L’espace devient de plus en plus un terrain de guerre. Les satellites militaires sont souvent utilisés en soutien des opérations et des manœuvres sur Terre, en mer, ou dans les airs. Par conséquent, ils deviennent à leur tour des cibles pour de potentiels belligérants. Mais comment fait-on pour remplacer d’urgence l’un d’eux qui se fait détruire par l’ennemi ? États-Unis, Chine et même la France s’empressent d’y réfléchir, et de lancer des défis. Défis fraîchement relevés aux États-Unis.


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    Au cours de son grand exercice de guerre spatiale AsterX 2023, le Commandement de l'Espace de l'Armée de l'Air et de l'Espace a simulé la perte d'un satellite en orbite basse, et imaginé être en mesure de le remplacer pendant les opérations. « Imaginé seulement » étant donné que ni la France ni même les États-Unis ne sont capables de remplacer au pied levé un satellite détruit en orbite basse. L'enjeu devient urgent car il existe de plus en plus de moyens de détruire un satellite en orbite : missile, aveuglement laser, piratage, etc.

    Réduire au maximum la durée de la campagne de tir

    En général, quand un satellite est déployé en orbite, le temps de préparation du vol se compte en semaine. Il en faut souvent deux, voire davantage. Que se passe-t-il pendant ce temps-là ? C'est ce qu'on appelle la campagne de tir. Celle-ci démarre avec l'assemblage final du lanceur au site de lancement, parfois sur le pas de tir ou dans un bâtiment en amont. Le lanceur est assemblé puis testé. Quand on parle de test, il y a parfois un court essai à feu de l'étage principal (le static fire), mais c'est surtout sa cohérence avec son pas de tir et les infrastructures nécessaires au lancement qui sont testées : la communication, l'hydraulique pour le remplissage des réservoirs, la connectique, la sécurité, etc.

    La campagne de tir prend aussi en compte l'arrivée du ou des satellites sur le site de lancement. Sur place, les équipes vérifient parfois s'ils n'ont pas souffert du voyage depuis leur usine, les remplissent en carburant avec les fameux ergoliers, puis les intègrent à l'étage supérieur du lanceur. Une fois de plus, des tests de cohérence entre le satellite et le lanceur sont réalisés pour s'assurer qu'ils ne se gênent pas l'un l'autre. On vérifie aussi que le satellite communique bien. Puis, la campagne de tir aboutit à une répétition générale et à la séquence du lancement lui-même.

    Firefly Aerospace a relevé le défi de placer un satellite en moins de 60 heures, incluant le temps au satellite de devenir opérationnel. Un record jamais atteint ! La fusée utilisée s'appelle Alpha. © Firefly
    Firefly Aerospace a relevé le défi de placer un satellite en moins de 60 heures, incluant le temps au satellite de devenir opérationnel. Un record jamais atteint ! La fusée utilisée s'appelle Alpha. © Firefly

    Voici dans les grandes lignes ce que compte la campagne de tir, et pourquoi elle peut durer plusieurs semaines. Pour raccourcir ce temps, il faudra sans doute être moins minutieux dans certaines étapes. Il faudra fatalement faire certaines concessions et ainsi prendre plus de risques si jamais on veut réduire la campagne de tir à seulement quelques jours...

    Un défi déjà réalisable en Chine ?

    Réduire drastiquement la duréedurée de la campagne de tir repose sur une nette simplification des procédures mais aussi sur une simplification du lanceur et de son interaction avec le satellite. Il demeure certes compliqué de pouvoir le faire avec un grand lanceur, et un grand satellite, à destination de l'orbite géostationnaireorbite géostationnaire par exemple. Mais beaucoup de satellites militaires ne pèsent plus que quelques centaines de kilos. C'est souvent le cas pour un satellite espion par exemple. Petit satellite, petit lanceurpetit lanceur..., les architectures peuvent donc être simplifiées, de même que les procédures.

