Même si à chaque acide on peut faire correspondre une base, et inversement, chacun reste ce qu'il est : certains sont des acides et d'autres sont des bases. Un groupe de chercheurs de l’université Riverside en Californie, mené par le Français Guy Bertrand, vient pourtant de montrer le contraire, au moins dans la chimie du bore : des acides peuvent être convertis en bases... De cette curiosité contre-nature, on peut espérer de nouvelles réactions de catalyse.

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    Le chimiste Guy Bertrand en plein travail. © UC Riverside L Duka

    Le chimiste Guy Bertrand en plein travail. © UC Riverside L Duka

    Les acides et les bases ont une longue histoire en chimie. L'acide sulfurique était par exemple déjà connu des alchimistes du Moyen Âge sous le nom de vitriol. Toutefois, ce n'est qu'à partir du XIXe siècle que l'on a commencé à avoir une compréhension claire de ce qui faisait la différence entre un acide et une base. On doit les premières définitions au Suédois Svante August Arrhenius (l'homme qui avait prévu dans les années 1890 un réchauffement futur de l'atmosphèreatmosphère terrestre causé par les émissions humaines de CO2). Selon lui, un acide est un composé chimique pouvant libérer des protons (ions H+) en solution aqueusesolution aqueuse et une base un composé chimique pouvant libérer des ions hydroxyles (OH-) en solution aqueuse. Mais cette définition n'était pas assez générale car elle n'expliquait pas la basicité de certains composés chimiques ne libérant pas de OH- en solution aqueuse.

    Ce n'est finalement qu'au début du XXe siècle, avec les travaux du chimiste et physicienphysicien américain Gilbert NewtonNewton Lewis (1875-1946), que l'on a disposé d'une définition suffisamment générale des acides et des bases. En 1923, il proposa une théorie selon laquelle les acides et les bases sont respectivement accepteurs et donneurs d'une paire d'électronsélectrons. Depuis lors les notions d'acide et de base de Lewisbase de Lewis sont devenues standards en chimie. Incidemment, Lewis n'en était pas alors à son premier coup d'essai magistral en chimie car, en 1916, il avait proposé la fameuse règle de l'octetoctet qui décrit la tendance des atomesatomes à s'entourer de huit électrons de valenceélectrons de valence pour ressembler à un atome de gazgaz rare. La même année, il avait aussi introduit les bases du concept de liaison chimiqueliaison chimique covalente. On doit également à Lewis des travaux sur la théorie de la relativité et le nom même de « photonphoton », qu'il utilisa le premier pour parler des quanta de lumièrelumière d'Albert EinsteinEinstein.

    Gilbert Newton Lewis était l'un des plus grands chimistes du XX<sup>e</sup> siècle. © AIP

    Gilbert Newton Lewis était l'un des plus grands chimistes du XXe siècle. © AIP

    Acides et bases sont toujours, de nos jours, des notions fondamentales dans tous les domaines de la chimie minérale ou organique, ou encore de la biochimiebiochimie. Il suffit de ne pas oublier l'acide désoxyribonucléiqueacide désoxyribonucléique, alias ADN, ou encore les acides aminésacides aminés, maillons des protéinesprotéines avec leurs accroches acides et basiques. Certains composés chimiques sont des acides, comme ceux contenant du borebore, et d'autres sont des bases, comme ceux formés avec de l'azoteazote et du phosphorephosphore.

    Remarquablement, un groupe de chimistes franco-germano-américains, impliquant l'Unité mixte internationale UCR/CNRS Joint Research Chemistry Laboratory à l'université de Californie et l'université de Marburg en Allemagne, mené par le Français Guy Bertrand, vient de réaliser ce qui semblait impossible : obtenir d'un composé acide qu'il se comporte comme une base.

    La prouesse s'est faite dans le domaine de la chimie de l'atome de bore, laquelle est fort développée car elle intervient dans la production des verresverres, des pesticidespesticides, des détergents et même de certains semi-conducteurssemi-conducteurs. La découverte est importante, d'autant plus que 2011 est l'Année internationale de la chimie (AIC).

    Un nouveau borane pour futurs médicaments ?

    Les chimistes réfléchissaient sur un problème particulier de la chimie des catalyseurscatalyseurs. Rappelons qu'il s'agit de substances chimiques qui, tout en participant à une réaction, se retrouvent inchangées à la fin de celle-ci mais ont servi à la faciliter, l'accélérer et même la rendre possible. L'exemple le plus connu est celui du platineplatine. Généralement d'ailleurs, un catalyseur est un métalmétal auquel son liés des ions ou des composés. On parle de ligandsligands et souvent, ils contiennent des atomes d'azote ou de phosphore.

    Mais les ligands à base de phosphore sont dangereux car cet atome est toxique et peut contaminer les produits finaux des réactions de catalysecatalyse. Le bore, lui, n'est pas toxique. Or, les acides ne peuvent pas être utilisés comme ligands pour créer des catalyseurs, ce qui rendait impossible l'obtention de catalyseurs métalliques avec des ligands contenant du bore. À moins de forcer d'une certaine façon ces ligands à se comporter comme des bases.

    C'est précisément ce qu'ont réussi à faire les chercheurs, comme expliqué dans un article publié dans Science et donné en lien ci-dessous. Le nouveau borane obtenu possède une paire d'électrons supplémentaire sur l'atome de bore, il se comporte donc comme s'il présentait un excès d'électrons, c'est-à-dire comme une base au sens de Lewis. Pour le moment, les auteurs ignorent les réactions qui pourraient être catalysées par ce borane mais ce devrait être dans le domaine de la catalyse organométallique et organique, probablement au moins pour la fabrication de médicaments.