Après de longs mois et plusieurs reports, Emmanuel Macron a annoncé pour avril l'examen d'un texte encadrant la fin de vie, suscitant l’opposition de certains cultes et d’une partie des soignants. Un thème qui soulève de nombreuses questions autour de l'archétype de la « bonne mort ».


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    Avant toute chose, sachez que les propos qui suivent sont volontairement articulés autour d'une vision occidentale, européenne, voire française, de la fin de vie à travers les âges et du contexte politique actuel. Si plusieurs sondages décrivent des Français majoritairement favorables à la légalisation d'une forme d'aide à mourir, cette perspective soulève un débat sensible. Il est question du choix du moment et de la manière dont une personne peut mourir, une mort sans souffrances et entourée de proches semblant correspondre à l'archétypearchétype d'une « bonne » mort de nos jours. Mais cela n’a pas toujours été le cas : chaque époque a ses propres représentations, et leur éclairage permet de mieux comprendre la situation politique et sanitaire actuelle. 

    La prise en charge de la fin de vie a évolué à travers l'Histoire, permettant de mieux comprendre les enjeux actuels autour de ce sujet sensible. © Dall-E, ChatGPT (image générée par IA)
    La prise en charge de la fin de vie a évolué à travers l'Histoire, permettant de mieux comprendre les enjeux actuels autour de ce sujet sensible. © Dall-E, ChatGPT (image générée par IA)

    Une histoire de religion, de médecine et de sciences sociales

    Dans la France chrétienne moyenâgeuse, c'est le prêtre qui accompagne la fin de vie. Le mourant doit être dans un état de conscience suffisant pour lui permettre de communier, mais doit à la fois mourir avec certitude, l'extrême-onction ne pouvant être reçue qu'une unique fois. Autre subtilité : d'un côté, ce sacrement est supposé soulager le malade physiquement, moralement et spirituellement, et de l'autre, la souffrance est interprétée comme un état de rapprochement du Christ et l'agonie comme un combat entre angesanges et démonsdémons qui décident du paradis ou de l'enfer qui attendent le malade en péril de mort. 

    Euthanasie, suicide assisté, SPCJD : quelles différences ? Thibaut Ponamalé fait le point dans cet épisode de Futura Flash. © Futura

    Au XIXe siècle, l’arrivée des sciences médicales vient bouleverser cette conception centrée sur la religion. Désormais, c'est le médecin qui accompagne le mourant, et les souffrances sont partiellement apaisées. Cela va de pair avec l'émergenceémergence d'une forme de mensonge dans l'accompagnement du mourant et de ses proches, afin d'épargner une confrontation à des questions complexes. Le mourant est ainsi doublement inconscient : moralement, mal qui l'affecte et de l'imminence de la mort, et physiquement, par l'administration d'antalgiques à base d'opium majoritairement. Ce recours aux antalgiques grandit au début du XXe siècle, et une nouvelle question se pose alors : vaut-il mieux soulager la douleur, au risque d'abréger la vie, ou user des outils de la médecine moderne pour la prolonger, au risque d'une dysthanasie ? Parallèlement, les progrès de la médecine augmentent l'espérance de vie, et des maladies chroniques telles que les cancers deviennent de plus en plus nombreuses, allongeant le temps de l'agonie, et redéfinissant ainsi les contours de la mort. 

    Dans les années 1960, le débat autour de l'acharnement thérapeutique et la question de l'euthanasie émergent dans les pays anglosaxons, par le personnel soignant subalterne. Ils rapportent des patients très sédatés, en phase terminale, qui semblent souffrir physiquement et moralement. De ce constat naît une nouvelle vision globale de la douleur : les soins palliatifs, censés adresser toutes les douleurs de fin de vie sans pour autant plonger le patient dans un état passif, par le biais d'un travail de prise de conscience. Puis arrivent les années 1970, où les sciences humaines et sociales souhaitent lever le tabou des sociétés modernes autour de la mort et ses conditions, dont la technicité et la médicalisation ont entraîné une forme de déshumanisation. Cette crise se poursuit dans les années 1980, avec l'usage de cocktails lytiques : bien que non avouées, ces pratiques font émerger les notions de suicide assisté et d'euthanasie passive et active. 

