Pour la plupart des écologistes, le passage à l’agriculture industrielle est le meilleur moyen de nourrir les populations et de préserver les forêts et leur biodiversité. Deux chercheurs américains remettent en cause cette conception et affirment que les exploitations familiales sont plus efficaces pour préserver la biodiversité tout en luttant contre la faim dans le monde.

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    Les petites exploitations familiales utilisent généralement des techniques agricoles durables et génèrent une matrice écopaysagère de qualité, propice à la circulation des espèces et donc à leur conservation. © N. Navez CC by-nc-sa

    Les petites exploitations familiales utilisent généralement des techniques agricoles durables et génèrent une matrice écopaysagère de qualité, propice à la circulation des espèces et donc à leur conservation. © N. Navez CC by-nc-sa

    Selon le modèle de la transition forestière inspiré de la colonisation de l'Amérique du nord, l'agriculture intensive réduit la pressionpression agricole sur les forêts et favorise la préservation de leur biodiversité et la reforestation. Après l'arrivée des Européens en Amérique du nord, le développement de l'agriculture a entraîné une déforestation importante. L'intensification de l'agriculture a permis d'augmenter les productions par unité de surface et donc de nourrir davantage de personnes sur des surfaces plus réduites. Le développement économique a alors provoqué la concentration des populations dans les villes, libéré des surfaces naturelles et réduit les pressions sur les forêts. Une reforestation a pu alors s'engager.

    Cependant, ce modèle suppose une intensification de l’agriculture et un renforcement de la protection des habitats forestiers épargnés, ce qui n'est pas écologiquement favorable, comme l'explique Ivette Perfecto, professeur à la School of Natural Resources and Environment et coauteur de l'étude parue dans les PNAS.

    « La plupart des forêts tropicales qu'il reste sont fragmentées, et se présentent sous forme de poches de forêt encerclées par l'agriculture. Si vous voulez maintenir la biodiversité dans ces poches, la clef est de permettre aux organismes de migrer entre ces poches. Et les petites fermes familiales qui adoptent des pratiques agricoles durables sont plus à même de favoriser les migrations d'espèces qu'une énorme monoculturemonoculture de sojasoja, de canne à sucresucre ou d'autres cultures. »

    Cliquer pour agrandir. Cette monoculture de canne à sucre sur l’île de La Réunion forme un obstacle difficilement franchissable pour la faune et la flore. Ce type d’agriculture tend donc à isoler les zones naturelles préservées, isolement qui peut être fatal pour les populations. © B. Navez CC by-sa

    Cliquer pour agrandir. Cette monoculture de canne à sucre sur l’île de La Réunion forme un obstacle difficilement franchissable pour la faune et la flore. Ce type d’agriculture tend donc à isoler les zones naturelles préservées, isolement qui peut être fatal pour les populations. © B. Navez CC by-sa

    En effet, pour la conservation, l'important n'est pas de protéger une population d'une espèce menacée en un lieu. Une telle population, si elle est isolée, est très fragile sauf si elle est véritablement conséquente, ce qui est rarement le cas. Seuls les échanges avec d'autres populations assurent le brassage génétiquebrassage génétique et les opportunités de recolonisation en cas de disparition accidentelle nécessaires à la résiliencerésilience de cette population.

    « Si vous voulez vraiment conserver les espèces, vous ne devez pas vous concentrer uniquement sur la préservation des fragments d'habitats naturels qu'il reste, même si c'est là que la plupart des espèces sont, résume John Vandermeer professeur d'écologieécologie et de biologie évolutive à la School of Natural Resources and Environment et coauteur de l'étude. Vous devez aussi vous concentrer sur les zones entre ces fragments, car c'est là que les espèces traversent lors de leurs migrations. »

    Les forêts ne sont pas des îles

    Les petites fermes familiales sont en général diversifiées et ont recours à des pratiques agricoles durables. Elles utilisent la lutte biologique plutôt que des pesticides, le compostcompost au lieu des engrais chimiques et pratiquent souvent l'agroforesterieagroforesterie, mêlant cultures et arbresarbres (avocatiers, manguiers...).

    Après avoir constaté que le modèle de transition forestière ne convenait pas aux régions tropicales, les deux chercheurs de l'Université du Michigan proposent un modèle alternatif basé sur la qualité de la matrice écopaysagère.

    Si l'on imagine que les poches de forêt préservées sont des îles dans un océan de culture, cet océan constitue la matrice agricole du milieu. C'est la qualité de cette matrice dite écopaysagère qui permet la migration des espèces entre ces îles. Pour John Vandermeer, cette matrice constitue des fondations solidessolides pour la planification de la conservation dans les régions tropicales.

    Par ailleurs, les conclusions du rapport de 2009 de l'International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD) soulignent le fait que les petites exploitations familiales, avec des techniques d'agriculture durables, peuvent nourrir la population mondiale tout en promouvant le développement durabledéveloppement durable.

    John Vandermeer soutient donc que pour préserver les habitats et la biodiversité des forêts tropicales, il faut démanteler l'agriculture industrielle en faveur du développement des exploitations familiales aux pratiques agricoles durables.