Les résultats d'une nouvelle étude de l'université de Liverpool fournissent une preuve supplémentaire de l'existence d'un cycle d'environ 200 millions d'années en ce qui concerne l'intensité du champ magnétique de la Terre, voire de ses inversions.


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    Cela fait plusieurs siècles que l'on sait que le champ magnétique de la Terre varie dans l'espace et dans le temps à l'échelle humaine. En effet, les différents navigateursnavigateurs européens, qui parcouraient la planète, avaient commencé à noter qu'en fonction de leur position sur la planète, l'angle que faisait l'aiguille d'une boussole avec la verticale du lieu (l'inclinaison), ou avec la direction du pôle Nord géographiquepôle Nord géographique (la déclinaisondéclinaison), variait. En 1701, Halley, qui avait identifié la fameuse comètecomète portant son nom, avait d'ailleurs publié la « tabula Nautica », la première carte du champ magnétiquechamp magnétique de la Terre. Mieux, des variations de ce champ à l'échelle de l'année et même du siècle furent aussi identifiées localement.

    Lors d'une réunion en 1828, le grand naturaliste et explorateur allemand Alexander von HumboldtAlexander von Humboldt avait quant à lui suggérer au grand mathématicienmathématicien, astronomeastronome et physicienphysicien Carl Friedrich Gauss de s'intéresser au magnétismemagnétisme, ce qui le conduisit à trouver le moyen de mesurer son intensité en plus de sa direction. Gauss fit d'autres contributions importantes à l'étude du magnétisme terrestre, mais jusqu'au début du XXe siècle tout semblait indiquer que le champ magnétique de la Terre était stable en moyenne et correspondait en gros à celui d'un dipôle magnétique comme celui généré par une barre aimantée, ou mieux dans le cas présent, une sphère uniformément aimantée.


    Entretiens avec Yves Gallet, chercheur IPGP-CNRS, et des membres de l'équipe de recherche sur le paléomagnétisme. © Chaîne IPGP, YouTube

    Mais, en 1905, Bernard Brunhes (prononcez « brugne »), jeune physicien français sortant de l'École Normale Supérieure et intéressé à la physiquephysique du Globe et en particulier au champ magnétique terrestre, découvre que des coulées de laves anciennes ont des aimantationsaimantations dont les directions diffèrent sensiblement de celles du champ magnétique actuel. C'est la découverte des inversions du champ magnétique de la Terre et la création d'une nouvelle discipline : le paléomagnétisme. Elle va permettre de constituer la théorie de la tectonique des plaques. Futura a consacré de nombreux articles à ces inversions comme le précédent ci-dessous.

    Des inversions magnétiques cycliques ?

    Depuis lors, les géophysiciens ont effectué une plongée de plus en plus profonde et précise dans les archives magnétiques de la Terre et y ont fait la découverte de nombreuses inversions magnétiques mais se produisant plutôt de façon chaotique, même si la question de l'existence de certaines périodicités a fait surface de temps en temps. On en voit un nouvel exemple avec une publication dans le célèbre journal Proceedings of the National Academy of Sciences.

    L'article expose les travaux d'une équipe internationale de géophysiciens menée par des chercheurs de l'université de Liverpool qui ont fouillé les archives paléomagnétiques de la Terre en utilisant en particulier une nouvelle technique mise au point par des membres de cette université. C'est une variante basée sur l'utilisation de micro-ondes de la méthode de mesures des paléointensités de champs magnétiques que l'on doit à Émile et Odette Thellier, des chercheurs français auxquels il est fait allusion dans la vidéo ci-dessus.

    Les mesures magnétiques ont concerné des échantillons de lave provenant de coulées dans l'est de l'Écosse et elles ont été combinées à des mesures ailleurs sur Terre, notamment en Sibérie. L'ensemble des mesures passées en revue s'étend sur une période allant de 200 à 500 millions d'années dans le passé et collectés au cours des 80 dernières années.

