La conquête spatiale nous a fait réaliser l'extraordinaire diversité des corps du Système solaire et nous a fourni également des clés pour comprendre leur origine et leur histoire. Le volcanisme actif de Io nous a ainsi été révélé en images par les missions Voyager et Galileo. Toutefois, en utilisant des instruments terrestres, des planétologues pensent être arrivés aujourd'hui à dater le début de l'activité volcanique sur Io. Elle serait presque aussi ancienne que la planète Jupiter, à savoir environ 4,5 milliards d'années.


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    Les géologuesgéologues, géophysiciens et géochimistes se sont transformés en planétologues et cosmochimistes après la Seconde Guerre mondiale et grâce à l'essor de la conquête spatiale. Ils se sont rendu compte en effet que les connaissances et les méthodes d'exploration des géosciences pouvaient être transposées aux planètes du Système solaire. Ce faisant, ils ont obtenu des informations permettant de mieux comprendre notre Planète bleue et ont ouvert la voie à de nouveaux émerveillements avec les phénomènes planétaires.

    Tous les passionnés de volcanologie aimeraient sans doute pouvoir un jour fouler le sol de Io, la mythique lune volcanique de Jupiter où l'on sait que se trouvent actuellement des lacs de lavelave et des éruptions encore plus spectaculaires que ce que l'on connaît sur Terre en Islande ou à Hawaï. Il y a bien sûr des connaissances scientifiques que l'on peut tirer de l'étude de IoIo, notamment sur l'histoire des lunes de JupiterJupiter et sur la façon dont les forces de marée peuvent chauffer une planète au point de produire Io et l'océan global que l'on pense se trouver sous la banquise d’Europe, l'une des principales lunes glacées de Jupiter.


    Brian Cox nous parle de Io et du lac de lave de la caldeira du volcan Loki dont le diamètre dépasse les 200 kilomètres. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © BBC Earth

    Si l'on peut étudier les restes du volcanismevolcanisme de Mars in situ avec les rovers martiensrovers martiens, nous n'en sommes pas encore là avec Io. Toutefois, même sans une mission en orbite autour de Jupiter pour étudier spécifiquement Io, comme la Nasa l'a envisagé avec la mission Io Volcano Observer, il est possible d'avoir des informations sur Io en utilisant des instruments sur Terre. On en voit un nouvel exemple avec un article publié dans Science par la planétologue Katherine de Kleer et ses collègues ainsi que dans JGR Planets.

    La cosmochimie, la mécanique quantique et le passé de Io

    Les chercheurs ont mobilisé à cette occasion du temps d'observation avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma), le réseau de radiotélescopesradiotélescopes de l'ESOESO opérant dans le désertdésert de l'Atacama au Chili. Il est possible avec lui non seulement de détecter les signatures spectrales des transitions quantiques de rotation des moléculesmolécules SO2, SO, NaCl et KCl dans l'atmosphèreatmosphère de Io, mais aussi d'en déduire les abondances de ces molécules pour des isotopesisotopes différents du soufresoufre et du chlorechlore.

    En appliquant ensuite des modèles cosmochimiques à l'histoire de Io prédisant les abondances de ces isotopes, les planétologues sont arrivés à la conclusion que Io a été volcaniquement active tout au long des 4,5 milliards d'années environ de l'histoire du Système solaire. C'est d'autant plus intéressant que l'on pense que cette activité volcanique n'est pas seulement le produit des forces de marée de Jupiter mais aussi des forces de gravitationforces de gravitation d'Europe et Ganymède.


    « La géochimie et la cosmochimie, c'est l'étude des éléments chimiques pour comprendre l'histoire de la Terre et des planètes... » Entretiens avec Manuel Moreira, professeur à l'Université Paris Diderot, et des membres de son équipe à l'IPGP. © Chaîne IPGP

    On ne possédait pas d'estimations de l'âge de Io avant parce que sa surface est très jeune, donc faiblement cratérisée, en raison de son volcanisme qui est le plus actif du Système solaire. On sait par contre que la Lune est très vieille puisqu'elle est fortement cratérisée avec des cratères qui sont d'autant plus anciens qu'ils sont plus grands.