    Une fusée chinoise Kuaizhou 1A décolle directement de son camion de transport, faisant office de pas de tir mobile. © NSF
    Une fusée chinoise Kuaizhou 1A décolle directement de son camion de transport, faisant office de pas de tir mobile. © NSF

    La Chine prétend pouvoir déployer un petit satellite en orbite basse en seulement 48 heures. Pour cela, elle s'appuie sur l'utilisation du micro-lanceur Kuaizhou 1A de l'industriel Casic, utilisant des ergolsergols solidessolides pour se propulser. La préparation et l'armement diffèrent peu du cas d'un missilemissile balistique intercontinental censé être déployé à la minute. La campagne de tir compte ainsi essentiellement l'intégration du satellite. Quant au pas de tir, il est mobilemobile dans le cas de la Kuaizhou 1A, utilisant un véhicule TEL (Transport - Érection - Lancement), capable théoriquement de la faire décoller de n'importe où.

    Outre la Chine, des projets de lanceurs dits responsives, ultra-réactifsréactifs, ont fait surface mais sans vraiment continuer. Il a notamment été question d'utiliser un micro-lanceur aérolargué par un avion de chasse américain, ou même de faire décoller une petite fuséefusée depuis un sous-marin russe ! En France, le Cnes a signé un contrat avec la start-upstart-up Dark Space pour étudier la faisabilité de déployer d'urgence un véhicule pour intercepter un débris spatial dangereux. On devine bien sûr une possible applicationapplication militaire.

    Décollage d'une fusée Volna depuis un sous-marin nucléaire russe. © Planetary Society
    Décollage d'une fusée Volna depuis un sous-marin nucléaire russe. © Planetary Society

    Victus Nox : le défi de tout faire tenir en 60 heures

    Face à la supposée capacité de la Chine, et sentant toujours plus la vulnérabilité de leurs satellites en orbite basse (et nombreux autres à venir), l'US Space Force et le Pentagone souhaitent que les États-Unis disposent de lanceurs responsives, prêts à déployer un satellite en un temps très court. Déjà l'opérateur américain Rocket Lab, connu pour son micro-lanceur Electronlanceur Electron, a mis en place un programme de recherche afin de pouvoir mettre un satellite en orbite basse en 24 heures.

    Dernièrement, l'US Space Command de l'USSF a lancé le défi Victus NoxNox, auquel l'opérateur Firefly Aerospace a répondu en partenariat avec le constructeur satellite Millenium Space Systems. Depuis ces six derniers mois, tous deux doivent se tenir prêts à lancer un satellite en moins de 60 heures, en sachant seulement au dernier moment où et quand il faudra le déployer, le défi posé étant de transporter dans ce laps de temps limité, le satellite, nommé Victus Nox, de son usine au site de lancement de la fusée Alpha de Firefly en Californie, remplir le satellite en carburant, l'intégrer au lanceur, placer la coiffe de protection, puis réaliser le lancement.

    Décollage de la fusée Alpha le 15 septembre à 4 h 28 du matin, heure de Paris. © Firefly Aerospace
    Décollage de la fusée Alpha le 15 septembre à 4 h 28 du matin, heure de Paris. © Firefly Aerospace

    Où et quand ? Les paramètres orbitaux de Victus Nox, définissant sa destination dans l'espace, ne sont communiqués que 24 heures avant le décollage ; et moins de 48 heures après, le satellite doit avoir achevé sa phase de « commissioning » de test en orbite, et être opérationnel.

    Depuis le 30 août, Firefly Aerospace se tenait prêt à recevoir le coup de téléphone du Pentagone, qui lance le chronomètrechronomètre. Le vol a finalement eu lieu dans la nuit du 14 au 15 septembre. Peu après, des premières images provenant des abords de la base de lancement de Vandenberg, Firefly Aerospace a annoncé le succès du vol. Reste alors la course contre la montre pour que Victus Nox soit opérationnel. Mais déjà cette mission est un record de vitessevitesse.

    Déploiement du petit satellite Victus Nox. 24 heures auparavant, il était encore dans son usine. © Firefly Aerospace
    Déploiement du petit satellite Victus Nox. 24 heures auparavant, il était encore dans son usine. © Firefly Aerospace