En Ukraine, elles sont une centaine à vouloir intégrer « Female Pilots of Ukraine ». Ces femmes, qui souhaitent se former pour participer aux opérations militaires sur le front, disposent d’une école de pilotage pour drone qui leur est exclusivement dédiée. Reportage avec les futures cadettes du télépilotage.


au sommaire


    C'est dans un froid glacial en périphérie du sud-est de Kyiv en Ukraine, dans le gigantesque parc Pyrohiv sur les hauteurs de la ville que les moteurs des quadrirotors vrombissent. Un membre des forces spéciales fait virevolter son drone fait maison en mode FPV, c'est-à-dire en pilotage immersif. Ce drone a déjà détruit des installations russes de surveillance sur le front. Il peut porter une charge explosive d'1,5 kilo explique avec un sourire en coin Valerii Borovyk, commandant des services de contre-espionnage. Ce pilote de drone chevronné est un habitué des missions de surveillance, de coordination avec les forces spéciales au sol et d'ajustement des tirs à l'aide de drones quadrirotors.

    À proximité de l’aire d’exercice des femmes, Valerii Borovyk montre le drone de conception maison avec lequel un pilote des forces spéciales s’entraîne. Puissant, véloce et doté d’une grosse autonomie, ainsi que d'un grand rayon d'action, il est aussi capable de porter des explosifs. Il rentre justement du Donbass où il a servi à détruire un véhicule de surveillance des forces armées russes. © Sylvain Biget
    À proximité de l’aire d’exercice des femmes, Valerii Borovyk montre le drone de conception maison avec lequel un pilote des forces spéciales s’entraîne. Puissant, véloce et doté d’une grosse autonomie, ainsi que d'un grand rayon d'action, il est aussi capable de porter des explosifs. Il rentre justement du Donbass où il a servi à détruire un véhicule de surveillance des forces armées russes. © Sylvain Biget

    Mais le militaire n'est pas ici pour discuter des stratégies liées à l'emploi des drones sur les zones de combat, du moins pas uniquement... Il présente à Futura une école de pilotage de drones très particulière. Elle est dédiée exclusivement aux femmes. À l'issue d'une sélection, elles y apprennent à maîtriser les mêmes drones que l'on peut trouver sur les champs de bataille. Il s'agit essentiellement de drones grand public Mavic de chez DJI, des Phantom 4 Pro 2 de la même marque et également des drones EVO II Pro de l'Américain Autel. C'est justement un de ces drones Autel à la carrosserie rouge qui se fait entendre quelques mètres plus loin. L'aéronefaéronef se déplace par à-coups de façon hésitante à quelques mètres du sol.

    Veronika, une jeune télépilote, se trouve aux commandes de l'appareil. À 30 ans, elle est psychologue et elle a passé les tests avec succès pour être formée par cette école de pilotage. Elle a souhaité s'inscrire à ces cours gratuits pour acquérir de nouvelles compétences « au cas où ». Après sa formation initiale d'une à deux semaines, puis une autre plus intensive d'un mois ou deux, elle compte bien rejoindre le front où son petit ami se trouve, pour faire sa part en pilotant des drones. C'est devenu sa priorité aujourd'hui. Elle pense être prête pour l'été. En parallèle, avec des formateurs issus des forces territoriales, elle apprend à se servir de fusils d'assaut.

    Sur cette aire d'exercice pour le pilotage de drones à Kyiv, l'apprentissage se fait en binôme, une pilote et une navigatrice. À côté de Veronika se trouve donc Viktoria, une mère de famille de 37 ans. Elle aussi souhaite acquérir de nouvelles compétences pour être prête si jamais on a besoin d'elle dans un avenir qu'elle considère toujours comme incertain. Elle aide par ailleurs les militaires du front en confectionnant des filets de camouflage, des bougies ou en préparant des vêtements.

