Entre la liste rouge de l’UICN, qui établit les espèces en danger d’extinction, et celle de la Cites, qui met en place de réelles mesures de protection, il existe de nombreuses divergences. La faute notamment à la pression de certains États qui défendent leurs intérêts économiques.


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    En l'espace d'à peine une décennie, le nombre d'étourneaux à ailes noires en Indonésie s'est effondré de 80 %, son magnifique plumage blanc et noir attisant l'appétit des collectionneurs. Il n'en reste aujourd'hui plus que 50 à l'état sauvage. Cet oiseau ne fait pourtant l'objet d'aucune mesure de protection internationale. Le cas de l'étourneau est loin d'être unique. Selon une nouvelle étude publiée le 15 février dans la revue Science, il faut en moyenne plus de 10 ans entre le moment où une espèce est considérée à risque d'extinction et celui où elle fait l'objet d'une mesure de protection internationale.

    L’étourneau à ailes noires, quasiment éteint, ne fait pourtant l’objet d’aucune protection internationale par la Cites. © Jappalang
    L’étourneau à ailes noires, quasiment éteint, ne fait pourtant l’objet d’aucune protection internationale par la Cites. © Jappalang

    Qu’est-ce qu’une espèce menacée ?

    L'autorité de référence pour classifier les espèces menacées est l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICNUICN), qui publie une liste rouge des animaux et végétaux considérés comme « en risque d’extinction », à partir de données scientifiques sur le déclin des populations, les menaces sur l'habitat ou les prélèvements directs (chasse ou braconnage). Cette liste, qui comprend 26.840 noms, est purement indicative et n'entraîne aucune restriction ou obligation de quelque sorte. C'est la Convention internationale sur le commerce des espèces en danger (Cites), créée en 1975, qui réglemente le commerce international. Elle regroupe 183 pays qui se réunissent tous les trois ans pour statuer sur les espèces à protéger. Les espèces inscrites sur son annexe I (1.003 animaux et végétaux) sont ainsi complètement bannies de tout commerce, hors « circonstances exceptionnelles », comme des raisons scientifiques ou les trophées de chasse. Les deux autres annexes (II et III) soumettent les transactions à une stricte régulation ou à un permis spécial. Elles regroupent la grande majorité des inscrits (34.798 espèces).

    19 ans après, de nombreuses espèces en danger attendent toujours une mesure de protection

    Les deux auteurs de l'étude de Science, Eyal Frank et David Wilcove, ont passé en revue 958 espèces représentatives figurant sur la liste rouge de l'UICN, dont certaines « en danger critique ». Ils ont calculé que 28 % ne font l'objet d'aucune inscription à la Cites. Et celles qui ont la chance d'y figurer doivent faire face à des délais incroyablement longs : 62 % des espèces attendent jusqu'à 19 ans avant d'être protégées par la Cites ou ne sont toujours pas inscrites 24 ans après leur signalement sur la liste rouge de l'UICN. En moyenne, il faut 10,3 ans pour avoir enfin son nom sur les annexes I ou II.

    Les espèces classées en danger par l’UICN selon leur degré de menace (0 = faible, 9 = très haute) et leur inscription ou non aux annexes I et II de la Cites. © N. Desai/Science
    Les espèces classées en danger par l’UICN selon leur degré de menace (0 = faible, 9 = très haute) et leur inscription ou non aux annexes I et II de la Cites. © N. Desai/Science

    Des intérêts économiques qui freinent les décisions

    Il ne s'agit pas seulement de tracasseries administratives. En réalité, ce sont souvent des intérêts économiques qui entravent la procédure. Malgré le soutien de la FAOFAO et de l'Union européenne, l'inscription du thon rouge de l'Atlantique s'est, par exemple, vu retoquer par les pays pêcheurs et consommateurs comme le Japon, le Canada ou les pays arabes. L'éléphant d'Afrique, qui doit faire l'objet d'une décision lors de la prochaine réunion de la Cites, en mai prochain, fait lui aussi l'objet de débats houleux, certaines nations préconisant un assouplissement du commerce et d'autres une interdiction totale. Or, une majorité des deux tiers est requise pour valider une inscription.

    Des espèces quasiment éradiquées en quelques années

    Une lenteur particulièrement préjudiciable, déplore Eyal Frank, professeur adjoint à la Harris School of Public Policy de l'université de Chicago. « De nouvelles tendances dans le commerce des espèces sauvages peuvent se développer très rapidement, certaines passant de communes à statut de quasi-extinction en quelques années seulement », alerte le scientifique. Le shama à croupion blanc (Copsychus malabaricus opisthochrus), un petit passereaupassereau d'Asie très courant, a ainsi pratiquement disparu après seulement 5 à 7 ans de piégeage intensif pour le commerce des animaux domestiques. Et même une fois repérées par la Cites, les espèces peuvent demeurer en stand-by : bien que toutes les espèces de pangolin aient été inscrites à l'Annexe II en 2000, avec des quotas commerciaux fixés quasiment à zéro pour certaines, sept des huit espèces n'ont été inscrites à l'Annexe I qu'en 2017. Entre-temps, plus d'un million d'animaux ont été l'objet d'un intense trafic.

    Faut-il ou non interdire le commerce de l’éléphant d’Afrique ? Les États sont divisés. © Russ Hoverman, iNaturalist
    Faut-il ou non interdire le commerce de l’éléphant d’Afrique ? Les États sont divisés. © Russ Hoverman, iNaturalist

    Il faut à l'inverse noter que 37 % des espèces protégées par la Cites ne figurent pas sur la liste rouge de l'UICN. Il s'agit, la plupart du temps, d'animaux ou végétaux appartenant à une même famille ou genre qui a été inscrite dans une annexe et dont tous les représentants sont de fait inscrits par défaut. C'est le cas par exemple de 118 espèces de coraux, protégées depuis 1990 mais considérées comme menacées par l'UICN seulement en 2008.

    Améliorer d’urgence les procédures de protection

    Pour Eyal Frank, il faudrait instaurer une meilleure coordination entre l'UICN et la Cites. Le scientifique prône également un processus de décision politique plus rapide. « Toute espèce menacée devrait être soumise à un vote immédiat de la Cites », suggère le scientifique. Les deux auteurs en appellent également à la responsabilité de chaque État : « Indépendamment de la Cites, tous les pays peuvent utiliser la liste rouge de l'UICN pour prendre des mesures de protection des espèces présentes sur leur territoire. »