On observe des disques d'accrétion autour de trous noirs stellaires dans un système binaire ou autour de trous noirs supermassifs depuis longtemps. Mais on n'avait encore jamais eu de preuve solide que de tels disques se formaient à l'occasion de la destruction d'une étoile par un trou noir supermassif. C'est chose faite.


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    Par le nom que leur a donné John Wheeler et leur définition, les trous noirs ne sont a priori pas visibles et donc indétectables. En pratique, ce n'est pas le cas lorsqu'ils se retrouvent dans un environnement où de la matière est disponible, que ce soit sous la forme de courants froids ou d'étoiles. De fait, les astres les plus lumineux du cosmoscosmos observable, que l'on peut voir à des milliards d'années-lumière, les quasars, sont des trous noirs.

    Mais il s'agit de monstres contenant de plusieurs millions à plusieurs milliards de masses solaires. On observe de plus en plus de ces trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs non pas en mode quasarsquasars, quand ils avalent énormément de matière, mais lorsqu'ils détruisent, par leurs forces de maréeforces de marée, une étoile qui s'est aventurée trop près. Dans le domaine des ondes électromagnétiquesondes électromagnétiques, en attendant celui des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles, plusieurs de ces événements ont déjà été observés, notamment ceux qui s'accompagnent de la formation des fameuses crêpes stellaires de Jean-Pierre Luminet et Brandon Carter. On parle en général de TidalTidal disruptiondisruption event (ou TDE), ce qui peut se traduire, pour ce genre de phénomène, par « évènement de rupture par effet de marée ».

    Les trous noirs sont parmi les objets les plus opaques de l'Univers. Heureusement, ils sont en revanche parmi les plus attractifs, et c'est par leur pouvoir d'attraction démesuré que nous pouvons les détecter. Les trous noirs géants sont les ogres les plus monstrueux du zoo cosmique, mais ils ne sont pas des armes de destruction massive. Les jets de matière qu'ils éjectent auraient contribué à allumer les premières étoiles et à former les premières galaxies. © Groupe ECP, www.dubigbangauvivant.com, Youtube

    Ils sont plutôt rares car on estime qu'il ne s'en produit qu'un tous les 10.000 à 100.000 ans à l'échelle des galaxiesgalaxies, alors que des supernovaesupernovae classiques arrivent tous les 100 ans environ dans la Voie lactée. On les remarque difficilement car la poussière de notre Galaxie peut les rendre invisibles à l'œilœil nu, ce qui explique pourquoi certains restes de supernovae qui se sont produits au cours des derniers siècles dans la Voie lactéeVoie lactée n'ont été découverts qu'avec les instruments de l'astronomie moderne.

    Des rayons X qui manquaient à l'appel

    Mais pour ce qui est des TDE dans les autres galaxies, tout comme pour les supernovae, la poussière n'est très généralement pas un obstacle et le très grand nombre de galaxies visibles permet de surprendre à l'échelle de l'année de tels événements. De fait, de nouvelles observations menées par des chercheurs de l'Université de Californie à Santa Cruz (UCSC), aux États-Unis, viennent d'être publiées au sujet des TDE dans un article de Astrophysical Journal, également disponible en accès libre sur arXiv.

    Dans un communiqué de l'UC Santa Cruz, le principal auteur de l'article, l'astronomeastronome Tiara Hung explique que : « Dans la théorie classique, l'éruption associée à un TDE est alimentée par un disque d'accrétiondisque d'accrétion, produisant des rayons Xrayons X à partir de sa région interne où le gazgaz chaud s'enroule dans le trou noir. Mais pour la plupart des TDE, nous ne voyons pas de rayons X - ils brillent principalement dans les longueurs d'ondelongueurs d'onde ultraviolettes et visibles - il a donc été suggéré qu'au lieu d'un disque, nous voyions des émissionsémissions provenant de collisions dans le flot de débris stellaires ».

    Exit l'hypothèse de la formation d'un disque d'accrétion donc... Mais les théoriciens sont obstinés, même s'ils savent que la nature a le dernier mot et qu'il n'est pas rare qu'elle ne confirme pas les théories les plus raisonnables et les plus plausibles, il n'est pas rare non plus que ces théories aient juste besoin de quelques corrections pour vraiment rendre compte de la réalité.

