Des fossiles datés de 50.000 à 67.000 ans ont été trouvés sur l'île de Luçon, dans la grotte de Callao. Ils ont permis de définir une nouvelle espèce humaine qui présente des caractères morphologiques singuliers, au niveau du pied et des dents.


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    La famille s'agrandit : des chercheurs ont annoncé mercredi avoir découvert une nouvelle espèce humaine aux caractères morphologiques singuliers, qui vivait sur l'île de Luçon, aux Philippines, il y a plus de 50.000 ans. L'analyse de 13 restes fossiles (dents, phalangesphalanges de pied et de main, fragments de fémurfémur) trouvés dans la grotte de Callao, et appartenant à au moins trois individus dont un enfant, ont conduit ces scientifiques à considérer qu'il s'agissait d'une nouvelle espèce, qu'ils ont nommée Homo luzonensis.

    Elle présente à la fois « des éléments ou caractères très primitifs ressemblant à ceux des Australopithèques et d'autres, modernes, proches de ceux des Homo sapiensHomo sapiens », explique Florent Détroit, paléoanthropologue au musée de l'Homme à Paris et principal auteur de l'étude parue dans la revue Nature. Cela en fait une espèce « mosaïque », dit-il. Cet Homo luzonensis « était probablement petit si on en juge par la taille de ses dents » mais « ce n'est pas un argument suffisant » pour l'affirmer, indique le chercheur.

    Homo luzonensis, qui n'est pas un ancêtre direct de l'Homme moderne, serait une espèce voisine, contemporaine d'Homo sapiens, mais avec un certain nombre de caractères primitifscaractères primitifs. Deux des fossiles analysés ont été datés directement par la méthode des séries de l'uraniumuranium et sont âgés respectivement de 50.000 ans et de 67.000 ans. Il s'agit des plus anciens restes humains connus aux Philippines, précédant les premiers Homo sapiens datés de 30.000 à 40.000 ans, mis au jour sur l'île de Palawan, au sud-ouest de l'archipel.

    Comparaison entre des dentitions, sur l'île de Luçon le 15 mars 2019. © Florent DETROIT - Florent DETROIT/AFP/Archives
    Comparaison entre des dentitions, sur l'île de Luçon le 15 mars 2019. © Florent DETROIT - Florent DETROIT/AFP/Archives

    L'analyse morphologique de ces restes a réservé bien des surprises. D'abord au niveau des dents : les prémolaires d'Homo luzonensis présentent des ressemblances avec celles des Australopithèques (des hominines d'Afrique disparus il y a deux millions d'années) et d'autres espèces anciennes du genre Homo comme Homo habilisHomo habilis ou Homo erectusHomo erectus. Entre autres, ces dents ont deux ou trois racines alors que celles d'Homo sapiens en ont généralement une, parfois deux, soulignent les chercheurs. En revanche, les molairesmolaires sont très petites et leur morphologiemorphologie très simple ressemble à celle des hommes modernes. « Un individu possédant ces caractéristiques combinées ne peut être classé dans aucune des espèces connues aujourd'hui », relève Florent Détroit.

    Une nouvelle espèce qui risque de susciter des débats

    Les os du pied aussi sont très surprenants : la phalange proximale présente une courbure très marquée et des insertions très développées pour les muscles assurant la flexionflexion du pied. Cela ne ressemble pas à une phalange d'Homo sapiens mais à celle d'un Australopithèque, hominine qui était probablement à la fois bipède et arboricolearboricole. « Nous ne disons pas du tout que Homo luzonensis vivait dans les arbresarbres car l'évolution du genre Homo montre que ce genre est caractérisé par une stricte bipédie depuis deux millions d'années », souligne Florent Détroit.

    La réapparition de caractéristiques primitives chez Homo luzonensis s'explique peut-être par l'endémismeendémisme insulaire, selon lui. Pendant le QuaternaireQuaternaire, l'île de Luçon n'a jamais été accessible à pied sec. Si des hominines se trouvaient là, il faut qu'ils aient trouvé un moyen de traverser la mer. Aux yeuxyeux du chercheur, les résultats de l'étude « montrent très clairement que l'évolution de l'espèce humaine n'est pas linéaire ». « Elle est plus complexe qu'on ne le pensait jusqu'à récemment ».

    Une découverte remarquable

    Il s'agit d' « une découverte remarquable » qui « va sans aucun doute susciter beaucoup de débats scientifiques », estime Matthew Tocheri de l'université Lakehead au Canada, dans un commentaire publié dans Nature. Florent Détroit s'attend à ce que certains collègues « s'interrogent sur la légitimité à décrire une nouvelle espèce à partir d'un si petit assemblage de fossiles ».

    À ses yeux, « ce n'est pas grave de créer une nouvelle espèce ». Cela permet d'attirer l'attention sur ces fossiles qui semblent différents. « Si dans le futur, des collègues montrent que l'on s'est trompé et que ces restes correspondent à une espèce que l'on connaissait déjà, tant pispis, ce n'est pas grave, on oubliera »...