À l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science que nous mettons en valeur aujourd’hui, nous avons interviewé Sophie Adenot, qui s’apprête à démarrer sa formation d’astronaute. Si tout le monde sait qui est Sophie Adenot, son parcours professionnel et sa volonté depuis toute petite à devenir astronaute, il nous est apparu intéressant de connaître son point de vue sur un certain nombre de « sujets spatiaux ».


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    Futura a interviewé Sophie Adenot pour qu'elle nous parle d'un certain nombre de « sujets spatiaux ».

    Futura : Vos rêves d’enfant sont-ils toujours les mêmes alors que vous vous apprêtez à rejoindre le corps européen des astronautes ?

    Sophie Adenot : Ces rêves d'enfant sont un des multiples facteurs m'ayant permis de choisir mon orientation professionnelle. Aujourd'hui, l'envie d'aller dans l'espace est intacte, comme quand j'étais plus jeune. Pour autant, le chemin pour devenir pilote opérationnel puis pilote d'essai m'a transformée. L'expérience que j'ai pu acquérir m'a fait gagner en maturité, en finesse d'analyse, dans des domaines très variés tels que la gestion du risque, l'appréhension de l'imprévu, le pilotage dans des situations complexes, le travail en équipe sous stressstress parfois intense. Aujourd'hui, c'est avec tout ce bagage que je rejoins le corps des astronautes européens, pas seulement avec mes rêves d'enfants.

    Futura : Quel regard portez-vous sur ces astronautes privés qui s’offrent des séjours dans l’espace ou à bord de complexes orbitaux ? Depuis Dennis Tito en 2001 à l’équipage d’Inspiration4, il semble qu’il y ait un fil conducteur intéressant dans le sens ou chacun d’entre eux souhaite rendre son séjour utile à l’humanité et à la planète. Entre mécénat et expériences scientifiques d’un très grand intérêt, dont certaines sont réalisées avec la Nasa ou en partenariat avec des Instituts et des Universités, ces « astronautes » ont-ils un rôle à jouer bien plus important qu’on ne le pense dans l’utilisation humaine de l’orbite basse, aux côtés des astronautes professionnels  ?

    Sophie Adenot : Effectivement, on observe une nette tendance : les astronautes privés font en sorte que leur séjour dans l'espace soit bénéfique à tous et à la planète, avec des expériences scientifiques en plus de leur mécénat. L'exploration spatiale enthousiasme beaucoup d'entrepreneurs qui ont envie de faire progresser la science, la recherche. Et ce qui en découle, ce sont des idées nouvelles, des technologies innovantes, qui pourront être réutilisées sur Terre pour le bénéfice du plus grand nombre. L'ESA, tout comme la Nasa, soutient la démarche d'utilisation commerciale de l'espace. Les initiatives commerciales sont aussi importantes pour diversifier les apports financiers et permettre aux agences (inter)gouvernementales de se concentrer sur l'exploration plus lointaine, la Lune et Mars notamment.

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    Futura : Vous allez devenir astronaute d’une agence spatiale dont les statuts la cantonnent à des activités civiles et scientifiques. Or, bien que les traités internationaux interdisent l'arsenalisation de l'espace mais pas « l’activité militaire », l'espace devient aujourd’hui un champ de bataille où se mêlent espionnage et démonstration de supériorité technologique. Avec votre profession de militaire, vous avez conscience de la nécessité de protéger l'infrastructure spatiale de la France et de l'Europe. L'ESA ne devrait-elle pas se doter d'une branche militaire ?

    Sophie Adenot : En rejoignant l'Agence spatiale européenneAgence spatiale européenne, je fais le choix de rejoindre une institution civile et scientifique, en faveur d'une utilisation pacifique de l'espace. Je reste convaincue qu'il faut tout mettre en œuvre, à tous les niveaux, pour que l'espace reste un domaine hors de la conflictualité. Cela dit, pour l'Europe comme pour les autres grandes puissances, un des enjeux sera de protéger les infrastructures spatiales. Par quels moyens ? Je n'ai sans doute pas la légitimité pour répondre à cette question. Chaque pays membre choisira. En ce qui me concerne, je suis focalisée sur mon entraînement d'astronaute qui va débuter en avril prochain et qui sera déjà un gros défi, à titre personnel.

