Auteur d’un traité de mécanique quantique mondialement célèbre, le physicien français Albert Messiah vient de décéder. Militaire engagé dans la France libre, il a été l’une des figures marquantes de la physique théorique en France après la seconde guerre mondiale. Plusieurs prix Nobel de physique, dont Pierre-Gilles de Gennes, ont bénéficié de son enseignement.


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    Si Evry Schatzman est souvent cité comme l'un des fondateurs de l'astrophysique théorique française de l'après-guerre, c'est le nom d'Albert Messiah qui revient souvent lorsque l'on parle de l'enseignement de la mécanique quantique et du renouveau des études en physique théorique en France à partir des années 1950.

    Né le 23 septembre 1921 à Nice, Albert Messiah, comme Georges Charpak, a vu ses études interrompues par la seconde guerre mondiale. Incorporé à une mythique unité combattante, la 2e division blindée, il a participé à la libération de Strasbourg et pouvait se vanter d'avoir récupéré une règle ayant appartenu à Hitler, dans les locaux du gouvernement nazi de l'Obersalzberg, près de Berchtesgaden, au pied du fameux « nid d'aigle ».

    Albert Messiah aux cérémonies du 70<sup>e</sup> anniversaire de l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 2010, au <em>Chelsea Royal Hospital </em>(Londres) © Alexandre Moatti, cc by sa 3.0
    Albert Messiah aux cérémonies du 70e anniversaire de l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 2010, au Chelsea Royal Hospital (Londres) © Alexandre Moatti, cc by sa 3.0

    Aux sources de la physique quantique à Princeton

    Revenu à la vie civile, le jeune polytechnicien trouve un pays dans lequel le retard pris dans les années 1930 sur les développements de la physique moderne s'est accentué. La mécanique quantique n'est quasiment pas enseignée, ou de façon très partielle. À l'exception des très beaux cours sur la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie, il n'existe quasiment pas de traité en langue française à destination des étudiants en physique à cette époque. Les révolutions apportées par les travaux de Dirac ou Heisenberg sont largement ignorées.

    Albert Messiah, malgré une préparation insuffisante, fait alors quelque chose de complètement fou, selon ses propres termes. Il part pour l'Institut of Advanced Studies de Princeton, où il reste un an, avant d'étudier deux années de plus à l'université de Rochester. À Princeton, il croise Albert EinsteinEinstein et Wolfgang PauliWolfgang Pauli, suit les séminaires de Niels BohrNiels Bohr ainsi que ceux de Robert Oppenheimer.

    Albert Einstein et Wolfgang Pauli. Ils étaient collègues à Princeton lorsqu’Albert Messiah y était étudiant. © Cern
    Albert Einstein et Wolfgang Pauli. Ils étaient collègues à Princeton lorsqu’Albert Messiah y était étudiant. © Cern

    De retour en France en 1952, Albert Messiah est vite remarqué et on le fait venir au Commissariat à l'énergie atomique (CEA), où on le charge d'enseigner la mécanique quantique. Son enseignement va alors marquer plusieurs générations de physiciensphysiciens, dont les futurs prix Nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes et Claude Cohen-Tannoudji. En 1959, il en tirera un traité qui fait encore autorité, et que tout étudiant avancé en mécanique quantique connaît comme le « Messiah ». Traduit dès 1964 en anglais et réédité jusque dans les années 1990, l'ouvrage insiste particulièrement sur le rôle des symétries (et donc de la théorie des groupes) en mécanique quantique, peut-être sous l'influence de Pauli.

    Albert Messiah, explorateur du monde des hadrons

    C'est d'ailleurs à cette époque qu'il va étudier avec Oscar Greenberg la notion de parastatistique, que l'on pensait peut-être pertinente pour crédibiliser le modèle des quarks dans les années 1960. Cela s'explique par le fait qu'Albert Messiah avait été l'un des premiers à faire remarquer que les théories décrivant des statistiques de populations de particules, comme les bosonsbosons et les fermionsfermions, reposaient sur un principe implicite nommé depuis en son honneur « postulatpostulat de symétrisation de Messiah ». Il en découlait que trois fermions identiques, comme les quarksquarks de même saveur (par exemple u) dans certains hadronshadrons ne devaient pas être dans le même état de spinspin, contrairement aux observations. Si l'on voulait conserver la théorie des quarks, une voie possible était d'utiliser une nouvelle statistique appelée parastatistique, autorisée par la théorie quantique des champs.


    Albert Messiah a participé à l'aventure de la descente dans l'infiniment petit ayant conduit du noyau atomique aux quarks. Cette vidéo des années 1970 illustre le voyage entrepris par les physiciens pendant sa vie à travers les diverses puissances de 10, en mètres, associées aux tailles des objets de l'universunivers observable. © 666sieg666, YouTubeYouTube

    On sait maintenant que puisque les quarks peuvent porter des « charges » dites de couleurscouleurs différentes, une notion introduite par Greenberg et Nambu, il n'est en réalité pas nécessaire de faire intervenir une parastatistique et des parafermions. Des quarks de même saveur peuvent en effet différer par leur couleur.

    En tant que directeur du département de physique nucléaire du CEA en 1965, puis directeur de la physique en 1972, Albert Messiah a contribué par la suite à l'épanouissement de la recherche expérimentale en physique nucléaire, et à la constructionconstruction des grands équipements de recherche internationaux, en particulier ceux du CernCern. Albert Messiah vient malheureusement de décéder le 17 avril 2013, à l'âge de 91 ans. Il était commandeur de l'Ordre national du Mérite, commandeur de l'Ordre des Palmes académiques, et commandeur de la Légion d'honneur.