    Selon les paléomagnéticiens, l'analyse de ces mesures révèle qu'il y a entre 332 et 416 millions d'années, l'intensité du champ magnétique de la Terre était inférieure au quart de ce qu'elle est aujourd'hui, et qu'une période similaire de faible géomagnétisme existait il y a environ 120 millions d'années.

    Comme on a l'habitude d'appeler « PaléozoïquePaléozoïque » l'ère géologiqueère géologique qui s'étend de -541 à -252,2 millions d'années, les géophysiciens ont introduit le terme de dépression dipolaire du Paléozoïque moyen (MPDL pour Mid-Palaeozoic Dipole low en anglais).

    À strictement parler, les chercheurs expliquent donc avoir mis en évidence un cycle probable d'environ 200 millions d'années dans l'intensité du champ magnétique terrestre, pas dans son signe. Mais, selon eux, cela a des implications pour les inversions magnétiques car on sait qu'un affaiblissement du champ magnétique précède souvent une inversion magnétique.

    Il est intéressant de se rappeler qu'il existe un cycle de 400 millions d'années en ce qui concerne la dérive des continents, le cycle de Wilson. On peut penser que le cycle magnétique découvert apporte de nouvelles informations pour comprendre la géodynamique de notre Planète bleuePlanète bleue et que ce cycle a un rapport avec des modifications de l’état convectif du manteau de la Terre.

    Il est intéressant de se rappeler aussi que c'est pendant le MPDL que s'est produite l'extinction du Dévonien, l'une des cinq extinctions massives de la vie animale et végétale enregistrées au cours de l'histoire de la vie sur Terre. Elle se situe entre environ -380 et -360 millions d'années.

     


    Inversions magnétiques de la Terre : pourquoi une telle régularité ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 05/02/2016

    Contrairement aux inversions magnétiques les plus fréquentes, les superchrons sont des périodes longues lors desquelles le champ magnétique de la Terre ne s'inverse pas pendant plus de 10 millions d'années. On n'en connaissait que peu depuis moins de 2 milliards d'années, mais une nouvelle étude en révèle la présence d'une douzaine pendant cette période. Cela questionne notre compréhension de la géodynamo et de l'histoire du noyau terrestrenoyau terrestre.

    Sous l'eau, au niveau des dorsales océaniques, les laves basaltiques s'épanchent en donnant des laves en coussins comme celles sur cette photo. En se refroidissant, elles s'aimantent et gardent la mémoire de la polarité et de l'intensité du champ magnétique terrestre. ©<em> University of Washingto</em>
    Sous l'eau, au niveau des dorsales océaniques, les laves basaltiques s'épanchent en donnant des laves en coussins comme celles sur cette photo. En se refroidissant, elles s'aimantent et gardent la mémoire de la polarité et de l'intensité du champ magnétique terrestre. © University of Washingto

    Les inversions magnétiques ont été découvertes il y a un peu plus de 100 ans. Pendant les années 1960, elles ont révolutionné la géologiegéologie grâce à une jeune discipline des géosciences : l'étude du paléomagnétisme. Ces inversions ont été enregistrées dans les basaltesbasaltes des fonds océaniques grâce aux particules magnétiques s'orientant dans le sens du champ magnétique local des laves en train de se refroidir. Elles ont accrédité la théorie de la dérive des continents - devenue rapidement celle de la tectonique des plaquestectonique des plaques, qui a également reçue une confirmation avec les expéditions menées dans la dépression de l'Afar par Haroun Tazieff et ses collègues.

    En fait, les géophysiciens étudient le champ magnétique de la Terre depuis le XIXe siècle et ils ont même proposé une théorie pour expliquer son origine, celle de la dynamodynamo auto-excitatrice. Elle a d'abord été explorée analytiquement puis numériquement avec la montée en puissance des ordinateursordinateurs. Finalement, c'est l'expérience VKS qui a permis de démontrer que l'on comprenait bien dans les grandes lignes les origines des inversions magnétiques. C'est dans le noyau liquideliquide, composé essentiellement de ferfer et de nickelnickel, que des courants de convectionconvection turbulents, influencés par la rotation de la Terre, amplifient de faibles champs magnétiques générant des courants qui, à leur tour, produisent de tels champs.

