« Jason Morgan, le physicien, était à la géologie ce que Darwin, le géologue, était à la biologie », a déclaré Frederik Simons, professeur de géosciences à l'université de Princeton. C'est en effet l'un des découvreurs de la théorie de la tectonique des plaques, le cadre de toutes les géosciences mis en place il y a seulement un demi-siècle et qui va bien au-delà de la simple dérive des continents. Il est mort à la fin du mois de juillet cette année.


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    Un article dans Nature vient d'annoncer que l'un des géants de l'histoire des sciences de la noosphère et des géosciences du XXe siècle était décédé. En fait, le site de l'université de Princeton avait déjà fait part de la mort du géophysicien William Jason Morgan il y a presque un mois et le chercheur, qui était né aux États-Unis en 1935 à Savannah, en Géorgie, nous a en réalité quittés dans son sommeilsommeil à l'âge de 87 ans, le 31 juillet 2023.

    Jason Morgan, comme l'appelaient ses collègues, était l'un des pères de la théorie de la tectonique des plaques en raison d'un article (Rises, Trenches, Great Faults, and Crustal Blocks) dont il avait communiqué le contenu lors d'une réunion en 1967 de l'American Geophysical Union. Faisant une synthèse de plusieurs découvertes réalisées depuis qu'Alfred WegenerAlfred Wegener avait proposé sa théorie de la dérive des continents en 1912, Morgan avait identifié plus d'une dizaine de plaques et expliqué comment on pouvait obtenir leurs mouvementsmouvements à partir de la théorie du mathématicienmathématicien suisse Euler proposée il y a plusieurs siècles pour décrire des mouvements de déplacement à la surface d'une sphère. Le jeune géophysicien britannique de 25 ans Dan Peter McKenzie a proposé la même année, et indépendamment de Jason Morgan dans un article intitulé The North Pacific: an Example of Tectonics on a Sphere, une théorie similaire basée elle aussi sur des plaques et des pôles eulériens, des axes de rotation pour décrire la cinématique de ces plaques au cours des millions d'années.


    Jason Morgan a proposé la théorie de la tectonique des plaques et celle des points chauds, cette dernière expliquant l'existence de volcans particuliers comme à Hawaï ou en Islande. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © National Science and Technology Medals Foundation

    La tectonique des plaques vérifiée dans la dépression de l'Afar

    C'est en fait le géophysicien français Xavier Le Pichon qui le premier et l'année suivante va développer quantitativement ce qui n'avait été proposé qu'essentiellement qualitativement par Morgan et McKenzie en compagnie de R. L. Parker. Il en a résulté un article monumental en 1968, Sea-floor spreading and continental drift, proposant six plaques tectoniques en mouvements relatifs depuis 120 millions d'années et donnant un tout nouveau cadre confirmant et expliquant la théorie de la dérive des continents de Wegener. La performance de Le Pichon était d'autant plus remarquable qu'il avait passé sa thèse en 1966 en pensant avoir réfuté la théorie de Wegener devenue entre-temps la théorie de l'expansion océanique proposée par un collègue à Princeton de Morgan : Harry Hess.

    1967, c'est aussi par chance à ce moment-là que débutent les expéditions franco-italiennes dans la dépression de l'Afar, située en Afrique de l'Est sous le niveau de la mer. Elles sont menées jusqu'en 1976 par Haroun Tazieff et ses collègues Giorgio Marinelli, Franco Barberi et Jacques Varet. Les données minéralogiques et tectoniques montrent que l'Afar est un fond d'océan exondé, manifestation d'une jonction triple formée par le rift est-africain au sud-ouest, sa continuation dans la mer Rouge au nord et le golfe d'Aden à l'est. Surtout, il s'agit d'une région où l'on peut voir à l'œuvre directement les prédictions de la théorie de la tectonique des plaques et de l'expansion des fonds océaniques, comme si on avait ramené en surface une portion du rift médio-océanique de l'Atlantique. Au final, cette découverte va accélérer la conversion au nouveau paradigme des géosciences bien des géologuesgéologues sceptiques à partir de 1969.


    Haroun Tazieff raconte sa Terre (1984) et ses expéditions en Afar. © Jean-Luc Prévost

    Des ondes gravitationnelles à la dérive des continents

    Comment Jason Morgan en est arrivé à proposer la théorie de la tectonique des plaques ? Son parcours est étonnant, il s'intéresse en effet à la physiquephysique au cours de ses études au Georgia Institute of Technology d'Atlanta, ce qui va ensuite le conduire à Princeton où il débutera une thèse sur... la théorie de la relativité ! Il l'obtiendra en 1964 et il s'agissait de voir si l'on pouvait utiliser la TerreTerre comme une sorte de détecteur du passage d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles.

