En réexaminant des restes humains dans une grotte connue en Charente, une équipe française pense avoir découvert un fragment de mandibule d'un jeune Néandertalien portant des traces d'instruments coupants. Hypothèse envisageable : les habitants de la grotte – nos ancêtres – auraient dévoré cet enfant. Les auteurs ne concluent pas et avancent deux autres explications. La découverte relance le débat sur la disparition de l'Homme de Néandertal mais ne la résout pas...

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    Un enfant néandertalien, une des superbes « reconstructions » réalisées par Elizabeth Daynes, qui travaille avec des paléontologues. © Ph. Plailly / Eurelios

    Un enfant néandertalien, une des superbes « reconstructions » réalisées par Elizabeth Daynes, qui travaille avec des paléontologues. © Ph. Plailly / Eurelios

    C'est une scène de crime qu'ont analysée une équipe française dans la grotte dite des Rois, près de Mouthiers-sur-Boëme, en Charente. Connu depuis longtemps, ce site a fourni des restes humains datant de 30.000 à 28.000 ans et des outils en os et en pierre attribués à la culture de l'aurignacien.

    Fernando V. Ramirez Rozzi, du laboratoire de Dynamique de l’Evolution Humaine (CNRS, Paris), et ses collègues ont analysé des dents et des mandibulesmandibules trouvées sur le site et dont on pensait qu'elles provenaient tous d'hommes anatomiquement modernes (AMH, Anatomically Modern Humans), autrement dit nos ancêtres directs.

    Mais en regardant de plus près les restes d'une mandibule d'un individu jeune, les auteurs l'attribuent à un Homme de NéandertalNéandertal. Et en l'observant plus attentivement encore, les paléontologuespaléontologues y découvrent des traces de coupures similaires à celles laissées par un instrument tranchant servant à découper la viande avant sa consommation.

    Paradoxalement, la seconde observation est mieux confirmée que la première. En effet, les spécialistes de la préhistoire savent très bien lire les marques laissées par les outils de toutes sortes sur les objets, os ou pierre, et sont capables de conclusions d'une étonnante précision sur la manière dont le travail a été réalisé. En revanche, l'attribution à l'Homme de Néandertal de morceaux de mandibule (où manque le menton, différence caractéristique avec l'homme moderne) n'est pas certaine à 100%. Les auteurs sont d'ailleurs prudents mais manifestent tout de même leur préférence pour cette interprétation.

    Non loin de là, une incisive portait une perforation et devait se porter en collier. Voilà donc le crime reconstitué. Des hommes de Cro-Magnon, c'est-à-dire nos ancêtres, ont attrapé un jeune Néandertalien et l'ont préparé pour leur dîner, avant de confectionner un joli collier avec ses dents.

    Les morceaux de mandibules attribués à un enfant néandertalien. Le doute subsiste. Dans le cas contraire, l'affaire serait celle d'un acte de cannibalisme... © Fernando V. Ramirez Rozzi <em>et al.</em>/ <em>Journal of Anthropological Sciences</em>

    Les morceaux de mandibules attribués à un enfant néandertalien. Le doute subsiste. Dans le cas contraire, l'affaire serait celle d'un acte de cannibalisme... © Fernando V. Ramirez Rozzi et al./ Journal of Anthropological Sciences

    Crime inter-espèces ou cannibalisme ?

    L'époque, le début du Paléolithique supérieur, a vu en effet la cohabitation en Europe de deux espèces d'hominidés, Homo sapiensHomo sapiens (nous) et Homo neanderthalensis durant des milliers d'années. Apparu il y a 250.000 ans, l'Homme de Néandertal a disparu il y a 28.000 ans pour une raison inconnue, dont on discute toujours. L'homme moderne fait figure d'accusé mais on ignore quelles relations entretenaient ces deux espèces humaines. Le scénario décrit par Fernando V. Ramirez Rozzi semble plaider pour des affrontements violents, qui pourraient avoir eu raison des Néandertaliens, aux armes peut-être moins efficaces.

    Mais les auteurs évoquent deux autres hypothèses. La victime et ses bourreaux pourraient bien être des Homo sapiens dont les caractéristiques ne seraient pas tout à fait celles des AMH. Une population génétiquement isolée, mais sapiens et pas neanderthalensis, n'est en effet pas à exclure. Une autre possibilité est que les humains de la grotte appartenaient tous à une population d'individus aux caractéristiques intermédiaires entre hommes modernes et néandertaliens. Le métissage entre les deux espèces, en effet, a été maintes évoqué mais les preuves formelles manquent encore et beaucoup de paléontologues n'y croient pas.

    Encore une fois, donc, une découverte sur l'Homme de Néandertal apporte davantage de questions que de réponses...