    Dans le cas de Io, les éruptions volcaniqueséruptions volcaniques conduisent à un recyclagerecyclage partiel de la matièrematière injectée dans l'atmosphère qui retombe ensuite sur sa surface. Mais pendant que les molécules sont dans l'atmosphère, celles avec les isotopes les plus lourds vont avoir tendance à rester sur la lune, alors que les plus légers partiront plus facilement dans l'espace. Les données d'Alma indiquent que les molécules chlorées et soufrées détectées sont fortement enrichies en isotopes lourds par rapport aux valeurs moyennes du Système solaire, en raison précisément de la perte d'isotopes plus légers de la haute atmosphère. Cela ne s'expliquerait que si Io est volcaniquement active depuis le début de l'histoire du Système solaire et donc peu de temps après la naissance de Jupiter.

    Le saviez-vous ?

    Rappelons que c'est très peu de temps avant l'arrivée d'une des sondes Voyager aux abords des lunes de Jupiter que les planétologues Stan Peale, Patrick Cassen et R. T. Reynolds avaient publié en 1979 dans Science un article où ils affirmaient qu'en raison des forces de marée résultant de l'influence de Jupiter, Ganymède et Europe, beaucoup de chaleur devait être produite à l'intérieur de Io.

    Cette chaleur provenant de la dissipation de l'énergie mise en jeu dans les déformations de la lune de Jupiter, elle devait engendrer un volcanisme important. De fait, quelques jours après cette publication, en mars 1979, Linda Morabito, alors ingénieur de navigation dans l'équipe de la mission Voyager 1, remarqua un curieux détail sur des photographies prises par la sonde. Tenace, elle décida de s’y intéresser de plus près, de sorte que grâce à son travail, il est plus tard apparu comme la manifestation d’un panache volcanique soufré de 300 kilomètres de hauteur.

    Rappelons également qu’on a déjà repéré plus de 150 volcans actifs sur Io et, selon ce décompte, on peut estimer qu'il en existe au moins 400. Ainsi, Rosaly Lopes, célèbre planétologue et volcanologue de la Nasa à qui l'on doit plusieurs livres sur les volcans, dont un préfacé par Arthur Clarke lui-même, a découvert 71 volcans actifs, de 1996 à 2001 lors de la mission Galileo.

    Techniquement Io, Europe et Ganymède sont dans une configuration orbitale connue sous le nom de résonance de Laplace du nom de l'astronome et mathématicien français qui l'a découvert. Cela signifie que pour chaque orbite de Ganymède (la plus éloignée des trois de Jupiter), Europe accomplit exactement deux orbites et Io en accomplit exactement quatre. Dans cette configuration, les lunes s’attirent gravitationnellement de telle manière qu’elles sont forcées de suivre des orbites elliptiques plutôt que rondes. De telles orbites permettent à la gravité de Jupiter de réchauffer l'intérieur des lunes, provoquant le volcanisme d'Io et chauffant également l'océan liquide sous la banquise de glace d'Europe.

    Un laboratoire pour comprendre le chauffage par les forces de marée des lunes et des exoplanètes

    Le communiqué du Caltech, qui accompagne la publication dans Science, explique donc que la duréedurée du volcanisme d'Io indique qu'elle s'est retrouvée en résonancerésonance orbitaleorbitale (voir le bloc ci-dessus) avec Europe et GanymèdeGanymède très peu de temps après la formation de ces lunes, c'est précisément ce que prédisent des modèles des 20 dernières années qui montrent que ces lunes galiléennes devraient entrer dans cette résonance très tôt après leur formation.

    Katherine de Kleer, y ajoute que « le système jovienjovien n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de lunes, et même d'exoplanètesexoplanètes, qui se produisent dans ce type de résonances. Le réchauffement des marées provoqué par de telles résonances est une source de chaleurchaleur majeure pour les lunes et peut alimenter leur activité géologique. Io en est l'exemple le plus extrême, nous l'utilisons donc comme laboratoire pour comprendre le réchauffement des marées en général ».