    Son directeur de l'époque n'est autre, en effet, que Robert Dicke qui des années 1950 aux années 1960, après des travaux en physique atomique et optique quantique (son cours de MQ reste remarquable), se lance dans des travaux expérimentaux pour tester la théorie de la relativité généralerelativité générale, au point d'ailleurs de proposer une alternative, la fameuse théorie tenseurtenseur-scalaire de Brans-Dicke. Il reprend aussi les idées de Paul Dirac et Pascual Jordan d’une possible évolution dans le temps de la valeur de la constante de la gravitation de Newton et cherche également à tester la théorie du Big BangBig Bang en détectant le rayonnement fossilerayonnement fossile (il se fera doubler par Penzias et Wilson).

    La force de la gravitationforce de la gravitation étant modifiée, on pouvait imaginer que la Terre gonflait un peu au cours du temps, ce qui aurait conduit à la fragmentation du fameux supercontinent de Pangée et donc ensuite à la dérive des continents proposée par Wegener (voir à ce sujet l'exposé par Dicke dans son cours de l'école des Houches en 1963, « Relativité, groupes et topologie »). Il n'est donc pas étonnant que Morgan ait ensuite débuté un post-doc, toujours à Princeton mais dans son département de géoscience, y devenant même assistant professeur en 1966.

    Il faut toutefois préciser plusieurs choses. Si la théorie de la tectonique des plaques implique la théorie de la dérive des continents, l'inverse n'est pas vrai.


    Produit en 1970, ce documentaire magnifique et historiquement significatif guide l'étudiant à travers les preuves accablantes qui ont convaincu les géologues des années 1960 et 1970 d'adopter la tectonique des plaques comme théorie unificatrice de la géologie de la Terre, remplaçant plus de 200 ans de réflexion antérieure sur le sujet. Ce qui est également passionnant, c'est que ce film contient de nombreuses interviews données par certains des plus grands esprits de la géologie au cours du XXe siècle. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Horizon, BBC

    L'incroyable histoire de la découverte de la tectonique des plaques

    Dans les ouvrages et les écrits qu’il va publier à partir de 1915, il n'est nullement question de plaques ni de courant de convectionconvection entraînant les plaques tels des tapis roulantstapis roulants, comme le postulera plus tard la théorie de la tectonique des plaques. Pour Wegener, les continents sont comme des blocs de glace d'une banquisebanquise se déplaçant tel un bateau en mouvement en se frayant un chemin à travers la roche du fond océanique.

    AstronomeAstronome de formation, Wegener avait proposé d'expliquer ces mouvements comme une conséquence de ce qu'il va appeler la fuite des pôles, imaginant qu'une composante de la force centrifugeforce centrifuge due à la rotation terrestre et qui s'ajoute à la gravitation entraînait, du fait de l'aplatissementaplatissement de la Terre, une fuite des continents vers l'équateuréquateur.

    Mais les géologues ne sont pas convaincus, la rigiditérigidité des roches leur semblait rendre impossible les déplacements des continents. Surtout, le pape de la géophysique de l'époque, l'Anglais Harold Jeffreys, qui avec sa femme a écrit un traité sur les méthodes mathématiques de la physique qu'il est encore utile de lire aujourd'hui pour un débutant et aussi un traité fondamental et précurseur sur la théorie bayésienne des probabilités, entre dans le débat et prouve mathématiquement que le mécanisme proposé par Wegener ne marche pas et qu'en fait si quelque chose de similaire existait la rotation de la Terre serait stoppée en un an !

    Wegener décède dans une expédition au Groenland en 1930 et ce sera donc le géologue anglais Arthur Holmes, pionnier des méthodes de datation radioactive des roches, qui va proposer un modèle crédible pour faire se déplacer les continents, celui de mouvement de convection du manteaumanteau rocheux de la Terre, chauffé par la désintégration des éléments radioactifs.

    La suite, c'est donc Harry Hess, l'océanographe, qui propose qu'au niveau de la ride médio-océaniqueride médio-océanique de l'Atlantique de la lavelave se déverse du fait de fractures provoquées par l'étirement du fond des océans en réponse à la convection mantellique, introduisant donc le concept d'expansion des fonds océaniques.

    En fait, l'histoire de la découverte de la théorie de la tectonique des plaques de Wegener à Le Pichon est extraordinairement riche et d'autres noms méritent d'être mentionnés. Il faudrait par exemple parler des inversions magnétiques enregistrées au fond de l'Atlantique étudiées par Frederick Vine et Drummond Matthews. On peut s'en rendre compte en écoutant une des conférences données quelques années avant sa mort par Morgan.

    Jason Morgan, c'est aussi celui qui va proposer la théorie toujours débattue des points chauds, mais c'est une autre histoire...


    W. Jason Morgan, professeur émérite à Université de Princeton qui a présenté la tectonique des plaques lors d'une réunion de l'American Geophysical Union en 1967, explique dans cette vidéo comment la théorie de la tectonique des plaques est née, soulignant à la fois le rôle de l'exploration océanique dans les années 1950 et 1960 et les premières observations de la propagation des fonds marins et des anomalies magnétiques océaniques. Il aborde également les progrès réalisés dans la compréhension des mouvements de la Terre depuis le développement des instruments et des technologies de géodésie spatiale. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Harvard Museum of Natural History