Le Sphinx de Gizeh, avec son nez absent, est loin d’être une particularité unique : de nombreuses statues égyptiennes ont également leur appendice nasal brisé. Acte délibéré ou mauvaise conception ? Pourquoi ces sculptures ont-elles été ainsi endommagées ?


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    De nombreuses représentations de personnages de l'Égypte antique arborent un visage sans neznez. On pourrait penser que ce dernier étant une pièce relativement fragile, il a été naturellement abîmé au cours du temps. Néanmoins, la similarité entre ces dommages et la destruction de nez, y compris sur des reliefs plats, laisse plutôt penser qu'il s'agit d'un acte de destruction volontaire, selon le conservateur du Musée de Brooklyn, Edward Bleiberg, interrogé par le site Artsy. Mais il ne s'agit par pour autant de simples pillages : les motivations seraient plutôt religieuses et politiques, exécutées par des travailleurs qualifiés « spécialement entraînés pour ce travail ».

    La tête de Senwosret III (ou Sésostris III), cinquième roi de la XII<sup>e</sup> dynastie. © <em>The Metropolitan Museum of Art</em>
    La tête de Senwosret III (ou Sésostris III), cinquième roi de la XIIe dynastie. © The Metropolitan Museum of Art

    Détruire le lien entre l’Homme et les divinités

    « Dans la religion égyptienne, la statue est un point de rencontre entre le monde des dieux et le monde réel », explique le spécialiste. Chaque sculpture a ainsi une fonction bien précise : dans une tombe, elle sert à nourrir le défunt grâce notamment aux offrandes de nourriture. Dans les temples, les représentations de divinités sont présentées comme recevant les offrandes de dignitaires qui ont commandé la statue et qui pensent ainsi être protégés.

    Les campagnes de vandalisme s'attaquant au nez des statues avaient donc pour but de « désactiver » le rituel de la sculpture et donc, le lien entre les dieux et les Hommes. Sans nez, le personnage ne peut plus respirer et il est ainsi véritablement « tué ». Le nez n'est d'ailleurs pas la seule partie du corps à laquelle s'attaquent les vandales. Les oreilles ou la main gauche (celle utilisée pour apporter les offrandes) sont, elles aussi,  souvent manquantes.

    Toutânkhamon, le fils d'Akhenaton et de la sœur de ce dernier, a vécu entre -1345 et -1327 avant J.C. © <em>The Metropolitan Museum of Art</em>
    Toutânkhamon, le fils d'Akhenaton et de la sœur de ce dernier, a vécu entre -1345 et -1327 avant J.C. © The Metropolitan Museum of Art

    Réécrire l’histoire à son avantage

    Ces mutilations avaient parfois un but politique. « Défigurer des statues d'anciens pharaons permettait aux nouveaux souverains de réécrire l'histoire à leur avantage, explique Edward Bleiberg. Le règne d'Hatchepsout a ainsi posé un problème pour la légitimité du successeur de Thoutmôsis III. Ce dernier a donc entrepris d'éliminer pratiquement toute représentation d'Hatchepsout ». Les motivations religieuses ont ensuite suivi. Au début de la période chrétienne en Égypte, entre le Ier et le IIIe siècle après J-C, les dieux antiques étaient considérés comme des démonsdémons païens et leurs statues ont donc été systématiquement attaquées.

    Cette pratique peut sembler totalement indigne aujourd'hui, mais c'est simplement une forme « ancienne » de révisionnisme historique... encore très présent de nos jours, glisse Edward Bleiberg.