    Depuis lors, les paléomagnéticiens continuent de fouiller les archives de la Terre pour mieux comprendre son histoire et les géophysiciens raffinent leurs modèles de la géodynamo et de l'intérieure de la Terre pour mieux comprendre notre planète. Une équipe de chercheurs états-uniens vient ainsi de publier les résultats de leurs travaux sur ces questions dans Earth and Planetary Science Letters. Ils se sont intéressés aux superchrons.

    Dix superchrons pendant 1,3 milliards d'années

    Plusieurs types d'inversions magnétiques sont connus et leur répartition dans le temps apparaît comme plus chaotique que périodique. Ainsi, Il y a 72 millions années (Ma), le champ s'est inversé cinq fois en un million d'années mais, pendant quatre millions d'années, il y a 54 Ma, seulement dix inversions se sont produites. Quant aux superchrons, ce sont des périodes de l'histoire de la Terre lors desquelles le champ magnétique ne s'inverse pas pendant une duréedurée supérieure à 10 millions d'années. Jusqu'à présent, l'existence de deux périodes de ce type faisait consensus et une troisième restait controversée.

    Le superchron appelé Cretaceous Normal a duré près de 40 millions d'années, il y a donc de 120 à 83 millions d'années, c'est-à-dire pendant le CrétacéCrétacé. Le superchron Kiaman (le nom Kiaman dérive du village australien de Kiama, où les premières preuves géologiques de l'existence de ce superchron ont été trouvées en 1925) a quant à lui duré approximativement de la fin du CarbonifèreCarbonifère à la fin du PermienPermien, plus précisément d'il y a 312 à 262 millions d'années.

    Des superchrons sont représentés sur ce schéma chronologique s'étendant sur les deux derniers milliards d'années. Les deux couleurs grises indiquent des polarités différentes du champ magnétique. Plus les barres sont hautes, plus l'existence du superchron est probable. On voit aussi les étapes supposées de la croissance de la graine (<em>inner core</em>) du noyau (<em>core</em>) de la Terre. © Nasa
    Des superchrons sont représentés sur ce schéma chronologique s'étendant sur les deux derniers milliards d'années. Les deux couleurs grises indiquent des polarités différentes du champ magnétique. Plus les barres sont hautes, plus l'existence du superchron est probable. On voit aussi les étapes supposées de la croissance de la graine (inner core) du noyau (core) de la Terre. © Nasa

    Cependant, selon Peter Driscoll, de l'institution Carnegie, et David Evans, de l'université de Yale, il y aurait eu dix superchrons pendant le ProtérozoïqueProtérozoïque, une période s'étendant d'il y a 540 millions d'années à 2,5 milliards d'année. S'ils ont raison, la découverte pose problème car ces superchrons semblent être survenus de façon relativement régulière. Or, selon les géophysiciens, c'est aussi pendant cette période, il y a environ un milliard d'années, que la graine de la Terre, la partie solidesolide du noyau découverte par Inge Lehman, a commencé à cristalliser. Selon les simulations numériquessimulations numériques de la géodynamo, la quasi périodicité des superchrons n'est pas crédible puisqu'elle aurait dû être perturbée par le début de la genèse de la graine.

    Il semble que l'on soit alors devant une alternative : soit la formation de la graine est en réalité plus ancienne, soit le fonctionnement de la géodynamo est plus stable que ne le laissent supposer les simulations numériques et il n'a été que peu affecté par le début de la cristallisation de la graine. Compte tenu des modèles du refroidissement de la Terre qui prédisent cette cristallisation, il semble que la seconde hypothèse soit la bonne.