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    À la fois cousin du chienchien et du chat, le guépardguépard est un animal captivant et pourtant délaissé par la plupart des scientifiques. Une lacune que tente de combler Laurie Marker : depuis 1974, elle se bat pour mieux comprendre cette espèceespèce fascinante et mieux la protéger. Un investissement concrétisé grâce à son association, le « Cheetah Conservation Fund » qui développe des solutions aux angles divers, pour éviter l'extinction de l'espèce.

    Le guépard, un animal fascinant. © Steve Wilson, CC by 2.0
    Le guépard, un animal fascinant. © Steve Wilson, CC by 2.0

    « Nous voyons un monde dans lequel les guépards vivent et s'épanouissent en coexistence avec les hommes et l'environnement. »

    La Namibie a le plus grand nombre de guépards au monde : 3.000 animaux, soit un quart de la population sauvage restante au monde. La plupart de ces guépards (95 %) vivent sur les terres cultivées commerciales et communes au nord de la Namibie, où ils constituent une menace pour le bétail. Bien que le guépard namibien soit une espèce protégée, les fermiers peuvent légalement tuer les prédateurs estimés dangereux pour le bétail ou pour les hommes. Une fois l'animal pris au piège et tué, il est bien difficile d'obtenir des preuves réelles des prédations commises. Aujourd'hui, le conflit avec les intérêts agricoles est l'une des plus grandes menaces pour la survie du guépard.

    Laurie Marker en plein nourrissage d'un jeune guépard. © Laurie Marker DR, <em>Cheetah conservation fund</em>
    Laurie Marker en plein nourrissage d'un jeune guépard. © Laurie Marker DR, Cheetah conservation fund

    C'est dans ce pays que Laurie Marker décide de s'installer après avoir étudié l'animal pendant plus de seize ans. La situation est critique et Laurie Marker va tenter de comprendre les raisons d'un tel déclin. En 1990, elle fonde le « Cheetah Conservation Fund » (CCF), un centre de recherche permanent sur le guépard. Entourée d'une équipe d'étudiants et de vétérinairesvétérinaires, Laurie Marker complète ses observations et découvre des moyens ingénieux de protéger l'espèce. L'objectif de la fondation est double : réussir à mieux protéger l'animal sans le contraindre à changer ses habitudes et éduquer la population en effectuant un gros travail de sensibilisation auprès des fermiers et des écoles, accompagnée de son guépard apprivoisé Chewbaaka, véritable ambassadeur de la fondation.
    La vocation de la fondation est issue de sa longue histoire de travail avec les guépards.

    En 1974, elle commence à travailler à la clinique vétérinaire du zoo Wildlife Safari à Winston dans l'Oregon aux États-Unis, où elle voit pour la première fois un guépard en pleine vitesse. Captivée par l'animal, elle veut tout apprendre de cet étonnant félidéfélidé dont la communauté scientifique internationale ne sait pas grand-chose. Elle travaille jusqu'en 1988 au programme de reproduction des guépards en captivité le plus abouti au monde (depuis la création du centre en 1973, 161 guépards sont nés). Elle crée aussi le Cheetah Studbook, un registre de guépards en captivité.

    En 1977, elle découvre les problèmes auxquels font face les guépards namibiens sauvages. Elle décide de s'y rendre accompagnée de Khayam, un petit guépard captif qu'elle a élevé, pour déterminer si un guépard peut apprendre à chasser ou s'il s'agit d'un processus purement instinctif. Ce projet de recherche, le premier du genre, est important car il va permettre de mieux comprendre s'il existe une chance pour les guépards nés en captivité d'être réintroduits dans la nature. Après des semaines d'entraînement, Khayam attrape et tue enfin sa première antilopeantilope. Cette réussite s'accompagne d'une autre découverte. Apprendre à chasser n'est pas le seul problème : avec l'apprentissage de la vie dans la nature, ces deux facteurs constituent les deux habiletés enseignées aux petits durant leurs 18 à 20 premiers mois.

    Le <em>Cheetah Conservation Fund</em> est créé en 1990 pour mieux comprendre le comportement du guépard et le protéger. © DR
    Le Cheetah Conservation Fund est créé en 1990 pour mieux comprendre le comportement du guépard et le protéger. © DR

    Aux origines du Cheetah Conservation Fund

    Elle découvre aussi que les fermiers namibiens tuent des centaines de guépards sauvages chaque année. Elle projette alors de créer une fondation à l'instar des grandes organisations de conservation, lui permettant de faire connaître au monde ce qui arrive et d'essayer d'enrayer le déclin des guépards. Au début des années 1980, de retour en Oregon, elle développe des collaborations de recherche avec l'Institut national du cancercancer et avec le zoo national de la Smithsonian Institution, et devient la directrice du New Opportunities in Animal Health Science (NOAHS). Ils découvrent l'uniformité génétiquegénétique des guépards et la vulnérabilité de l'espèce à la maladie, ainsi que les problèmes de reproduction. Elle met en place le Problem Animal Researcher avec les fermiers locaux, qui ont besoin d'aide pour préserver leur bétail face à ce qu'ils considèrent comme de la vermine. À l'époque, entre 800 et 900 guépards sont tués chaque année et le nombre de guépards a chuté de moitié. Elle commence à poser les bases pour le CCF, tenant au courant politiquement tant la Namibie que Washington et développant les problématiques de recherche encore étudiées aujourd'hui.