    La fin de vie n'est pas un débat exclusivement français : carte de l'Europe représentant la législation autour de la question de l'euthanasie. © Toute l'Europe (mai 2023), Futura
    La fin de vie n'est pas un débat exclusivement français : carte de l'Europe représentant la législation autour de la question de l'euthanasie. © Toute l'Europe (mai 2023), Futura

    Ce que la sémantique nous apprend sur la législation

    Ces termes, supposés définir et encadrer la mort, sont régulièrement employés dans la suite de l'Histoire. Au vu de la sensibilité du sujet dont il est question, un peu de sémantique s'impose. Notons au passage que le débat sur la fin de vie est loin d'être une spécificité française : dans les autres États membres de l’Union européenne, l'euthanasie constitue également une importante question de société, encadrée par des lois très variées, allant d'une autorisation totale à sa criminalisation en toutes circonstances. Voyons ce qu'il en est.

    L'euthanasie active désigne le fait d'abréger intentionnellement les souffrances d'une personne. Un médecin ou un tiers peut injecter une substance entraînant directement la mort du patient. Cette méthode est par exemple autorisée aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, en Espagne et au Portugal. L'euthanasie passive, ou indirecte, se produit quant à elle lorsque l'équipe médicale en charge du patient décide de ne pas prendre des mesures pour prolonger la vie. La mort peut survenir par l'administration de médicaments analgésiquesanalgésiques ou après le débranchement d'un respirateur. Enfin, l'assistance au suicide, ou suicide médicalement assisté, désigne le fait de se donner la mort avec l'aide d'une personne qui fournit un moyen pour ce faire. Le moyen doit toutefois être pris par la personne malade elle-même, sinon il s'agit d'une euthanasie active.

    La loi française interdit l’euthanasie active, cependant la loi Leonetti du 22 avril 2005 autorise un patient, lorsqu'il juge que le traitement qui lui est administré relève d'une  « obstination déraisonnable », à refuser ledit traitement, quand bien même ce refus l'expose à la mort. La législation offre ce droit aux équipes médicales, si le patient est dans l'incapacité d'exprimer sa volonté et que la poursuite des traitements n'a plus de sens sur le plan médical. La loi Claeys-Leonetti, votée le 02 février 2016, ajoute la possibilité de formuler des « directives anticipées » : un patient en phase terminale et dont le pronosticpronostic vital est engagé à court terme peut demander une sédation profonde et continue jusqu'au décès. Ce texte, qui est le dernier en vigueur sur le sujet en France à l'heure actuelle, ignore les patients condamnés  à moyen, voire long terme. 

    Le 10 mars 2024, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi sur la fin de vie en vue d’une première lecture à l’assemblée nationale en mai 2024. © Danielle Bonardelle, Adobe Stock
    Le 10 mars 2024, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi sur la fin de vie en vue d’une première lecture à l’assemblée nationale en mai 2024. © Danielle Bonardelle, Adobe Stock

    Faut-il changer la loi actuelle ?

    Le 13 septembre 2022, un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) est publié, ouvrant la voie à une légalisation du suicide assisté, à condition de développer les soins palliatifs et l'accès à la sédation profonde. À la suite de cela, la première convention citoyenne est lancée en décembre 2022 : 185 citoyens sont tirés au sort, leurs conclusions devant servir à orienter le gouvernement. Le 10 mars 2024, le Président Emmanuel Macron annonce dans un entretien à La Croix et Libération, un projet de loi qui pourrait être présenté en Conseil des ministres en avril 2024, en vue d'une première lecture à l'Assemblée nationale le 27 mai 2024 d'après les propos du Premier ministre Gabriel Attal. 

    Cette proposition de « modèle français de l'aide à mourir » s'inscrit dans la réforme sociale marquant le deuxième quinquennat d'Emmanuel Macron. Il s'agit d'une « possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes », qui repose notamment sur un développement des soins palliatifs, renommés en « soins d'accompagnement » incluant une filière « soins palliatifs ». En l'état, le texte précise les conditions dans lesquelles une personne peut demander une aide à mourir, en insistant sur sa capacité de discernement, qui prévaut sur les directives anticipées de la loi Claeys Leonetti. « Ça n'est pas le patient tout seul qui peut décider de mettre fin à sa vie », affirme Catherine Vautrin, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, dans une interview donnée sur France Inter mardi 12 mars. Elle conteste l'emploi des termes  « euthanasie » et « suicide assisté » par ses opposants, soulignant les piliers du nouveau texte de loi en l'état : demande explicite et reconduite du patient, conditions d'état de santé, d'incurabilité, de gravitégravité et de souffrances réfractaires, et enfin accord unanime de l'équipe médicale. 

    De l'évolution des représentations de la mort au cours du temps jusqu'à la conception dominante qu'en ont les Français de nos jours, la fin de vie est une question avant tout personnelle, dont la dimension subjective la rend incontestablement complexe à politiser.