Si des preuves fossiles suggèrent que la nageoire des poissons a évolué en membre des tétrapodes, leur proximité génétique comporte des zones d’ombre. Peut-être parce que les modèles de poissons étudiés n’étaient pas les bons…

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    Des séquences régulatrices trouvées chez le lépisosté tacheté permettent une activité génétique (en violet) dans les doigts de souris transgéniques. Une telle activité n’a pu être observée avec d’autres séquences de poissons. © Andrew Gehrke, University of Chicago

    Des séquences régulatrices trouvées chez le lépisosté tacheté permettent une activité génétique (en violet) dans les doigts de souris transgéniques. Une telle activité n’a pu être observée avec d’autres séquences de poissons. © Andrew Gehrke, University of Chicago

    Tiktaalik roseaae est un poisson osseux fossile chez qui les nageoires pectorales, situées de part et d'autre du corps, possèdent de fortes structures osseuses. Ces nageoires robustes observées sur des fossiles auraient permis la sortie des eaux des tétrapodes, ces animaux qui possèdent quatre vrais membres, comme les mammifères, les oiseaux, les reptiles ou les batraciensbatraciens. Pour Neil Shubin, un des responsables de l'équipe qui a découvert Tiktaalik en 2004, « les fossiles montrent que le poignet et les doigts ont clairement une origine aquatique ».

    Chez les tétrapodes, l'autopode décrit la structure qui comprend le poignet et les doigts, et qui correspond à notre main (ou pied). Mais la nageoire et la main ont des structures osseuses qui présentent des différences, d'où la nécessité d'approfondir les ressemblances génétiquesgénétiques : « Les nageoires et les membres ont des fonctions différentes. Ils ont évolué dans des directions différentes depuis qu'ils ont divergé. Nous voulions explorer et mieux comprendre leurs connexions en ajoutant des données génétiques et moléculaires à ce que nous savions déjà des données fossiles ».

    Les gènesgènes qui sont à l'origine de la forme des os du membre se trouvent dans les clusters HoxD et HoxA. Chez la souris, l'autopode se construit dans une phase tardive de l'expression des gènes HoxD et HoxA, orchestrée par des enhancers, c'est-à-dire des séquences de régulation de l'expression génétique. La formation des membres de la souris nécessite deux phases successives d'expression génétique des clusters HoxD et HoxA, la seconde phase concernant plus particulièrement la formation de l'autopode.

    <em>Lepisosteus oculatus</em> est un poisson dont le génome a récemment été séquencé. © Jutta 234, <em>Wikimedia Commons</em>, cc by sa 3.0

    Lepisosteus oculatus est un poisson dont le génome a récemment été séquencé. © Jutta 234, Wikimedia Commons, cc by sa 3.0

    Les séquences régulatrices des gènes HoxD et HoxA sont conservées

    Dans un article paru dans PNAS, les chercheurs de l'université de Chicago annoncent qu'ils ont découvert la machinerie génétique rudimentaire permettant l'assemblage de l'autopode des mammifères chez un poisson qui n'est pourtant pas considéré comme un modèle biologique : le lépisosté tacheté, Lepisosteus oculatus, un poisson d'Amérique du Nord, dont le génomegénome a récemment été séquencé.

    Lorsque les chercheurs ont comparé les gènes de ce poisson avec ceux des tétrapodes, ils ont pu identifier dans le génome du poisson les enhancers de HoxD et HoxA qui construisent l'autopode. Une forte conservation du système de contrôle de l'autopode a été observée. Ceci suggère une similarité entre les rayons distaux du poisson et l'autopode des tétrapodes. Pour vérifier que cette conservation était fonctionnelle, les chercheurs ont inséré des séquences génétiques liées au développement de la nageoire dans des souris en cours de développement : les profils d'activité génétiques obtenus chez les souris transgéniquestransgéniques étaient proches de ceux provoqués par le génome de la souris.

    Jusqu'à présent, les efforts faits pour trouver des liens entre les nageoires et les doigts portaient souvent sur des poissons téléostéens, qui sont bien connus. Mais ceux-ci ne sont pas forcément les modèles idéaux pour étudier le contrôle de gènes anciens. En effet, il y a plus de 300 millions d'années, un ancêtre communancêtre commun aux téléostéens a eu une duplication dans son génome. En doublant le génome du poisson, celle-ci a permis un grand potentiel de diversification qui a pu contribuer à l'adaptation de ces poissons dans de nombreux environnements. Or le lépisosté tacheté provient d'une lignée qui a divergé des téléostéens avant cette duplication.