    En 1990, la Namibie devient indépendante. C'est à ce moment-là qu'elle fonde le CCF et installe plus tard la fondation dans un espace sauvage de 30.000 hectares, sur le plateau du Waterberg près d'Otjiwarongo, ville agricole du nord de la Namibie.

    Les guépards ne sont pas alors, indéniablement, populaires auprès des fermiers. La perte de bétail due aux guépards est une question économique et émotionnelle. Elle doit donc apprendre et travailler avec les fermiers pour les aider à protéger leurs revenus. Au cours de ces nombreuses années passées en Namibie, des amitiés avec des fermiers et d'autres personnes de la communauté namibienne se sont développées et les attitudes ont changé : beaucoup plus d'éleveurs tolèrent désormais la présence des guépards sur leur terre et ont compris que l'abattage de ces derniers n'est pas la seule solution pour la protection des troupeaux. Le CCF est maintenant une grande organisation de renommée mondiale, qui se donne pour missions essentielles la recherche scientifique, la conservation et l'éducation. Les politiques et programmes de conservation du CCF sont repris dans toute l'Afrique.

    Chien anatolien Kangal, gardien de troupeaux. © Anka Friedrich, CC by 3.0
    Chien anatolien Kangal, gardien de troupeaux. © Anka Friedrich, CC by 3.0

    En 1994, avec l'aide de la Livestock Guarding Dog Association, le CCF importe dix chiens anatoliens kangal, une race de chiens de berger. Le CCF élève et dresse les kangals, célèbres pour leur indépendance et leur puissant aboiement. Élevés dès le plus jeune âge au sein du troupeau, les chiots développent des liens très forts avec « leur » bétail, le protégeant en se plaçant entre le troupeau et l'intrus et en aboyant avec acharnement. Les guépards, par nature timides, sont facilement dissuadés par ces imposants chiens prêts à se sacrifier. Aujourd'hui, plus de 300 chiens œuvrent pour protéger le bétail des fermiers et, par là même, les guépards. Le programme du CCF, intitulé Livestock Guarding Dog Program, a été un succès : 7 fermiers sur 10 qui ont un chien de garde avec leurs troupeaux ont des pertes liées aux prédateurs moins élevées, voire nulles dans certains cas. Des résultats tout aussi spectaculaires sont obtenus en introduisant des ânesses qui viennent de mettre bas ou des femelles zèbres au sein du bétail.

    Les méthodes du CCF pour réduire les conflits liés aux prédateurs sont aussi utilisées pour d'autres animaux comme les pumaspumas, les jaguarsjaguars et les loups (bien que les problèmes diffèrent), et sont utilisées comme modèles dans d'autres parties du monde.

    Comprendre le fonctionnement de l’espèce pour mieux la protéger

    Le CCF mène des recherches sur la biologie et l'écologieécologie du guépard ainsi que sur ses habitudes territoriales. Les colliers-radios posés sur les guépards ont ainsi aidé à comprendre les déplacements des félins et la taille de leurs ères d'évolution. En Namibie, les guépards errent sur d'énormes zones, d'une moyenne de 1.600 km2. Ils peuvent couvrir jusqu'à 40 km en une semaine et traverser 30 fermes (chaque ferme ayant plus de 4.000 hectares de superficie). Pour survivre en liberté, le guépard doit avoir la liberté de se déplacer sur de grands espaces, or la plupart des secteurs protégés et les réserves naturelles ne sont simplement pas assez grands. L'éducation à l'environnement complète le travail de la recherche et de la conservation. Le CCF pourvoit en personnel les écoles et tient des weekends d'éducation à l'environnement pour des jeunes. Plus de 240.000 étudiants namibiens ont ainsi été impliqués dans les programmes d'éducation. Sans compter les dizaines de touristes qui, quotidiennement, visitent le centre et apprennent sur le guépard.

    En 2000, pour les dix ans de sa fondation, Laurie Marker est nommée « héros de la planète » par le Time Magazine. Elle recevra par la suite de nombreuses récompenses, mais c'est en 2003 que ses années de recherche seront scientifiquement reconnues, avec le passage de son doctorat à l'université d'Oxford en Angleterre.