    Ainsi, en 2018, Enrico Ramirez-Ruiz, professeur d'astronomie et d'astrophysiqueastrophysique à l'UCSC, et Jane Dai, de l'université de Hong Kong, avaient-ils développé un modèle théorique qui pouvait expliquer pourquoi les rayons X ne sont généralement pas observés dans les TDE malgré la formation d'un disque d'accrétion. Aujourd'hui, les nouvelles observations présentées dans l'article de l'Astrophysical Journal confortent fortement ce modèle, comme l'explique toujours dans le communiqué de l'UCSC Ramirez-Ruiz : « C'est la première confirmation solidesolide que des disques d'accrétion se forment lors de ces événements, même lorsque nous ne voyons pas de rayons X. La région proche du trou noir est obscurcie par un ventvent optiquement épais, donc nous ne voyons pas les émissions de rayons X, mais nous voyons la lumière visible d'un disque elliptique étendu ».

    Un modèle des émissions ultraviolettes et dans le visible du TDE AT 2018hyz est montré dans ce diagramme. Un disque d'accrétion se forme rapidement après le TDE, il génère une émission de rayons X (flèches noires) à petites distances du trou noir central, émission qui n'est visible qu'à travers l'entonnoir vertical. Dans d'autres directions, les rayons X sont dégradés en énergie par le plasma de la photosphère ou dans les vents (<em>winds</em>) de matière issus du disque, devenant des émissions UV dans le visible et optiques. L'émission d'une raie de l'hydrogène H alpha est produite sur deux sites distincts en dehors de la photosphère, notamment dans un grand disque elliptique en rotation où un effet Doppler se produit. © Tiara Hung
    Un modèle des émissions ultraviolettes et dans le visible du TDE AT 2018hyz est montré dans ce diagramme. Un disque d'accrétion se forme rapidement après le TDE, il génère une émission de rayons X (flèches noires) à petites distances du trou noir central, émission qui n'est visible qu'à travers l'entonnoir vertical. Dans d'autres directions, les rayons X sont dégradés en énergie par le plasma de la photosphère ou dans les vents (winds) de matière issus du disque, devenant des émissions UV dans le visible et optiques. L'émission d'une raie de l'hydrogène H alpha est produite sur deux sites distincts en dehors de la photosphère, notamment dans un grand disque elliptique en rotation où un effet Doppler se produit. © Tiara Hung

    Les TDE, des laboratoires pour comprendre l'accrétion des trous noirs

    La signature de la formation d'un disque d'accrétion est venue des travaux de Ryan Foley, professeur adjoint d'astronomie et d'astrophysique à l'UCSC, et son équipe qui ont observé de plus près dans la nuit du 1er janvier 2019 le TDE catalogué sous le nom de AT 2018hyz et qui avait été découvert en novembre 2018.

    « Ma mâchoire est tombée et j'ai tout de suite su que ça allait être intéressant », explique le chercheur. Les mesures spectroscopiques montraient en effet clairement une raie d'émission de l'hydrogènehydrogène gazeux dédoublée par effet Dopplereffet Doppler, ce qui démontrait tout aussi clairement que l'émission provenait d'un disque en rotation, avec un décalage vers le rougedécalage vers le rouge pour le gaz s'éloignant de nous et un décalage vers le bleu pour la partie se rapprochant.

    Une telle signature n'avait encore jamais été vue. Ramirez-Ruiz avance une explication pour rendre compte du fait qu'elle n'avait encore jamais été mise en évidence : « Je pense que nous avons eu de la chance avec celui-ci, nos simulations montrent que ce que nous observons est très sensible à l'inclinaison. Il existe une orientation préférée pour voir ces caractéristiques à double pic et une orientation différente pour voir les émissions de rayons X ».

    L'étude des données collectées en observant AT 2018hyz les mois suivants laisse penser que le disque d'accrétion s'est mis en place en quelques semaines seulement. Ce qui est certain c'est que les astrophysiciensastrophysiciens relativistes disposent maintenant d'informations supplémentaires pour mieux comprendre la physiquephysique des disques d'accrétion autour des trous noirs supermassifs et donc mieux contraindre les mécanismes de croissance de ces astres compacts qui influent largement sur l'évolution de leurs galaxies hôtes.