Le protoxyde d’azote est connu comme gaz hilarant. Beaucoup moins drôle, c’est aussi un puissant gaz effet de serre généré en grande partie par l’épandage d’engrais azotés. Or, la consommation de ces fertilisants a dramatiquement augmenté ces dernières années, aboutissant à des émissions exponentielles de N2O.


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    Quand on s'alarme des émissions de gaz à effet de serre, on parle généralement de dioxyde de carbone (CO2) ou parfois du méthane (CH4). Il est plus rare que soit évoqué le protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote (N2O), un gaz à effet de serre pourtant 300 fois plus puissant que le CO2. Ce dernier est pourtant responsable à lui seul de 20 % du réchauffement climatique, en grande partie via le processus de dénitrification (transformation des nitrates en azote moléculaire libéré dans l'atmosphère). Selon l'Ademe, l'agricultureagriculture est ainsi responsable de 86,6 % des émissionsémissions françaises de N2O via les épandages d’engrais, de fumier, de lisier ou la décomposition de résidus de récolte. Mais cela pourrait être encore pire que prévu : une nouvelle étude parue dans Nature Climate Change le 18 novembre vient jeter un pavé dans la mare en affirmant que les émissions de protoxyde d'azote ont été largement sous-estimées par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

    Une nouvelle façon de mesurer les émissions de N2O

    Les chercheurs ont recalculé les émissions de N2O des deux dernières décennies (entre 1998 à 2016) à partir de la concentration atmosphérique de N2O provenant de 50 stations à travers le monde. Ils ont constaté que les émissions mondiales ont augmenté d'environ 10 % entre 2000-2005 et 2010-2015, soit le double des quantités estimées par le GIEC qui se base principalement sur la quantité d'engrais azoté utilisé dans le monde. Un écart lié à la hausse du facteur d'émission, lequel serait beaucoup plus élevé qu'estimé jusqu'ici. Pour faire simple, le GIEC suppose un facteur d'émission constant, c'est-à-dire que si on utilise x tonnes d'engrais azoté, cela génère x tonnes de N2O. Or, ce facteur ne serait pas linéaire, mais augmenterait rapidement lorsqu'il y a un gros excès d'azote dans le sol.

    L’engrais déversé sur des cultures déjà saturées en azote finit inévitablement dans l’atmosphère. © oticki, Adobe Stock
    L’engrais déversé sur des cultures déjà saturées en azote finit inévitablement dans l’atmosphère. © oticki, Adobe Stock

    La croissance exponentielle des émissions

    La plupart des pays déclarent les émissions à partir de la méthode du GIEC qui suppose un facteur d'émission de 1,3. « Mais, dans certaines régions du monde, l'excès d'engrais par rapport aux besoins des plantes est tel que la croissance des émissions est exponentielle », explique à ABC Pep CanadellPep Canadell, directeur du consortium Global Carbon Project et co-auteur de l'étude. C'est particulièrement vrai en en Chine, où les émissions auraient augmenté de 0,40 tonnes par an entre 2000 et 2015, contre 0,23 tonnes estimées jusqu'ici. Au global, le facteur d'émission serait deux fois plus élevé que prévu. Ce facteur soi-disant constant est d'autant moins fiable qu'il dépend aussi la nature du sol, de son PH, de la saturation en eau, ainsi que de la température et la pluviométrie.

    Une utilisation massive d’engrais sans réelle justification

    « Le gros problème, c'est que les engrais sont relativement bon marché, explique Richard Eckard, directeur du Primary Industries Climate Challenges Center à l'Université de Melbourne (non impliqué dans l'étude). Les agriculteurs en mettent donc beaucoup "au cas où", et l'excès est perdu dans l'environnement et l'atmosphère ». Un comportement renforcé par l’insécurité alimentaire comme en Chine et au Brésil. Ce constat est d'autant plus regrettable qu'il est tout à fait possible de réduire les émissions en adoptant de meilleures pratiques culturales, explique l'INRA. Une meilleure aération du sol, un travail du sol réduit, une diversification des cultures et bien entendu, un usage raisonné des engrais azotés permettait de réduire significativement la dénitrification. Une étude canadienne de 2008 montre par exemple des taux de N2O deux fois plus élevés en monoculturemonoculture de maïsmaïs que lorsque le maïs suit une culture de sojasoja.