    Pilote d’essai sur hélicoptère, le lieutenant-colonel Sophie Adenot (armée de l’Air et de l'Espace) a été sélectionnée parmi 22 500 candidats pour intégrer la nouvelle promotion de l’Agence spatiale européenne. © ESA, P. Sebirot
    Pilote d’essai sur hélicoptère, le lieutenant-colonel Sophie Adenot (armée de l’Air et de l'Espace) a été sélectionnée parmi 22 500 candidats pour intégrer la nouvelle promotion de l’Agence spatiale européenne. © ESA, P. Sebirot

    Futura : En tant que pilote d’essai, n’est-il pas frustrant de savoir que vous ne volerez certainement jamais à bord de capsules russes Soyouz où le mot « piloter » avait un peu de sens. En tout cas bien plus qu’à bord des capsules Dragon et bientôt Orion et Starliner au cockpit aseptisé et dont les vols à destination de l’ISS sont très automatisés.

    Sophie Adenot : En tant que pilote d'essai, j'ai développé des qualités opérationnelles qui s'appliquent bien au-delà du domaine du pilotage. L'espace est au-delà de notre horizon, un environnement hostile dans lequel beaucoup d'événements inattendus peuvent se produire. À bord de la Station spatiale internationale (ISS), et à bord des véhicules spatiaux à notre disposition de manière générale, ces compétences me seront certainement très utiles dès qu'il faudra gérer des urgences, ou des situations inattendues. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les agences spatiales du monde entier continuent à recruter des pilotes, aux côtés de scientifiques, médecins et autres ingénieurs pour intégrer leurs corps d'astronautes.

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    Missions Artemis : qui seront les astronautes européens qui voyageront autour et sur la Lune ?

    Futura : L’ère de la Station spatiale internationale s’achève alors que s’ouvre celle des missions lunaires. Quel regard portez-vous sur la présence humaine en orbite basse et les prochaines étapes de l’exploration humaine qui va dans un premier temps nous ramener sur la Lune avant d’aller sur Mars ?

    Sophie Adenot : Dans un premier temps, et jusqu'à 2030, la présence humaine en orbite basse continuera à bord de la Station spatiale internationale. L'ISS est un véritable « laboratoire volant » grâce auquel de nombreuses avancées scientifiques sont faites. C'est important de continuer à utiliser cet outil. En parallèle, les missions Artemis ont débuté avec le succès de la mission Artemis I en automneautomne dernier. La prochaine étape est une station spatiale GatewayGateway en orbite autour de la Lune, puis l'établissement d'une présence permanente sur la Lune. Ces étapes permettront de développer des briques technologiques indispensables avant d'envisager l'exploration humaine de Mars. L'exploration spatiale se fait de manière incrémentale, ce qui est très important ! Car les défis sont encore nombreux avant d'envisager d'aller sur Mars. 

    Futura : Vous n’êtes pas sans savoir que l’Europe n’est pas autonome en matière de vols habités. L’Agence spatiale européenne a fait le choix de la coopération avec la Nasa et Roscosmos (jusqu’en 2022) plutôt que développer sa propre infrastructure de transport spatial habité. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Selon vous, l’ESA et l’Union européenne devraient-elles s’engager dans un programme de vols habités qu’il serait assez facile d’acquérir ?

    Sophie Adenot : Si vous posez la question à n'importe quel astronaute, elle ou il vous répondra toujours préférer être commandant que simple passager. Et en tant qu'Européenne, c'est bien entendu un rêve que de commander un vaisseau spatial européen, décollant sur un lanceurlanceur européen, depuis le port spatial de l'Europe. Si la volonté politique est là, ce rêve pourrait devenir réalité.