Un tiers de la production alimentaire mondiale est jeté à la poubelle chaque année. Un chiffre qui peut surprendre lorsqu’on rapproche d'un autre : un milliard de personnes souffrent de malnutrition. Nos habitudes alimentaires et notre manque d’organisation ne sont pas étrangers au problème.

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    Selon l'Ademe, 5,3 millions de tonnes de denrées alimentaires seraient jetées chaque année en France. La majeur partie d'entre elles pourrait être compostée. © jbloom, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Selon l'Ademe, 5,3 millions de tonnes de denrées alimentaires seraient jetées chaque année en France. La majeur partie d'entre elles pourrait être compostée. © jbloom, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Les fêtes à peine terminées, il pourrait être intéressant de dresser un bilan de la nourriture qui a été achetée, consommée... ou mise au rebut. Chaque Français jetterait directement ou non environ 90 kg de nourriture par an (l'équivalent de 430 euros en moyenne), dont la moitié correspond à des fruits et légumes. D'où viennent ces chiffres ? De Tristram Stuart, un Britannique diplômé en littérature anglaise, mais qui est depuis devenu un spécialiste du gaspillage alimentaire.

    Nos mauvaises habitudes de consommation seraient en cause. Certains exemples sont parfois plus parlants que la théorie. Nous prêtons une attention toute particulière à la beauté des fruits et légumes que nous achetons, éliminant au passage ceux qui présentent des taches ou des difformités. Mais ont-ils mauvais goût pour autant ? Au final, les distributeurs doivent jeter les aliments ne répondant pas à nos attentes et surtout,refusent les produits agricoles pourvus d'imperfections. Ainsi, alors que notre pays est le premier producteur agricole européen, certains exploitants jetteraient chaque année 20 à 30 % de leur production pourtant comestible.

    Des rayons pleins à toute heure du jour

    En France, les quelque mille hypermarchés élimineraient environ 850 millions d'euros de nourriture par an, un chiffre six fois supérieur au budget annuel des Restos du cœur. Or, cette organisation sert plus de 100 millions de repas par an ! Les fruits et légumes ne sont pas les seuls concernés par ces chiffres. De nombreux distributeurs iraient en effet au-devant des attentes des consommateurs en jetant tous les produits imparfaits, par exemple un packpack de canettes tombé par terre et dont l'emballage s'est déchiré. Certains déchets, comme les fruits et légumes, pourraient être valorisés, mais il n'en est rien. En effet, les aliments mis au rebut ne peuvent plus être utilisés pour nourrir des animaux depuis la crise de la vache follevache folle.

    Environ 15 % des bananes produites en Équateur sont jetées sur place pour des raisons esthétiques ou économiques. Les autres sont transportées par bateau vers l'Europe (12 jours de voyage) où elles vont être placées dans une mûrisserie durant 8 à 10 jours. Elles seront mises en vente 22 jours après leur récolte… et jetées au bout de 96 heures seulement si personne ne les achète. © Fernando Stanjuns, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Environ 15 % des bananes produites en Équateur sont jetées sur place pour des raisons esthétiques ou économiques. Les autres sont transportées par bateau vers l'Europe (12 jours de voyage) où elles vont être placées dans une mûrisserie durant 8 à 10 jours. Elles seront mises en vente 22 jours après leur récolte… et jetées au bout de 96 heures seulement si personne ne les achète. © Fernando Stanjuns, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Une autre pratique de la grande distribution est également mise en cause : les rayons doivent toujours être pleins, y compris celui proposant les pains et les viennoiseries. Or, ceux qui ne sont pas vendus le soir sont obligatoirement jetés. Et il faut 1.000 litres d'eau pour produire un kilogrammekilogramme de farine... En d'autres termes, l'équivalent d'une baignoire d’eau serait gaspillé à chaque fois qu'une baguette est mise à la poubelle. 

    Nous, consommateurs, ne sommes pas exempts de toute responsabilité directe. Chaque foyer français dépenserait annuellement environ 17 % de son budget dans l’alimentation... pour au final jeter 400 euros de nourriture. La mauvaise gestion des dates de péremption est en cause (pourquoi en mettre une sur des produits secs non périssables ?), mais elle n'explique pas tout. Une autre habitude n'est pas sans conséquence : nos fruits et légumes sont par exemple conservés dans le bas des réfrigérateurs, là où il fait le plus froid. Or, certains d'entre eux, comme les concombres, n'aiment pas les basses températures. Ils se dégradent plus rapidement, tout en ayant plus de chance de finir aux ordures. À noter tout de même que chaque Français éliminerait 7 kg de nourriture non déballée par an, principalement des plats préparés.

    Un problème alimentaire mondial et massif

    Et dans le monde ? Environ un tiers de nos bananes proviendrait d'ÉquateurÉquateur, un pays où 146.000 t de ce fruit sont jetées chaque année, avant même d'être chargées sur un navire, pour des raisons esthétiques et économiques. Le critère de la beauté n'explique pas tout. En Inde, le gaspillage alimentaire serait principalement dû à des problèmes logistiques, par exemple à la suite de l'utilisation de techniques de transport mal adaptées.

    Ce pays produit largement de quoi subvenir aux besoins de sa population. Un habitant sur cinq souffre pourtant de malnutrition. Par ailleurs, chaque foyer indien gaspillerait annuellement, en termes financiers, respectivement quatre et six fois moins qu'un ménage français ou américain. Quant aux États-Unis, ils pourraient à eux seuls nourrir deux milliards de personnes avec les denrées alimentaires qui sont jetées chaque année (coût estimé à 100 millions de dollars par an) ! Le gâchis est donc massif et mondial.

    Près d'un tiers de la production alimentaire mondiale terminerait ainsi sa vie à la poubelle. Les pertes sont estimées à 100 milliards d'euros. Alors, pourquoi un scandale mondial ? Parce que, simultanément, un milliard de personnes souffrent de malnutrition dans le monde. Ne serait-il pas temps de consommer mieux ? Le sujet a en tout cas le mérite d'être revenu sur le devant de la scène grâce à un documentaire réalisé par Olivier Lemaire. Il a été diffusé sur Canal+ en octobre 2012.