L’idée originelle de Wegener concernant la dérive des continents a aujourd’hui plus de 100 ans. Pourtant, malgré des arguments très solides toujours valables aujourd’hui, cette théorie aura mis 60 ans avant d’être clairement acceptée.


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    C'est en 1912 que Wegener expose pour la toute première fois son idée de la dérive des continents qui débouchera quelques années plus tard sur l'élaboration de la tectonique des plaques. À cette époque, la théorie en vigueur pour expliquer les massesmasses continentales, les reliefs et les océans, est que la Terre se contracte en se refroidissant, à l'image d'un fruit qui se plisse et se boursoufle en se desséchant.

    Mais Wegener est loin d'être convaincu. Pour lui, nombre d'observations tendent à montrer que les masses continentales étaient auparavant regroupées sous la forme d'un unique continent avant de se fragmenter en plusieurs morceaux qui auraient ensuite dérivés jusqu'à leur position actuelle. Aujourd'hui, si cette théorie a été amplement affinée et complexifiée, les arguments avancés par Wegener au début du XXe siècle sont toujours valables.

    Théorie (fausse) de la contraction thermique qui prévalait avant la théorie de la dérive des continents. © 1925 V. Boulet
    Théorie (fausse) de la contraction thermique qui prévalait avant la théorie de la dérive des continents. © 1925 V. Boulet

    La forme des côtes permet de reconstruire un unique supercontinent

    La première observation que Wegener va présenter pour soutenir son hypothèse est bien sûr la complémentarité de formes entre les côtes des différents continents, notamment entre l'Afrique et l'Amérique du Sud. Il est facile en effet de voir que ces deux continents s'emboitent quasi parfaitement. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls.

    En 1915, Wegener présente ainsi une reconstitution du monde à la fin de ce qu'on appelle alors l'ère primaire (environ -270 millions d'années). Selon lui, l'ensemble des continents sont alors amassés en un bloc unique qu'il nomme Pangée. Ce supercontinent est entouré d'un immense océan, la Panthalassa. Les modélisationsmodélisations actuelles du mouvementmouvement des continents montrent que la reconstruction paléogéographique de Wegener était étonnamment juste. Car le scientifique ne s'est pas seulement basé sur la forme des côtes.

    La reconstitution du continent unique Pangée par Wegener en 1929. © <em>Inductiveload, Wikimedia Commons</em>, domaine public
    La reconstitution du continent unique Pangée par Wegener en 1929. © Inductiveload, Wikimedia Commons, domaine public

    Voir aussi

    La dérive des continents d’Alfred Wegener a 100 ans

    Dans sa réflexion, il a utilisé un autre argument topographique qui repose sur l'analyse statistique des reliefs du globe. Il s'appuie ainsi sur la courbe de Trabert qui montre que la fréquence de répartition des reliefs terrestres s'articule autour de deux niveaux d'altitude et profondeur privilégiés. L'un vers 300 mètres d'altitude, l'autre vers -4 800 mètres de profondeur. Même si des sommets bien plus élevés ou des fosses océaniques bien plus profondes existent, ils sont d'une extrême rareté.

    Cette allure bimodale a été l'un des premiers éléments suggérant la présence de deux croûtes de nature différente, l'une au niveau des océans, l'autre au niveau des continents. Ces deux croûtescroûtes sont cependant en équilibre isostatique. Cette observation vient puissamment contrer l'idée de la contraction thermique de la Terre, car, dans ce cas, premièrement les reliefs devraient être dispersés uniformément à la surface terrestre, et deuxièmement, la courbe de répartition ne devrait être qu'une simple gaussienne autour d'un niveau moyen unique situé vers -2 000 à -3 000 mètres.

    La courbe de Trabert montre la distribution des reliefs terrestre et leur proportion. On voit qu'il existe deux grands ensembles, l'un pour la croûte continentale et l'autre pour la croûte océanique. © Zyzzy, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 2.0
    La courbe de Trabert montre la distribution des reliefs terrestre et leur proportion. On voit qu'il existe deux grands ensembles, l'un pour la croûte continentale et l'autre pour la croûte océanique. © Zyzzy, Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0

    Concordance géologique et paléontologique

    Mais Wegener va plus loin dans le détail. Il montre qu'il existe de plus des concordances géologiques entre les continents désormais séparés par d'immenses océans. Ainsi, les cratons (régions constituées de roches très anciennes) d'Afrique et d'Amérique du Sud se rejoignent parfaitement lorsque l'on rapproche les deux masses continentales. La similitude des âges de ces cratons montre de plus qu'il ne s'agissait à l'origine que d'une unique formation. Wegener fait la même observation pour d'autres grands ensembles géologiques comme les anciennes chaînes de montagnes calédonienne et hercynienne. Ces observations montrent que certaines structures se sont formées bien avant la séparationséparation des différents continents.

    Toujours dans la même logique, Wegener étudie la répartition et l'évolution de la faune et de la flore du passé en différents endroits du globe. Il remarque ainsi que, jusqu'au début du MésozoïqueMésozoïque (environ 250 millions d'années), les organismes terrestres montraient de grandes similitudes, quel que soit le continent considéré (Amérique du Sud et du Nord, Eurasie, Inde, Afrique, Australie...). En revanche, la faune et la flore semblent se diversifier graduellement par la suite, ce qui suggère le début d'un isolement sur chacun des continents.

    Ces observations paléontologiques vont permettre à Wegener d'affiner son idée de la dérive des continents. Ses données mettent en effet en lumièrelumière que le supercontinent PangéePangée s'est d'abord fragmenté en deux grands ensembles au cours du TriasTrias : la Laurasia (située au nord) et le GondwanaGondwana (plus méridional). Les continents actuels résulteraient ainsi de la fragmentation respective de ces deux grandes masses continentales durant le CrétacéCrétacé.

    Des arguments solides mais une faiblesse concernant le moteur du mouvement

    Enfin, Wegener avance des arguments paléoclimatiques. Il montre ainsi qu'il existe une corrélation climatique entre l'Amérique du Nord, l'Europe du Nord et le nord-est de l'Asie pour la période du CarbonifèreCarbonifère. À cette époque, ces différents continents étaient sous un climatclimat équatorial, alors que l'Amérique du Sud et l'Australie montrent des dépôts glaciaires. Pour Wegener, ces deux types de climat ne peuvent pas correspondre aux positions actuelles des continents. Une preuve de plus que ceux-ci se trouvaient à des endroits radicalement différents il y a plus de 300 millions d'années.

    Malgré ses nombreux arguments, la théorie de Wegener ne parvint pas à convaincre l'ensemble des scientifiques. Une forte opposition fut ainsi menée jusqu'au début des années 1960. Les détracteurs de la théorie de la dérive des continents, même s'ils furent relativement peu nombreux à la fin, s'appuyèrent principalement sur la faiblesse principale de la théorie de Wegener. Pour expliquer le mouvement des plaques, celui-ci invoqua en effet les forces de maréesforces de marées liées à la rotation de la Terre. Une idée fausse que plusieurs géophysiciens décrièrent, tout en rejetant en même temps la totalité de l'hypothèse de la dérive continentale. Ce n'est pas en excluant les différentes théories mais bien en les combinant que le modèle complet de la tectonique des plaques finit enfin par s'établir de façon pérenne à la fin du XXe siècle.