille entraîne un processus d'exhumation. En contexte magmatique, l'espace créé par l'extension au niveau de la dorsale est comblé par l'injection de magma. Mais en contexte a-magmatique, l'espace est alors comblé par l'exhumation de roches mantelliques le long de ces failles de détachement.

    Mécanisme d’exhumation de manteau serpentinisé le long d’une faille de détachement (en rouge). © Morgane Gillard, modifié par la plateforme EduTerre
    Mécanisme d’exhumation de manteau serpentinisé le long d’une faille de détachement (en rouge). © Morgane Gillard, modifié par la plateforme EduTerre

    Ce processus d'exhumation sur le fond océanique a été mis en lumièrelumière par des observations directes de forage. Le toit du socle océanique est alors marqué par une zone endommagée typique des plans de failles indiquant que les roches ont subi un broyage et un frottement intense.

    Des failles qui jouent au flip-flop

    Ce mécanisme d'exhumation le long d'une faille est largement asymétriqueasymétrique, la faille s'enracinant au niveau de l'axe de la dorsale et accrétant du nouveau matériel d'origine mantellique uniquement sur un flanc. Comment expliquer alors que des péridotites serpentinisées se retrouvent de part et d'autre de la dorsale, de manière relativement symétrique ? Quels processus tectoniques entrent en jeu lorsque le magmatisme n'est plus suffisant pour accommoder l'extension ?

    En 2013, lors d'une campagne scientifique sur la dorsale sud-ouest indienne, des chercheurs ont étudié attentivement une zone de manteau exhumé présente de part et d'autre de la dorsale. Cette zone, caractérisée par un plancherplancher océanique particulièrement lisse (smooth seafloor), est marquée par de grandes rides de socle, parallèles à la dorsale. L'étude détaillée du fond océanique a mis en évidence le jeu de multiples failles de détachement, se recoupant au fur et à mesure pour exhumer le manteau alternativement sur un flanc de la dorsale puis sur l'autre. Ce processus d'exhumation, continu sur 11 millions d'années, a été nommé « flip-flop ». Les failles plongeant alternativement dans un sens puis dans l'autre permettent ainsi une accrétion océanique relativement symétrique de chaque côté de la dorsale, par le biais d'un processus initialement asymétrique.

    Schéma expliquant le mécanisme de flip-flop au niveau de la dorsale sud-ouest indienne, ultra-lente et a-magmatique. Les failles de détachement menant à l’exhumation du manteau sont représentées de différentes couleurs pour mettre en lumière la façon dont elles se recoupent progressivement au niveau de l’axe de la dorsale. © Daniel Sauter, modifié par la plateforme EduTerre
    Schéma expliquant le mécanisme de flip-flop au niveau de la dorsale sud-ouest indienne, ultra-lente et a-magmatique. Les failles de détachement menant à l’exhumation du manteau sont représentées de différentes couleurs pour mettre en lumière la façon dont elles se recoupent progressivement au niveau de l’axe de la dorsale. © Daniel Sauter, modifié par la plateforme EduTerre

    Ce mécanisme de création de croûte océanique est également suspecté au niveau de certaines marges continentales peu magmatiques pour expliquer les vastes domaines de manteau exhumé qui y sont observés.

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