    Veronika, une psychologue de 30 ans, souhaite apprendre à piloter des drones pour aller rejoindre le front d’ici l’été. Elle est formée au maniement des armes et considère que chaque être humain vivant en Ukraine doit acquérir des compétences pour défendre son pays, sa famille. © Sylvain Biget
    Veronika, une psychologue de 30 ans, souhaite apprendre à piloter des drones pour aller rejoindre le front d’ici l’été. Elle est formée au maniement des armes et considère que chaque être humain vivant en Ukraine doit acquérir des compétences pour défendre son pays, sa famille. © Sylvain Biget

    « C’est comme découvrir un smartphone pour la première fois »

    Toutes ces femmes ont été bousculées dans leur vie par l'invasion russe il y a un an. Elles veulent s'armer de connaissances pour défendre leur pays utilement en cas de nécessité. Ces apprenties pilotes en sont à leurs premières leçons. Elles maîtrisent maintenant la checklist des vérifications, notamment l'état de la batterie ou le bon fonctionnement des moteurs. Les manœuvres sont pour le moment assez basiques, et, le froid glacial engourdissant les doigts, ces femmes constatent que le pilotage demande beaucoup d'attention et de dextérité. « C'est un peu comme découvrir un smartphone pour la première fois », avoue Viktoria. Mais au bout de quelques mois, Valerii Borovyk est persuadé qu'elles sauront comment faire pour aider l'artillerie à ajuster des tirs et même larguer des explosifs à partir des drones de conception ukrainienne.

    À la question de savoir pourquoi avoir décidé de former uniquement des femmes, Valerii Borovyk marque un large sourire. Ce n'est pas parce que les femmes apprennent différemment selon lui, mais cette école de pilotage est née dans des circonstances particulières. L'été dernier, un volontaire allemand de la légion internationale, lui a demandé s'il connaissait des femmes pilotes de drones. Ce volontaire cherchait spécifiquement une femme formée au pilotage de drones pour une organisation féministe au Royaume-Uni. C'est ainsi que l'idée de créer cette école pour « dames » a vu le jour et c'était également la condition de son financement par l'organisation en question.

    Depuis Valerii est conquis, car cette initiative met en avant les talents des femmes dans la conduite des opérations militaires en Ukraine. Il considère d'ailleurs que les organisations féministes occidentales devraient renforcer leur soutien pour faire grandir l'implication des femmes dans les forces armées ukrainiennes. Pour le moment, l'école a déjà délivré des licences à une dizaine de femmes. Une centaine d'autres se sont portées candidates pour intégrer l'école. Déjà, douze d'entre elles vont devenir cadettes après une sélection. Selon le responsable, les profils sont très divers et on trouve aussi bien des journalistes, des commerciaux, des artistes et même des mannequins.

    Viktoria comprend qu’il va lui falloir beaucoup d’entraînement pour acquérir la dextérité et l’attention nécessaire à la conduite du drone. © Sylvain Biget
    Viktoria comprend qu’il va lui falloir beaucoup d’entraînement pour acquérir la dextérité et l’attention nécessaire à la conduite du drone. © Sylvain Biget

    Au grand étonnement du directeur, dans 80 % des cas, ces femmes apprennent à piloter pour rejoindre les forces armées pour apporter leur contribution sur le front. Valerii Borovyk souligne d'ailleurs que pour ces femmes télépilotes, le danger sera plus important qu'auparavant. La raison : le bridage des stations Starlink, décidé par Elon MuskElon Musk, qui impose de prendre plus de risques en restant plus longtemps sur le terrain. Une situation qui fait pester le télépilote. En attendant de former plus d'élèves, la seule difficulté qu'éprouve Valerii Borovyk est liée au financement de son école. Ce genre d'initiative reste privé et ne fonctionne que par donation pour l'achat de drones et d'équipements, car la formation est gratuite. Alors, pour le moment, son directeur la finance essentiellement avec ses propres fonds.